Fil du rasoir

Publié le 4 février 2008 Lecture : 2 minutes.

« Une voie sinueuse, mais nécessaire. » En qualifiant ainsi le processus entamé de rétablissement des relations diplomatiques entre Paris et Kigali, Bernard Kouchner ne pouvait mieux dire. D’un côté, le ministre français des Affaires étrangères fustige la « faute politique » de la France lors du génocide de 1994, s’inscrit en faux contre la thèse Bruguière d’un Kagamé pyromane et réfute celle du double génocide Tutsi-Hutu. De l’autre, il exonère l’armée française de toute responsabilité dans le drame et se défend d’apporter une quelconque « caution au régime rwandais ». En équilibre sur un panier d’ufs, Kouchner n’a pas choisi la position la plus confortable. Parfait représentant d’une classe politique française viscéralement allergique à l’autocritique, son prédécesseur de l’époque, Alain Juppé, a été le premier à tirer à vue sur le french doctor : « amalgames », « compromissions », « falsifications ». Un lynchage sémantique au nom de tous ceux qui, en ce printemps de 1994, connaissaient l’étendue du désastre et savaient qui tuait qui, l’écrivaient dans leurs notes confidentielles, mais ne trouvaient d’autre réponse à la question « Que faire ? » que celle-ci : empêcher par tous les moyens le « Khmer noir » Kagamé d’installer son « Tutsiland » à Kigali, quitte à fermer les yeux sur ce que Bruno Delaye, le conseiller Afrique de François Mitterrand (et actuel ambassadeur à Madrid), qualifiait dans une note au président en date du 28 avril 1994 de « massacres d’une ampleur horrifiante ».

S’il a fait sortir Juppé (mais aussi Édouard Balladur et Hubert Védrine) de ses gonds, il n’est pas sûr pour autant que Kouchner ait contenté ses hôtes rwandais. Vue de Kigali, mais aussi du côté de la vérité, sa tentative (obligée ?) d’accorder un non-lieu à l’armée française apparaît comme bien maladroite. Tant qu’à écrire l’Histoire, autant le faire jusqu’au bout. Dire, par exemple, que le poids de l’état-major fut déterminant sur les décisions prises alors par les responsables politiques. Dire aussi que nul mieux que les services de renseignements militaires français n’était informé de la planification et de l’exécution du génocide. La thèse, défendue par Kouchner, d’une armée française à l’honneur intact, exécutante décervelée d’une politique ordonnée par les civils, est trop cousue de fil blanc pour que cet homme intelligent y souscrive en son for intérieur.
Pourtant, en dépit de cet exercice imposé d’équilibrisme, le ministre français des Affaires étrangères a incontestablement fait preuve de courage politique en se rendant le 26 janvier à Kigali. D’autant qu’il n’ignore pas que le Rwanda a définitivement changé, et que ses relations avec la France ne seront plus jamais ce qu’elles furent. Aussi a-t-il tenu à préciser que le chemin qui mène à la normalisation était encore « assez long ». Une fois de plus, on ne saurait mieux dire

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