Soldats en crampons

Publié le 4 février 2008 Lecture : 2 minutes.

« Bi gacce ! » [Quelle honte], « Humiliation ! », « Footez-les dehors ! » Un tsunami de réactions outragées a déferlé sur les quotidiens dakarois, le 28 janvier, au lendemain de la défaite des Lions du Sénégal face aux Palancas Negras d’Angola (1-3). Copieusement insulté (« lâche », « traître »), Henri Kasperczak, l’entraîneur franco-polonais, s’est empressé de démissionner – avant même l’élimination sans gloire de son équipe – pendant que les héros du Mondial 2002 se tiraient dans les pattes avec conviction. Dans le genre, c’est El Hadji Diouf qui a fait le plus fort : pour un capitaine, traiter ses coéquipiers de « goordjiguen » [pédés] et de menteurs n’est sans doute ni très gentil ni très approprié. Deux jours plus tard, le pauvre Diouf a été aperçu en plein stage de relaxation – ou de remise en forme ? – dans un night-club de Kumasi.
Un tel déchaînement de colère et de dépit n’est, hélas, pas une exclusivité sénégalaise. Il est même devenu quasi systématique dans la majorité des pays africains, après chaque défaite de la sélection nationale. Le phénomène n’est certes pas nouveau, mais il prend une ampleur inquiétante en raison de la surenchère démagogique à laquelle se livrent les organes de presse privés et, plus grave, les pouvoirs politiques. Avant le départ pour le front – pardon, pour la CAN 2008 -, nombre de chefs d’État n’ont d’ailleurs pas hésité à remettre solennellement, lors de cérémonies rituelles, le drapeau national au capitaine de la sélection. Un geste symbolique immuablement suivi d’un appel à la ferveur nationaliste, à l’unité de la nation derrière ses soldats en crampons.

Bientôt, ils tireront les penaltys !
Bref, nos hommes d’État ne répugnent pas à lier une partie de leur destin au résultat d’une campagne sportive. S’ils le pouvaient, ils iraient jusqu’à tirer les penaltys pour assurer la victoire ! Fondus de foot ou as de la communication politique, ils vibrent au rythme des tribunes populaires. Au-delà, souvent, de toute raison.
Bombardé porte-drapeau, le footballeur devient quant à lui la plus haute expression de la fierté nationale. Sur ses épaules pèse une responsabilité écrasante qui n’a plus grand-chose à voir avec le sport. Le beau jeu ? Le fair-play ? Vous plaisantez ? Les défaites prennent des allures de deuil national. Quand elles ne déclenchent pas des flambées de colère incontrôlées.
« On peut utiliser le sport pour voiler la réalité à tout un peuple, disait naguère Thomas Sankara. On préfère le canaliser vers les stades, où il peut donner libre cours à ses passions et oublier les réalités. » Êtes-vous vraiment sûr que ce diagnostic n’est plus d’actualité ?

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires