Un nouveau départ pour l’IMA ?

À l’heure où l’Institut du monde arabe fête ses 20 ans, Dominique Baudis fait le bilan des actions engagées depuis le début de sa présidence, en février 2007.

Publié le 4 décembre 2007 Lecture : 6 minutes.

La légende veut que l’Institut du monde arabe (IMA), inauguré le 30 novembre 1987 par François Mitterrand, soit l’un de ses « grands travaux ». En réalité, c’est son prédécesseur à l’Élysée, Valéry Giscard d’Estaing, qui l’avait « pensé », puis en avait décidé la construction en mettant autour de la table dix-neuf pays arabes. On retiendra, très exactement vingt ans après son ouverture, que l’actuel président, Nicolas Sarkozy, a manifesté son désir de répondre favorablement à l’invitation que le président Dominique Baudis lui a adressée pour la célébration, en décembre, du vingtième anniversaire.
« Le contexte s’y prête, sourit l’ancien président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, nous venons d’inaugurer une magistrale exposition consacrée à « La Méditerranée des Phéniciens »*, qui, c’est un pur hasard, fait écho au discours euro-méditerranéen du président de la République prononcé récemment à Tanger. Mais je n’y suis pour rien puisque j’ai succédé à Yves Guéna le 1er février de cette année. »
L’ancien correspondant de TF1 au Liban, qui fut bombardé à la tête d’une institution dont personne n’imaginait qu’elle lui correspondait, revient de loin. Il a trouvé en arrivant un bateau ivre. « Vingt ans d’IMA, vingt ans de déficit ! 15 millions d’euros cumulés sur un budget de 23 millions. Ce n’était plus possible, d’autant que la Cour des comptes venait de découvrir des manquements graves et des pratiques douteuses dans la gestion des collections. Des pièces disparaissaient. J’ai été dans l’obligation de porter plainte et de licencier le directeur du musée. Mais tout ça est derrière nous maintenant, nous avons repris la main. » Force est de constater qu’en dix mois à peine Baudis a réussi le tour de force d’obtenir de Chirac, quelques jours seulement avant la présidentielle, une rallonge de plus de 3 millions d’euros du Quai d’Orsay. « Après, c’était trop tard », dit-il, énigmatique. Dans le même temps, il prend son bâton de pèlerin pour aller convaincre des mécènes de mettre au pot. Il en ramène quatre (Suez, Veolia, Lagardère, TFN), qui s’ajoutent au seul existant jusqu’alors, Total. Le tout pour un montant de 2 millions d’euros par an.
L’argument ? « Toutes les entreprises françaises du CAC 40 font du business dans le monde arabe. À moi de les convaincre que leur intérêt est de ne pas sous-estimer la force symbolique du dialogue des cultures. L’exemple du Louvre à Abou Dhabi démontre l’intérêt réel de certains États du Golfe de parier sur le patrimoine et la création universels. »
Enfin, pour équilibrer le budget de l’institution (un léger excédent de 149 000 euros est pour la première fois prévu sur l’exercice 2007), le nouveau président a décidé de « louer » les espaces de l’Institut (en particulier la Médina, sorte de salon dédié à l’artisanat) aux États arabes qui, depuis l’ouverture du bâtiment, « manifestent leur insatisfaction » devant les refus répétés des programmateurs du lieu de leur consacrer « de la visibilité culturelle ».

