Georges Habache, la Palestine au cur

Homme de principes, figure du panarabisme convertie au marxisme, le fondateur du FPLP s’est éteint à 82 ans, le 26 janvier, à Amman. Il incarnait autant la Palestine que Yasser Arafat. Mais ce n’est pas exactement la même Palestine.

Publié le 4 février 2008 Lecture : 6 minutes.

Dès qu’on prononce le nom de Georges Habache, clichés et semi-vérités se bousculent. Inventeur compulsif des détournements d’avions et champion du terrorisme international, ennemi de la paix et du compromis, tribun marxiste d’une époque révolue le fondateur du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), qui s’est éteint à 82 ans, le 26 janvier, à Amman, est souvent présenté sous un jour qui occulte son véritable rôle depuis un demi-siècle. Sa vie tumultueuse recoupe très largement l’histoire contemporaine du monde arabe, avec ses ombres et lumières. Pour tout dire, il incarne autant la Palestine que Yasser Arafat, disparu en novembre 2004. Mais ce n’est pas exactement la même Palestine.
Les deux hommes sont dissemblables à souhait. Musulman pieux, patriote, pragmatique, acharné à la défense exclusive de la cause palestinienne, prêt à toutes les alliances et à tous les retournements pour la servir, usant du double langage pour dérouter les ennemis, et déroutant au passage les amis, le « Vieux » était l’homme de la nation future. Habache, le « Hakim » (qui signifie « médecin » et « sage »), chrétien grec orthodoxe, militant du panarabisme converti au marxisme, volontiers doctrinaire, apparaissait comme l’homme des principes, intraitable sur ses convictions. Si, pour le premier, tous les chemins, même les plus tortueux, doivent un jour conduire à Jérusalem, pour le second, la route de la Palestine passe par la révolution dans le monde arabe.

Chassé par les Israéliens
Apparemment tout d’une pièce, le leader du FPLP gagne à être connu. Sa disparition coïncide avec la sortie de ses mémoires sous forme d’entretiens avec Georges Malbrunot (éd. Fayard). Le titre, Les révolutionnaires ne meurent jamais, barrait un poster de Che Guevara affiché dans son bureau à Damas. Dans le livre, qui fourmille de précisions et de mises au point utiles, il apparaît tel qu’en lui-même, sincère, honnête, lucide.
Georges Habache est né en 1926, à Lydda (devenu Lod), dans une famille de commerçants chrétiens. Il a grandi dans une atmosphère religieuse. On va à la messe le dimanche ; sa mère, qui s’habille comme une musulmane, jeûne par délicatesse pendant le ramadan. Au collège, Georges est un excellent élève, son seul rival est issu d’une famille juive parfaitement intégrée. En 1944, il poursuit des études de médecine à l’université américaine de Beyrouth. Sur le campus, on se passionne pour les événements de la Palestine et les soubresauts sanglants qui précèdent la création de l’État d’Israël. Habache ne tient plus et rentre à Lydda, assiégé par la Haganah, l’armée juive. Il se rend utile en soignant les blessés. On enterre comme on peut les morts. Sa sur est inhumée dans le jardin. On attend le secours de l’armée jordanienne, qui ne viendra pas. Lorsque la ville tombe, les vainqueurs procèdent à des expulsions massives. Les Habache laissent tout derrière eux, maison et biens et, sûrs de revenir, conservent clés et titres de propriété.

