Tranquilles comme les expats

Malgré une nette détérioration de la situation sécuritaire, les ressortissants étrangers continuent de vaquer à leurs occupations. Et ne songent nullement à quitter le pays.

Publié le 4 février 2008 Lecture : 4 minutes.

L’attaque-suicide du 29 janvier contre le commissariat de police de Thénia, à 60 kilomètres à l’est de la capitale, confirme la nette dégradation de la situation sécuritaire en Algérie. Comment les expatriés, dont certains (notamment français et espagnols) font l’objet d’une fatwa salafiste, vivent-ils cette nouvelle donne ?
Depuis le premier attentat-kamikaze, le 11 avril 2007, contre le palais du gouvernement, deux attaques-suicides ont ciblé des étrangers. En juillet 2007, une voiture bourrée d’explosifs percute un convoi de cadres français et italiens du groupe de BTP Razel, dans la région de Lakhdaria ; le 11 décembre dernier, le siège algérois du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) essuie une attaque similaire (un Sénégalais, un Danois et un Slovène sont tués). Autre menace pesant sur les expatriés : les embuscades. En décembre 2006, un bus transportant des employés de Brown & Root Condor (BRC, une coentreprise de Kellogg, filiale d’Halliburton, de Brown Root et de Condor Engineering, affiliée à la compagnie nationale algérienne Sonatrach) est touché par une bombe artisanale alors qu’il roulait à proximité de Club des pins, une résidence d’État censée faire partie des sites les mieux protégés du pays. Bilan : deux morts, dont un Libanais. Bien qu’ignorés par les fatwas que distille régulièrement Aymen al-Zawahiri, numéro deux d’Al-Qaïda, sur la chaîne de télévision qatarie Al-Jazira, les Russes sont les étrangers qui ont payé le plus lourd tribut à la violence armée : cinq ouvriers et cadres de Stroyt-Transgas, une entreprise qui a décroché de nombreux contrats de réalisation de pipelines et de gazoducs, ont été tués après plusieurs attaques de leurs différents chantiers. Attaques-?suicides, voitures piégées, embuscades, faux barrages, le tout sur fond d’une communication salafiste tous azimuts appelant à chasser « les croisés de cette terre d’islam ». De quoi nourrir quelque inquiétude quand on est ressortissant étranger de passage ou séjournant en Algérie.

Majorité chinoise
De source officielle, plus de 30 000 étrangers bénéficiant d’un titre de séjour et d’un permis de travail sont installés en Algérie. Plus du tiers sont chinois. Rien que de très normal, les entreprises chinoises collectionnant les juteux marchés arrachés à la concurrence : autoroutes, programme du million de logements, réalisation d’infrastructures sanitaires, culturelles, sportives et d’ouvrages d’art.
Les expatriés ne sont pas concentrés dans une ville ou une région spécifique. La majorité des Occidentaux travaille dans le secteur des hydrocarbures, le plus souvent sur les sites d’exploitation des gisements de pétrole et de gaz, situés en plein désert. La première série d’attentats-kamikazes, en avril 2007, a provoqué une vague de départs qui a touché les familles d’expatriés employés par le groupe industriel français Michelin, qui dispose d’une usine de fabrication de pneumatiques à Bachdjarah, dans la banlieue est d’Alger. Mais aucune restriction de déplacement n’a été imposée aux cadres de l’entreprise. Celle-ci a recruté des agents de sécurité, non armés, chargés d’accompagner les travailleurs étrangers en dehors du siège du groupe ou de l’usine. Ils peuvent, s’ils le souhaitent, demander une escorte policière quand le déplacement est jugé « périlleux », mais très peu la sollicitent. « C’est une arme à double tranchant, estime un Espagnol travaillant dans un cabinet d’audit international. Se faire escorter est le meilleur moyen d’attirer l’attention. »
Le travailleur étranger vit-il pour autant retranché chez lui ? « Pas du tout, affirme Joseph Ged, patron libano-canadien de l’opérateur de téléphonie mobile Nedjma. Je n’ai changé en rien mes habitudes algéroises. Je fréquente toujours les mêmes restaurants et mes enfants vont toujours à l’école. Il fait bon vivre à Alger. » Malgré les bombes ? « Nous n’avons enregistré aucun départ massif, souligne-t-on au ministère de l’Intérieur. Les conseils de prudence adressés aux voyageurs britanniques et américains par leurs gouvernements n’ont eu aucun impact sur les demandes de visas, qui encombrent de plus en plus nos services consulaires. »

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Une présence discrète
Si les étrangers se font rares en milieu rural, ils sont peu visibles en ville. « Les expats ont leurs habitudes, explique Djamel, interprète-traducteur travaillant avec l’ambassade d’Italie. Ils ne se déplacent pas en transports collectifs, prennent rarement un taxi et ne font jamais de lèche-vitrines. Ils fréquentent souvent les mêmes endroits, les mêmes restaurants et les mêmes boîtes de nuit. » Les plus visibles sont les plus nombreux : les Chinois et les Subsahariens. Les Chinois que l’on croise dans la rue font rarement partie du personnel cadre des grandes entreprises de l’ex-empire du Milieu. Il s’agit le plus souvent d’ouvriers du BTP, ou de femmes et d’hommes d’affaires qui ont créé en Algérie des sociétés d’import-export pour écouler les produits de l’industrie chinoise. Peu intégrée, cette communauté n’en fréquente pas moins les endroits les plus insolites, comme les marchés hebdomadaires des villages les plus reculés. Ils parlent quelques mots d’arabe dialectal et sont réputés durs dans la négociation.
En transit sur leur long chemin de croix qui mène à l’eldorado européen, Maliens, Nigérians, Ghanéens et Sénégalais comblent, eux, le déficit en main-d’uvre dans les nombreux chantiers de l’intérieur du pays, les jeunes boudant les emplois créés par les multiples opérations de développement lancées par le programme de soutien à la croissance (150 milliards de dollars). Les clandestins subsahariens sont également une aubaine pour le secteur du BTP privé : une main-d’uvre disponible, pas chère et non syndiquée.
Si la menace terroriste n’est pas parvenue à faire fuir les investissements directs étrangers (20 milliards de dollars attendus en 2008), elle n’a pas non plus provoqué un « sauve-qui-peut » général. Et s’il fait bon vivre en Algérie, c’est surtout parce que les affaires prospèrent.

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