Une « vitrine » du Qatar
« La difficulté est de tenir notre rang. Nous sommes une institution réputée dans le monde entier pour la qualité de ses expositions. On le doit d’ailleurs à l’un de mes prédécesseurs, Edgar Pisani, qui lança cette politique à la fin des années 1980. C’est aussi pour cette raison que plus d’un million de visiteurs passent ici chaque année. En même temps, j’entends bien nos amis arabes qui ne comprennent pas toujours qu’on leur refuse certaines de leurs propositions. »
Pragmatique, le président a donc décidé de concéder une partie de l’espace aux États qui souhaitent créer des « vitrines ». Le Qatar inaugurera la nouvelle formule dès 2008.
Pour autant, tout n’est pas réglé. Depuis l’origine, certains des vingt et un États arabes contributeurs sont mauvais payeurs ou ne payent pas du tout. C’est le cas de la Libye, de l’Irak, du Yémen, de la Somalie et du Soudan. Malgré les tentatives des présidents successifs de l’IMA (il y en a eu six en vingt ans) de régler le problème par la négociation diplomatique ou la mise en place d’un fonds de dotation, rien n’y fait. Cette année encore, le budget fait apparaître une baisse de 40 % des contributions des pays arabes. Sur un budget global d’environ 23 millions d’euros, la France contribue à hauteur de 11,87 millions d’euros et les pays arabes de 0,126 million d’euros, auxquels on peut ajouter le 1,06 million de produits financiers issus du placement du fonds de dotation. Les autres recettes, en hausse, sont constituées par les entrées, le mécénat, la location d’espaces et la vente de produits divers.
« Ce qu’il faut, insiste un familier des lieux, Mongi Bousnina, directeur général de l’Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences (Alecso), basée à Tunis, c’est trouver une autre manière de communiquer avec nos pays. S’ils sont parfois réticents à s’y impliquer davantage, c’est aussi parce que l’Institut n’a pas toujours cherché à s’intéresser à une programmation plus proche de nos sensibilités. Par exemple, donner plus de visibilité aux spectacles vivants ou à la littérature contemporaine qu’à la muséographie. »
Est-ce la seule raison qui justifie un tel désintérêt financier ? L’ambassadeur Yves Aubin de la Messuzière, spécialiste des questions arabes, et à ce titre vice-président de l’IMA, est plus direct : « Les pays du Golfe ont longtemps manifesté leur mauvaise humeur car, de fait, les pays du Maghreb ont été trop privilégiés dans l’institution. Mais c’est en train de changer. »
Au sein de l’IMA, les équipes ont été réorganisées et les effectifs réduits. « Cela ne se fait toujours pas sans mal, explique un membre du personnel. Il y a un an, on a subi un plan de licenciement collectif qui a concerné une dizaine de personnes sur 160 salariés, mais, à l’évidence, la création de 7 postes pour le service commercial cette année montre que les ambitions de la nouvelle présidence, c’est de rentabiliser. »
La volonté de Dominique Baudis d’en finir aussi avec les vieilles habitudes est réelle : « Il faut faire un effort d’imagination, aller sur le terrain, montrer les 400 uvres d’art contemporain arabe qui dorment dans nos caves, comme nous venons de le faire récemment à Alger. On ne peut pas toujours faire la même chose. Le public est devenu exigeant, et moi aussi. »

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Bonaparte et l’Égypte
Parmi les vraies ruptures, celle qui consiste à transformer la fameuse Biennale du cinéma arabe (qui fut pionnière mais qui, depuis, a essaimé à Marrakech ou à Tunis) en « Deauville du cinéma arabe ». « Nous devons, ajoute l’ancien maire de Toulouse, être la vitrine de ce qui se fait et se produit de mieux dans le monde arabe en partageant dans la mise en uvre de ces projets les responsabilités selon nos compétences. »
C’est dans cet esprit que la prochaine grande exposition « Bonaparte et l’Égypte » sera conçue en 2008 et que sera imaginée, pour l’été prochain, une immense fresque sur l’architecture contemporaine dans les Émirats. Le Français Jean Nouvel peut être content. L’auteur du désormais célèbre bâtiment abritant l’Institut sur les quais de la Seine fait partie des architectes qui concourent à la construction, à Dubaï, de la tour la plus haute du monde.

* Exposition « La Méditerranée des Phéniciens ». Jusqu’au 9 mars 2008. Tous les jours sauf le lundi de 10 heures à 18 heures, nocturne le jeudi jusqu’à 21 heures.
À lire également le n° 65 de la revue de l’IMA, Qantara, qui propose à cette occasion un remarquable dossier sur la légende des Phéniciens.
Par ailleurs, le 6 décembre, le « Jeudi de l’IMA » sera consacré aux 20 ans de l’institution.

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