Guerre de clans dans la filière

Luttes d’influence, scandales financiers, enquêtes judiciaires… Jusqu’où ira la bataille qui oppose les deux grands patrons des planteurs de café-cacao pour le contrôle du secteur ?

Publié le 4 février 2008 Lecture : 4 minutes.

« Tapé Doh débarque Amouzou », « Le bras de fer continue », « Amouzou contre-attaque ». La presse ivoirienne n’en finit plus de faire ses choux gras de la bataille que se livrent les deux grands patrons des planteurs de café-cacao. Un affrontement sans merci sur fond de scandales financiers et d’enquêtes judiciaires qui pourraient déboucher sur des inculpations Dernier épisode en date : la plainte déposée le 25 janvier par Lucien Tapé Doh, président du conseil d’administration de la Bourse du café et du cacao (BCC), contre Henri Kassi Amouzou, patron du Fonds de développement et de promotion des activités des producteurs café-cacao (FDPCC), accusé de vouloir mettre la main sur la filière. Si la situation semble n’avoir jamais été aussi tendue, la lutte pour le contrôle du secteur ne date pas d’hier.

L’un est agni, l’autre bété
Amouzou et Tapé Doh se sont révélés aux Ivoiriens durant la transition militaire du général Robert Gueï (décembre 1999-octobre 2000). À la tête de différents mouvements de planteurs, ils montent alors au créneau pour protester contre le projet initial de réforme de la filière, jugé trop libérale et trop favorable au puissant Groupement des exportateurs de café et de cacao (Gepex). Le général, en quête de soutien politique à la veille de la présidentielle d’octobre 2000, leur donne satisfaction. Des élections sont organisées pour désigner les représentants nationaux des planteurs dans les nouvelles structures de gestion de la filière. Amouzou devient président de l’Association nationale des producteurs de café-cacao de Côte d’Ivoire (Anaproci), et Tapé Doh vice-président.
Le premier est agni, le second bété : l’équilibre géopolitique et géographique des deux grandes zones de production est donc respecté. Laurent Gbagbo, qui arrive au pouvoir en octobre 2000, reprend les grandes lignes de la réforme mais crée une nouvelle structure, le Fonds de régulation et de contrôle (FRC), qui sera confié à l’une de ses proches, Angeline Kili. Amouzou et Tapé Doh prennent, respectivement, la tête du FDPCC, dont la mission est d’assurer le développement coopératif, et de la BCC, en charge de la régulation commerciale. Mais, très vite, l’homme à « l’éternel chapeau de paysan » commence à nourrir une certaine jalousie à l’égard d’Amouzou, dont le budget est largement supérieur au sien (l’État prélève alors 55 F CFA le kilo pour le FDPCC, contre 7 F CFA pour la BCC). Le patron du FDPCC a, en outre, fait l’acquisition de plusieurs affaires (Sifca Coop, Coco Services, Forexi, etc.).

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Grèves, sit-in et manifestations
La position de Tapé Doh est moins confortable. Réputé plutôt proche du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), l’ancienne formation au pouvoir, le président de la BCC cherche donc à faire allégeance au nouveau régime. Son but ? Contrecarrer la domination d’Amouzou. Commence alors une sourde lutte d’influence au sein de la filière et auprès des politiques. Les amitiés et inimitiés se tissent aussi rapidement qu’elles se défont. D’autant qu’en septembre 2002 éclate une crise politico-militaire. En janvier 2003, les accords de Marcoussis, qui partagent le pouvoir entre le Front populaire ivoirien (FPI) du président Gbagbo, le Rassemblement des républicains (RDR), le PDCI et les ex-rebelles des Forces nouvelles (FN), viennent brouiller davantage les cartes. Tapé Doh se rapproche du Palais. Amouzou se fait, lui, plus neutre. Les escarmouches entre les deux hommes se multiplient. Les clans organisent grèves, sit-in et contre-manifestations, quand ils ne s’injurient pas par journaux interposés.

Ras-le-bol généralisé
Ces derniers jours, la guerre intestine a toutefois franchi un nouveau palier. Le 23 janvier, le camp Tapé Doh a organisé une assemblée générale de l’Anaproci afin d’y installer un nouveau président, Daniel Abo, en remplacement d’Amouzou. Une réponse du berger à la bergère, le président du FDPCC ayant cherché à destituer, le 28 décembre, son homologue de la BCC par la voie légale. Avant de finalement prendre possession, par la force, des locaux de cette structure. Aujourd’hui, la Bourse, chargée de l’enregistrement des exportations, fonctionne tant bien que mal avec une direction bicéphale. La filière café-cacao tout entière baigne dans un désordre total. Sans que personne ne sache réellement qui en dirige les structures de gestion, qui a la signature et, surtout, qui a accès aux ressources financières. « L’État devrait rapidement prendre des mesures pour clarifier la situation. On ne peut plus fonctionner avec deux présidents de la BCC », explique un bailleur de fonds. Les quelque 200 employés de la Bourse continuent de travailler pour ne pas pénaliser les opérateurs et les rentrées fiscales. Mais le ras-le-bol est perceptible
Le temps semble venu de réformer la filière. Une décision plutôt difficile à prendre avant les élections, qui doivent se tenir au cours de cette année. En attendant, le chef de l’État a saisi en octobre 2007 le procureur de la République pour qu’il fasse toute la lumière sur les malversations enregistrées depuis la libéralisation du secteur en 1999. Tous ses responsables ont été interrogés par la police économique et ont dû livrer leur comptabilité. Accusés d’avoir dilapidé quelque 610 milliards de F CFA, les intéressés ont déjà commencé à se défendre par voie de presse en sous-entendant qu’une partie des fonds aurait servi à graisser la patte des politiques

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