Crimes sans châtiment

Sanguinaire et corrompu au-delà de toute raison, l’ancien dictateur Suharto est mort le 27 janvier sans avoir été jugé. Sa popularité reste considérable.

Publié le 4 février 2008 Lecture : 3 minutes.

Recueillement et prières ont dominé, ce 29 janvier à Solo, l’ancienne cité royale javanaise, les funérailles fastueuses de l’ancien dictateur indonésien Suharto, décédé deux jours plus tôt à Jakarta, à l’âge de 86 ans.
Tukiran est chauffeur de bus. Avec sa famille, il a attendu pendant plus de dix heures le passage du convoi funéraire. Comme beaucoup d’Indonésiens de sa génération, il ne veut retenir que le bilan économique positif du « père du développement ». Dans la foule immense, personne ne s’est risqué à critiquer celui que tous appellent respectueusement « Pak Harto ». Ce « Père Harto » qui, trente-deux ans durant, dirigea d’une main de fer cet archipel de dix-sept mille îles, qui est aussi le premier pays musulman de la planète avec 120 millions d’habitants.

Bol de riz toujours rempli
Deux tonnes de jasmin et 100 kg de pétales de roses rouges avaient été commandés pour l’occasion. Pourtant, derrière la ferveur, une colère rentrée était çà et là perceptible. Et quand Siti Hardiyanti Rukmana, la fille de Suharto, a prononcé, des larmes plein la voix, les paroles rituelles « si mon père a commis des fautes, veuillez les lui pardonner », Mujiati a souri amèrement. Elle sait bien qu’au temps de l’Ordre nouveau instauré par Suharto, le bol de riz était toujours bien rempli. Mais cela ne lui fait pas oublier les coups de feu qui, une nuit de 1968, décimèrent sa famille, soupçonnée de sympathies communistes.
À l’époque, Mujiati était institutrice à Wonogiri. Après le drame, elle a passé plus de dix ans dans les geôles de Pulau Buru, où furent détenus plus de douze mille prisonniers politiques. « Avec la mort de Suharto, commente-t-elle, prend fin l’ère de l’ABS, l’Asal Bapak Senang. » Littéralement : « tant que le père est satisfait », terme utilisé par les Indonésiens pour désigner les années de dictature et de corruption généralisée. Elle n’a pas suivi la consigne officielle de mettre un drapeau en berne devant sa demeure. Pourtant, frémit-elle, « les anak buah [protégés de Suharto] continuent d’occuper des postes clés, puisqu’il n’y a pas eu de procès ».
Depuis son hospitalisation, le 4 janvier, l’impunité dont a toujours bénéficié le vieux dictateur a suscité d’âpres polémiques. Car l’homme que l’on a enterré avec tous les honneurs n’a jamais eu de comptes à rendre sur la manière dont il a accumulé son immense fortune – entre 15 milliards et 35 milliards de dollars -, aujourd’hui répartie entre ses six enfants. Soit, selon la Banque mondiale, entre 0,6 % et 1,3 % du PIB de l’Indonésie. Les associations humanitaires dénoncent quant à elles le silence de la justice devant les massacres perpétrés sous son règne.
En 1965, le général de division Suharto, profondément marqué dans sa jeunesse par la prise de la ville de Yogyakarta par les Hollandais (en 1948), met fin à Jakarta à une tentative de putsch contre Sukarno, le père fondateur de l’Indonésie. À la tête des armées, il lance une féroce répression contre le PC indonésien qui fera plus de 500 000 victimes. En 1968, il évince Sukarno. Dès lors, il va jouer sur tous les tableaux. Afin de s’assurer le soutien de la communauté internationale, et surtout des États-Unis, il brandit tour à tour le spectre du communisme athée et celui de l’intégrisme islamiste.
Ses trente ans de son règne auront été marqués par de terribles exactions : (emprisonnements, tortures, massacres, viols) dans les provinces rebelles d’Aceh et de Papouasie. Lors de l’invasion du Timor oriental, en 1975, près d’un tiers de la population sera exterminé. Ce n’est que près de dix ans après la fin de la guerre froide que Suharto, lâché par les États-Unis et par l’armée, sera acculé à la démission. Sur fond de crise financière asiatique et de violentes émeutes estudiantines.
Depuis, l’Indonésie a pris le chemin de la démocratie. Mais l’empreinte du vieux chef n’est pas près de s’effacer.

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