Minorités visibles, maires invisibles

Combien y aura-t-il de premiers magistrats et de conseillers municipaux « issus de l’immigration » après les élections municipales des 9 et 16 mars ? Plus qu’en 2001, sans doute, mais quand même pas beaucoup !

Publié le 4 février 2008 Lecture : 4 minutes.

Liberté, égalité, diversité ? Selon toute apparence, ce ne sera pas encore pour cette fois. On imagine mal en effet cette devise affichée aux frontons des trente-six mille mairies françaises au lendemain des élections municipales des 9 et 16 mars. Les Français issus des minorités dites « visibles » ne devraient pas être très nombreux à faire leur entrée dans les assemblées communales.
Dans la presse, les critiques se concentrent sur le Parti socialiste (PS), qui n’a pour l’instant désigné non comme têtes de liste, mais comme « premiers des socialistes » (en vue de la constitution d’éventuelles listes d’union) qu’une vingtaine de Français issus de l’immigration dans les villes de plus de 20 000 habitants. L’Union pour un mouvement populaire (UMP) ne fait pourtant pas mieux : dans ses rangs, seuls treize candidats issus de l’immigration briguent un poste de maire d’une ville de plus de 30 000 habitants.
L’entrée au gouvernement de Rachida Dati, de Rama Yade et de Fadela Amara a-t-elle permis au parti présidentiel de se défausser du problème sur son concurrent ? « Ces nominations sont l’arbre qui cache la forêt, estime Vincent Tiberj, chercheur au Centre d’étude de la vie politique française (Cevipof). Mais il est vrai que le PS, qui a recueilli plus de 80 % des suffrages des minorités lors de la présidentielle de 2007, persiste à leur refuser la place qui leur revient. »

Quand Lozès s’énerve
Secrétaire national aux élections, Bruno Le Roux (PS) conteste ce diagnostic. « Nous n’avons pas connaissance d’une seule liste où ne figurent pas de candidats issus de la diversité », affirmait-il, à la veille de la convention nationale d’investiture de son parti, le 15 décembre. Attablé dans un café à deux pas de la mairie de Paris, Patrick Lozès, le président du Conseil représentatif des associations noires (Cran) de France, rejette l’argument d’un revers de main : « Les statistiques font défaut, s’énerve-t-il, mais on estime que 10 % au moins de la société française est composée de Noirs, d’Asiatiques ou d’Arabo-Berbères. Or aucun de leurs représentants ne siège dans les conseils municipaux sortants des dix premières villes de France. Certains partis tentent de faire illusion en présentant des candidats de la diversité en queue de liste ou dans des villes où ils n’ont aucune chance d’être élus. Pendant les campagnes électorales, beaucoup de responsables prônent la diversité, la main sur le cur. Et puis, la consultation passée, ils ne font rien. Désormais, chacun devra prendre ses responsabilités. »
Au sein même des partis, la pilule passe mal. « On ne se laissera pas séduire par une petite danse du ventre en attendant qu’on nous fasse valser ! » ironise Akli Mellouli, chef de file du PS à Bonneuil-sur-Marne, près de Paris. « Plus question de servir de chair à canon dans des communes où nous ne sommes pas en mesure de l’emporter », renchérit Abderrahmane Dahmane, chargé de mission à l’Élysée.
Selon lui, le cas de Lynda Asmani, une jeune femme de 33 ans originaire d’Algérie envoyée au casse-pipe par l’UMP dans le Xe arrondissement de Paris, est symptomatique. Mais il est loin d’être unique. À l’UMP toujours, Karim Boudjema, candidat à Rennes, aura fort à faire pour s’emparer du fief d’Edmond Hervé, même si celui-ci ne se représente pas pour un sixième mandat. Au PS, Jaïm Myara sera opposé, à Troyes, à l’ancien ministre de l’Intérieur François Baroin, maire depuis 1995, tandis que Rachid Mammeri montera au front à Évreux, où Jean-Louis Debré, ancien président de l’Assemblée nationale et fidèle de Jacques Chirac, passe la main.
« Inutile de se bercer d’illusions, l’émergence d’une vraie représentation des Français issus de l’immigration prendra du temps, non parce que les partis sont racistes, mais parce qu’ils sont plus frileux que leur électorat. Ils ont beaucoup de mal à proposer de nouveaux schémas », commente encore Vincent Tiberj. Un exemple ? À Étaples, petite ville du nord de la France, Bagdad Ghezal, la tête de liste socialiste désignée par les militants, a été remplacé – momentanément ? – par un énarque à l’instigation de la fédération locale du PS. Il faut dire qu’à quelques mois du congrès qui désignera le nouveau premier secrétaire, les barons socialistes locaux défendent pied à pied leur influence sur l’appareil. Face à un François Hollande affaibli, certains se sentent même pousser des ailes et n’hésitent plus à passer outre aux consignes de la direction.
Selon certains, l’obstination des états-majors politiques à ne nommer des candidats noirs ou arabo-berbères que dans les communes de banlieue s’explique par une réalité. Mais elle traduit surtout une inquiétante difficulté à se renouveler.

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Danger d’enfermement
De ce point de vue, les cas de Rachida Dati et de Seybah Dagoma, têtes de liste dans des arrondissements huppés de la capitale, restent des exceptions. Côté PS, Abdelhak Kachouri a été investi à Saint-Ouen, Papa Waly Danfakha aux Mureaux et Lahceme Touati à Vénissieux. Côté UMP, Nourredine Nachritte se présente à Creil, Leïla Bouzidi à Bobigny, Aminata Konaté à Montreuil et Six-Emmanuel Njoh à Vitry-sur-Seine. Le Mouvement démocrate (Modem) de François Bayrou ne déroge pas à la règle, avec Djamila Bouguerra à Vaulx-en-Velin, Youssouf Abal à La Courneuve et Mourad Boughanda à Sarcelles.
Le danger d’enfermement des candidats de la diversité dans un rôle de porte-voix communautaire est réel. « Ces désignations ne s’inscrivent pas dans la tradition républicaine qui a permis à un Kofi Yamgnane, d’origine togolaise, de devenir maire d’une petite commune bretonne, dès 1989 », dénonce le Cran. « Si l’on veut que des représentants de la diversité soient élus, il faut les présenter dans des communes où ils ont des chances de gagner », répond une candidate socialiste de la diversité. Bref, il reste beaucoup à faire pour que les exécutifs communaux ressemblent à la France d’aujourd’hui. « Peu à peu, la diversité devient un critère de modernité dont s’emparent les partis, remarque pourtant un observateur. La défiance de l’opinion à l’égard des politiques est telle que tout est bon pour créer un appel d’air. Et puis l’embrasement des banlieues en 2005 est dans toutes les mémoires » Les responsables électoraux du PS et de l’UMP rechigneraient-ils encore à aborder la question de front ? Contactés par Jeune Afrique, ni Bruno Le Roux ni Alain Marleix n’ont jugé bon de donner suite.

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