Normalisation sous conditions

La visite express du chef de la diplomatie française à Kigali témoigne de la volonté des deux pays de rétablir leurs relations. Mais le chemin des retrouvailles est encore long.

Publié le 4 février 2008 Lecture : 4 minutes.

« On aime bien les Français, sauf ceux qui ont contribué au génocide. Ce n’est pas à nous d’aller vers eux. Au contraire. Pour rétablir les relations diplomatiques entre nos deux pays, ils doivent d’abord reconnaître ce qu’ils ont fait ici. » Cette réflexion de Uwimana, jeune Kigaloise de 30 ans, résume l’état d’esprit des Rwandais au lendemain du voyage à Kigali, le 26 janvier, de Bernard Kouchner, le ministre français des Affaires étrangères. Un déplacement qui a pris de court les autorités du pays, surprises par l’annonce, au dernier moment, de la visite de leur « ami ».
Le calendrier des échanges entre le Rwanda et la France prévoyait plutôt un voyage à Paris d’une délégation dans le cadre du mécanisme mis en place pour sortir de la crise. Pourquoi Kouchner a-t-il donc décidé de s’arrêter, pendant trois heures, à Kigali ? « C’est peut-être parce qu’il était à Kinshasa et à Goma, où il a beaucoup parlé du Rwanda », estime un officiel rwandais. « Mais nous sommes contents de sa visite. C’est la preuve d’une bonne volonté politique, malgré l’absence de relations diplomatiques », poursuit-il.

Une ambiance bon enfant
Le 26 janvier, il est presque 19 heures à Kigali. Kouchner, vêtu d’un costume bleu à col Mao, arrive au Village Urugwiro, siège de la présidence rwandaise, après s’être incliné au mémorial de Gisozi. Il a rendez-vous avec le chef de l’État, Paul Kagamé. Près d’une heure plus tard, une porte s’ouvre. Le numéro un rwandais en veste bleue, sur une chemise du même ton, sans cravate, sort de son bureau en compagnie du ministre français. Tout sourires, les deux hommes descendent les marches qui les mènent vers le groupe de journalistes subitement devenus fébriles. Ils s’arrêtent devant le cordon de sécurité. « Quelle langue parlez-vous ? » demande Kagamé à la presse. « Le kinyarwanda », répondent quasiment à l’unisson les confrères locaux.
Certains ont lu avec perplexité une tribune publiée par Kouchner dans un quotidien français, la veille de son voyage, et dans laquelle il affirme : « La France a certainement commis des erreurs politiques, mais il serait odieux et inacceptable de penser qu’elle ait pu être coupable de crimes ou de complicité de génocide. C’est un point sur lequel je ne transigerai pas. Notre rapprochement avec le Rwanda ne se fera pas au détriment de l’honneur de l’armée française ni de la vérité historique. » Interrogé en anglais, Kouchner répond dans la même langue. Une question, en français, est adressée à Kagamé. Il se tourne vers ses collaborateurs et demande si quelqu’un peut traduire pour lui. Sans attendre, son hôte joue au traducteur. Le tout dans une ambiance bon enfant.
En septembre 2007, lors d’une mission de membres du cabinet du ministre français des Affaires étrangères à Kigali, les deux parties avaient convenu de gérer tous les problèmes qui ont conduit à la rupture des relations diplomatiques, en novembre 2006. « Nous avons demandé aux Français de commencer par annuler les mandats d’arrêt émis par le juge Bruguière contre nos dirigeants avant d’attaquer d’autres problèmes, explique un haut fonctionnaire du ministère de la Sécurité intérieure. C’est ce point qui est à la base de la rupture. » Selon cette source, ce litige reste la seule préoccupation des Rwandais avant toute normalisation avec Paris.
Pour eux, Kouchner est venu à Kigali sans avoir satisfait cette exigence, « comme s’il avait peur de quelque chose et voulait instaurer un dialogue de sourds afin que les choses traînent ». De son côté, Kouchner conseille à ses hôtes de ne pas confondre les genres, de ne pas mêler la politique à la justice. Peine perdue. Un diplomate rwandais confie : « Évoquer l’indépendance de la justice dans le cas des mandats de Bruguière, pierre angulaire du problème, ne nous convainc pas. Nous savons que ce juge a fait de la politique en lançant ces mandats, qui sont une véritable calomnie et une chasse à l’homme. »
Le 27 janvier, quelques heures après le passage de Kouchner, une délégation rwandaise dirigée par Richard Sezibera, envoyé spécial du président Kagamé dans la région des Grands Lacs, s’envole pour Paris. Ce voyage en France est une première depuis la rupture des relations diplomatiques. Mission de la délégation : voir avec le Quai d’Orsay comment avancer. Kigali, affirme-t-on, ne verrait pas d’un mauvais il que le dossier dont s’occupait Bruguière soit confié à un autre juge. « Il faut reprendre cette enquête parce qu’elle n’a pas été bien menée », indique l’un des émissaires rwandais. Paris aurait promis de « voir ce qui peut être fait ». Bien que l’on ne sache de quelle manière. D’autre part, les Rwandais se plaignent de la présence sur le territoire français de personnes qu’ils qualifient de « génocidaires ». Et qu’ils aimeraient voir poursuivies, expulsées ou extradées.

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Erreurs d’appréciation
Tout compte fait, c’est en ami que Bernard Kouchner a été accueilli à Kigali. Un ami, commente un fonctionnaire à la présidence, qui peut se permettre de donner des tapes dans le dos de ses interlocuteurs et se trouve souvent à la limite du tutoiement. On a senti une certaine complicité entre lui et le président rwandais, une vieille connaissance. Au nom de cette sympathie, il a pu dire à ses hôtes qu’il existe des erreurs d’appréciation dans les deux camps. Ce qui ne semble pas les avoir choqués. Il est l’un des rares Français à dire avec assurance : « J’étais ici en 1994 et j’ai vu ce qui s’est passé. » Mais, d’un côté comme de l’autre, la volonté de tourner la page est évidente. C’est sans doute pour cela que le rapport de la commission d’enquête chargée par Kigali d’établir les responsabilités de la France dans les événements de 1994 n’a toujours pas été rendu public, en dépit du fait qu’il se trouve depuis un certain temps entre les mains du chef de l’État.

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