Cachez-moi ces djihadistes…
Après l’assassinat de quatre touristes français par de jeunes islamistes radicaux et l’annulation du rallye Dakar, la population oscille entre inquiétude et incrédulité.
Est-ce à cause de cette poussière ocre qui, au petit matin, enveloppe les minarets de Nouakchott dans un brouillard ? Hindou, employée dans une administration publique, ne sait pas au juste « où va la Mauritanie ». « Je suis inquiète, confie cette jeune femme ronde, élégante dans son boubou immaculé. J’ai peur que tout cela recommence. » « Tout cela », c’est le meurtre, le 24 décembre, de quatre touristes français à Aleg (à 250 km au sud-est de Nouakchott) par trois présumés djihadistes mauritaniens.
« L’attaque d’Aleg », comme l’ont rapidement baptisée les médias locaux, a entraîné l’annulation du rallye Dakar. Et, surtout, elle fait planer le spectre du terrorisme au-dessus d’un peuple qui, à l’exception de l’attaque de Lemgheity, en juin 2005, quand quinze militaires ont été tués par des hommes du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) parmi lesquels figuraient des Mauritaniens, n’a jamais vu les siens prendre les armes au nom de Dieu sur son propre territoire. Un mauvais souvenir que les habitants ont enterré sous les dunes, eux qui n’ont jamais de mots assez forts pour expliquer aux étrangers à quel point leur âme de Bédouin est pacifique. « En 2003, il y a eu un coup d’État, se souvient un homme d’affaires. Pendant deux jours, on ne savait pas où était le pouvoir. Mais il ne s’est rien passé, il n’y a eu aucune manifestation ! » La Mauritanie est un « pays sûr, tolérant, hospitalier et ouvert sur le monde », assure, le jour de l’annulation du rallye, un communiqué du ministère des Affaires étrangères. Dans sa parfumerie du centre de Nouakchott, madame Chérif donne le change : « C’est un acte isolé, ceux qui ont tué les Français ne sont pas de vrais Mauritaniens. »
Des venelles ombragées du marché Capitale aux couloirs des administrations, la grande majorité de la population ne peut croire que Mohamed Ould Chabarnou et Sidi Ould Sidina, deux des trois présumés meurtriers arrêtés le 11 janvier, sont des produits « faits maison ». Les deux jeunes gens – ils ont respectivement 26 et 20 ans – sont des enfants des quartiers populaires de Nouakchott : c’est là que vivent leurs familles, qu’ils ont grandi, qu’ils ont suivi les cours de l’école coranique et qu’ils sont devenus de petites frappes. Mais, pour l’imam Sidi Salem Ould Mohamed Moustapha, qui officie dans une petite mosquée d’Arafat, zone périphérique de la capitale où les sacs en plastique s’accrochent aux toits des bidonvilles, « l’idéologie qui a conduit ces gosses à tuer vient de l’extérieur, de l’Algérie ». « Dans mes prêches, se défend ce septuagénaire à la bouche édentée, mal voyant au point de tendre la main à une femme avant qu’un de ses proches ne l’arrête dans son élan, je parle de la situation en Irak, en Afghanistan, en Palestine, en Algérie, mais c’est toujours pour condamner la violence. » Assis derrière lui dans la pénombre du salon aux volets clos, une ribambelle d’enfants débraillés ajoute, en chur : « en Iran aussi ». Un non-violent, le vieil imam d’Arafat, qui concède toutefois que certains de ses pairs sont des « salafistes ». « Je n’ai pas besoin de citer des noms », ajoute-t-il, avant d’acquiescer quand on évoque celui de Mohamed el-Hacen Ould Dedew, un érudit radical formé en Arabie saoudite.
Des prêches violents
Comme l’imam Ould Mohamed Moustapha, quelques Mauritaniens finissent par évoquer, à l’encontre du discours officiel, certains prêches violents qui résonnent lors de la prière du vendredi. « Dans les haut-parleurs, raconte une ancienne journaliste, on entend que la terre d’islam est envahie, que nos frères musulmans subissent le joug de l’occupation et qu’il faut réagir. C’est un discours de plus en plus présent que l’on entend malgré soi. » Répandues dans le Maghreb, ces harangues n’ont jamais vraiment inquiété la Mauritanie. « On se disait que nos terroristes sévissaient à l’étranger, en Afghanistan, en Tunisie, en Irak, reconnaît un journaliste de l’Agence mauritanienne d’information. Le choc, cette fois, c’est qu’ils ont agi chez nous, en s’en prenant à des innocents. »
Pour beaucoup, le gouvernement actuel, et en premier lieu le chef de l’État, est en partie responsable. « Il a donné des gages aux islamistes », accuse le patron d’une grande entreprise. En août, quatre mois après l’élection de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, le parti de Jamil Ould Mansour, interdit sous Maaouiya Ould Taya et Ely Ould Mohamed Vall, a été autorisé. Ce politicien, proche des Frères musulmans, se présente comme un « islamiste modéré », mais nombre de ses compatriotes sont loin d’en être convaincus. Quelques jours plus tôt, l’essentiel des inculpés dans le procès des salafistes, arrêtés pour appartenance présumée au GSPC, ont été libérés. Autre signe que d’aucuns interprètent comme un « cadeau fait à l’islamisme » : la construction, dans le jardin du palais présidentiel, d’une mosquée où « Sidi » prie chaque vendredi avec quelques membres du gouvernement. Ou encore, le retour, depuis décembre, au week-end musulman. Et des bars et des boîtes de nuit qui ferment après des descentes de police, l’alcool qui se fait plus rare à Nouakchott, pour les étrangers comme pour les Mauritaniens.
« On nous dit qu’on est un pays moderne parce que l’on vient de franchir une étape, celle du passage à la démocratie [l’actuel chef de l’État, un civil, a été élu dans la transparence après quelque trente ans de pouvoir militaire, NDLR]. Mais comment voulez-vous attirer les investissements quand vous vous singularisez ainsi, alors que le reste du monde avance dans l’autre sens ! » s’insurge notre homme d’affaires. Pour d’autres, ces gestes ne sont que le fait d’un président âgé (70 ans cette année), membre d’une confrérie soufie – la Tidjaniya – et profondément fervent. Ce n’est pas l’avis des étrangers : « C’est un faisceau de signes qui nous a mis en alerte », confie un diplomate européen. Dans son bureau, Hindou, elle, se demande tout simplement si le renforcement des contrôles de police suffira à prévenir une autre attaque. Et regrette, nostalgique, comme certains de ses compatriotes, « le temps de Maaouiya Ould Taya [l’ancien chef de l’État renversé le 3 août 2005, NDLR], où il n’y avait pas tous ces problèmes. » (Lire aussi p. 52)
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