la suite après cette publicité

Le MNA, une force d’avenir
Georges reprend ses études à Beyrouth. Il choisit la pédiatrie et sort major de sa promotion en 1951. Mais ce qui s’est passé en Palestine ne passe pas. Et demeure pour lui littéralement incompréhensible. « Je ne pouvais concevoir que les Juifs puissent gagner la bataille après avoir chassé des milliers d’habitants. [] Nous avons grandi dans l’a priori selon lequel les Juifs étaient des lâches, incapables de résister face aux Arabes. »
La leçon des événements de Palestine, moins culturelle et plus politique, s’imposera dans les débats du campus : en vérité, les Arabes ne demandaient qu’à se battre et ce sont les régimes qui les ont empêchés de voler au secours de leurs frères. En 1951, avec cinq condisciples, il fonde le Mouvement des nationalistes arabes (MNA). Objectif : libération de la Palestine. Stratégie : unifier le monde arabe. Slogan : « Unité, libération, vengeance ». Le groupe des six compte notamment un autre Palestinien (le Dr Wadie Haddad), un Koweïtien, un Syrien, un Irakien, et chacun s’attellera à implanter chez lui une section du MNA. Habache, qui a sa propre clinique (achetée avec l’aide de son père), privilégie l’action sociale dans les camps palestiniens : alphabétisation, distribution de médicaments, soins Avant de passer à la propagande politique et à la sélection des militants pour les cellules clandestines. Son travail porte ses fruits. Abou Ali Mustapha, qui lui succédera à la tête du FPLP en 2000 avant d’être assassiné par les Israéliens, est un vétéran de cette époque. De son côté, Haddad se fait recruter par l’UNRWA (organisme chargé des réfugiés) en Cisjordanie et jette les bases de la résistance en Israël. Du Liban au Yémen en passant par l’Irak, le MNA se présente comme une force d’avenir.

Un démocrate clairvoyant
Mais c’est Nasser qui va réaliser son programme. En proclamant la République arabe unie (RAU) en 1958, qui scelle l’union entre l’Égypte et la Syrie, le raïs cristallise les rêves de renaissance. L’enthousiasme est à son comble. Le MNA envisage de se saborder. Les Syriens ne supportant pas la mainmise du grand frère égyptien, la RAU éclate en septembre 1961. Du coup, le MNA retrouve sa raison d’être. Habache est plus unioniste que jamais. L’entreprise unitaire a échoué, explique-t-il, parce qu’on a voulu faire l’économie de la démocratie et de la mobilisation des peuples. Et de plaider pour le multipartisme. Sa première rencontre avec Nasser date de 1964. On refait le monde arabe. Sur la Palestine, Habache estime que « les groupes infiltrés en Israël peuvent devenir le fer de lance de la lutte armée s’ils en ont les moyens ». C’est « plus compliqué », rétorque le président. L’aide égyptienne sera chiche : formation de 50 fedayins par an, armes légères et bourses d’étudiants.
La guerre des Six-Jours de juin 1967 bouleverse la donne. Le quatrième jour, Habache reçoit un message du Caire : « Frappez Israël où et quand vous pouvez ! » Le leader du MNA tire les conclusions de la débâcle arabe. Il revient désormais aux Palestiniens de libérer la Palestine. Il fonde le FPLP en décembre 1967. Les opérations se multiplient en Israël. D’abord prise de court, Tsahal s’adapte et, fin 1969, les infiltrations, trop coûteuses, cessent pratiquement. Le FPLP jette son dévolu sur les détournements d’avions, qui vont défrayer la chronique. Cette stratégie atteint son apogée en juillet 1970, quand trois ?avions (américain, suisse et israélien) sont déroutés vers un aéroport en Jordanie. Objectif : libération de prisonniers palestiniens en Israël. L’affaire dure une semaine. Le commando libère les otages (sans contrepartie) et fait sauter les appareils. Partout, les Palestiniens sont vilipendés. Le roi Hussein estime le moment venu de se débarrasser de la résistance. L’armée jordanienne met le paquet. Ce sera « Septembre noir ».
En 1972, Habache décide de renoncer à la stratégie des détournements. Il n’est pas suivi par Haddad, qui crée le FPLP-Opérations spéciales. C’est lui qui montera le détournement sur Entebbe, en juin 1976. Un commando israélien a tué les pirates et libéré les otages. Quant à Haddad, il sera empoisonné en 1978 en dégustant des chocolats belges envoyés par le Mossad
Finalement, ce qui reste de Georges Habache, ce n’est pas tant sa renonciation courageuse aux entreprises qui portaient préjudice à la cause palestinienne qu’une clairvoyance et un esprit démocratique peu communs. Sur la conférence de Madrid (1991) comme sur les accords d’Oslo (1993), c’est lui qui avait raison. Il n’était pas hostile à une « solution transitoire », il avait des doutes sur les dispositions des Israéliens et des Américains à reconnaître les droits des Palestiniens sur les questions essentielles : Jérusalem, colonies, frontières, réfugiés Après Oslo, Arafat lui lança : « C’est le seul accord possible. » Il a eu cette réponse : « La révolution palestinienne s’est levée pour accomplir l’impossible et non le possible. »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires