Peindre la violence sociale

Un album met enfin à l’honneur la Sud-Africaine Marlene Dumas. En se concentrant sur la représentation des corps, cette artiste traite de sujets tels que le racisme, la sexualité, la mort.

Publié le 3 décembre 2007 Lecture : 2 minutes.

Il y en a cent onze. Cent onze visages d’Africains anonymes peints à l’encre et à l’aquarelle, sombres ou délavés, rarement souriants, parfois masqués. Ils forment une grille de 14 colonnes sur 8 lignes. À ces hommes, ces femmes, ces enfants, l’artiste sud-africaine Marlene Dumas (54 ans) a ajouté une plaque d’ardoise qui absorbe naturellement la lumière. Son objectif ? Tourner en dérision ces reproductions ethnographiques qui cherchaient à déterminer des points communs entre les membres d’une même ethnie, à faire entrer les humains dans des catégories strictes, à définir des « races » afin de les classer les unes par rapport aux autres. Cette uvre intitulée Black Drawings adopte la position opposée et rend à chacun son histoire, son caractère, sa personnalité propre. Il n’y a plus de catégories ni de races, seulement des individus marqués par leur passé.
Peu connue en France, mais reine des ventes aux enchères – l’un de ses tableaux, The Teacher, s’est vendu 3,3 millions de dollars -, Marlene Dumas fait enfin l’objet d’un livre d’art accessible à tous et permettant de découvrir l’ensemble de son travail. Née en 1953 à Kuilsriver (Afrique du Sud), étudiante au Cap dans les années 1970, elle s’est imposée au début des années 1980 après s’être installée aux Pays-Bas. Sa peinture n’a rien d’abstrait et se concentre sur la représentation des corps. Elle travaille à partir d’images préexistantes, de photos qu’elle a prises, mais aussi d’uvres célèbres ou d’images découpées dans des magazines, pour en offrir une lecture différente.
Visage en plan rapproché ou portrait en pied, la plupart de ses tableaux renvoient à des problèmes sociaux. La violence, le racisme, la maladie, le terrorisme, la pornographie sont abordés au travers d’histoires individuelles uniques. Ainsi, en 1985, Marlene Dumas peint The White Disease (la maladie blanche), à savoir le visage d’un albinos. Comme l’écrit Ilaria Bonacossa, « le titre [] fait de ce visage une représentation métaphorique du drame d’être blanc en Afrique du Sud, vécu par l’artiste comme une maladie héréditaire dont il est impossible de guérir. Le blanc devient, pour Marlene Dumas, une catégorie picturale autant qu’un terme politique ».
De fait, l’artiste a vécu comme un poids sa vie de femme « blanche », rangée malgré elle dans le camp de l’oppresseur durant l’apartheid. Quasiment expressionniste dans sa manière de peindre, jouant sur les transparences, Marlene Dumas n’hésite pas à choquer, à provoquer, voire à séduire, dans le sens le plus cru du terme. Point de repos dans ses peintures : les corps sont morts, violentés, sexuellement offerts. Ils racontent une histoire que l’on imagine sans peine. Les enfants eux-mêmes ne sont pas épargnés : Die Baba montre un bébé au regard pénétrant d’un adulte. Quant à Big Artists, c’est un groupe d’enfants dotés de sexes surdimensionnés
Marlene Dumas porte sur la vie un regard ironique et sensuel, jamais ignorant des qualités comme des travers humains. Le Peintre, l’une de ses plus belles uvres, représente une petite fille au visage renfrogné, au corps légèrement bleuté, dont les mains sont tachées de peinture – ou de sang : « Une sorte d’extraterrestre, une créature venue d’ailleurs et dotée de pouvoirs exceptionnels. »

Marlene Dumas, coll. Hypercontemporain, texte d’Ilaria Bonacossa, éd. Hazan, 110 pages, 19 euros.

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