Retour en force

Publié le 4 février 2008 Lecture : 4 minutes.

Se peut-il que nous traversions, vivions et subissions non pas une seule révolution mais deux, voire trois ?
La première, la plus visible, celle qui se fait sentir à chaque instant de notre vie de tous les jours, est la révolution informatique. Elle nous a déjà donné les nouvelles technologies de l’information, l’omniprésence d’Internet et du téléphone portable ; très bientôt, nous aurons aussi la voiture électrique, plus tard les voyages interplanétaires et quelques autres innovations qui changeront plus encore notre vie quotidienne, ainsi que notre perception de notre place dans l’univers.

L’autre mouvement « tectonique » de l’Histoire a eu lieu un tout petit peu plus tôt, il y a dix-huit ans, au début des années 1990 : chute de l’empire soviétique, dislocation de l’URSS, fin du communisme et de la guerre froide, dont on nous a dit à l’époque qu’elle avait été gagnée par les États-Unis et, plus largement, par l’Occident
On nous a parlé alors, un peu vite, de la victoire finale du capitalisme et de la démocratie – donc de l’Europe et des États-Unis. Et l’on est allé jusqu’à annoncer « la fin de l’Histoire ».
La petite vingtaine d’années qui se sont écoulées depuis la chute du mur de Berlin – « fait déclenchant » de ces bouleversements – ont conduit notre planète à une autre révolution.
Elle est en train de prendre forme sous nos yeux, en ce début 2008, et c’est un nouveau tournant de l’Histoire sur lequel je me dois d’attirer votre attention.

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Suivi par l’ensemble des instituts de prévision économique, le Fonds monétaire international (FMI) vient de nous l’annoncer :
– les États-Unis, l’Union européenne, le Japon et tous les autres pays industrialisés et développés verront, en 2008, leur PIB progresser de seulement 1,5 % environ.
– la Chine, elle, continuera sur sa lancée des deux ou trois dernières décennies avec une croissance de 10 %, tandis que les autres pays émergents feront du 7 à 8 %.
– ce n’est que grâce à ces pays émergents et à la Chine que l’économie mondiale sera sauvée de la récession ou, à tout le moins, d’une quasi-stagnation en 2008 ; c’est leur performance qui permettra à la croissance mondiale de se situer à 4 %.
Mesurez ce changement révolutionnaire : les pays en développement méritent désormais le nom qu’on leur avait donné naguère pour ménager leurs susceptibilités ; leur croissance économique annuelle est quatre fois plus élevée que celle des pays avancés (graphique n° 2).
Cela en fait les nouvelles locomotives de la croissance mondiale ; les locomotives d’hier sont reléguées au rôle de simples wagons.
Deux autres chiffres confirment qu’il s’agit bien là d’une révolution : en 2007, le deuxième monde a contribué pour 60 % à l’accroissement du PIB mondial (+ 5 000 milliards de dollars en parité de pouvoir d’achat).
Désormais, la Chine augmente son PIB de 1 500 milliards de dollars chaque année, contre 600 milliards pour les États-Unis.

Ce que les graphiques n’indiquent pas et que le FMI omet de rappeler, c’est que les salaires, et plus généralement les revenus, dans les pays avancés, sont – eux – dix fois plus élevés que ceux qui sont distribués dans les pays émergents : il y a là une énorme distorsion dont il serait bon, pour les pays développés, d’analyser les conséquences

L’Histoire économique nous rappelle qu’il s’agit en fait d’une restauration, car, avant d’en venir à personnifier le Tiers Monde, « innombrable et misérable », la Chine, l’Inde (et quelques autres pays) étaient les locomotives du monde, le moteur de son économie.
Ils ont perdu leur rang il y a deux siècles lorsqu’ils ont raté la révolution industrielle que les Européens et les Américains ont su accomplir.
En 1820, la Chine assurait en effet près d’un tiers de la production mondiale, et l’Inde 16 %. Les quatre grands pays européens n’en représentaient alors que 17 %, et les États-Unis seulement 2 %.
En 1950, la part des États-Unis s’était élevée à 27 %, celle de la Chine était tombée, elle, à 5 %, et celle de l’Inde à 4 % ; les quatre grands européens pouvaient en revendiquer 19 %.
Le XIXe siècle et le XXe ont donc été ceux de l’émergence des « puissances blanches » au détriment des empires jaunes, alors en rapide déclin

C’est à partir de 1978, il y a tout juste trente ans, et sous l’impulsion de Deng Xiaoping, que la Chine a entrepris sa véritable « longue marche » pour reconquérir le terrain perdu ; l’Inde a suivi le mouvement dix à quinze ans après « l’empire du Milieu », entraînant dans son sillage d’autres pays de l’ex-Tiers Monde.

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Les résultats de ce retour en force apparaissent enfin au grand jour et de façon spectaculaire en ce début de 2008. Mais, sachez-le, ils ne sont que l’avant-garde de plus gros bataillons déjà en route.
Les projections pour 2015, mesurées en parité de pouvoir d’achat, disent en effet que la production de la Chine, dans sept ans, rivalisera déjà avec celle des États-Unis : chacun de ces deux géants assurera 20 % de la production mondiale environ.
Selon la plupart des calculs, la Chine dépassera aisément les États-Unis avant 2025.
En d’autres termes, la mondialisation de l’économie et l’intégration de l’ancien Tiers Monde à ce mouvement historique sont en train de préparer le plus grand bouleversement des rapports de force qui se soit produit depuis deux cents ans.

Pour l’heure, ce bouleversement est purement économique et il n’est pas encore achevé.
Les empires précédents avaient été formés par des puissances militaires (navales ou terrestres) qui s’étaient emparées du pouvoir et de la richesse par la conquête militaire de vastes territoires. La Chine, l’Inde, le Brésil, la Russie et leurs émules suivent une voie différente : comme le Japon de l’après-1945, ils accèdent à la puissance par l’industrie et le commerce.
Ils n’ont à ce jour ni l’influence politique ni la puissance militaire qui découlent de leur poids économique. Cette quête-là viendra plus tard, dans la seconde moitié de ce siècle.

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