Le cas Samraoui

Objet d’un mandat d’arrêt international pour « désertion », l’ancien officier des services de renseignements militaires a été placé sous contrôle judiciaire en Espagne. Et attend que la justice ibérique se prononce sur son sort.

Publié le 3 décembre 2007 Lecture : 4 minutes.

Rien ne promettait ce lieutenant-colonel algérien à pareil destin. Seulement voilà, à l’instar de certains déserteurs, Mohamed Samraoui a succombé au charme vénéneux de l’écriture. Et a signé, en septembre 2003, un brûlot contre les généraux, Chroniques des années de sang (Denoël). Riposte quasi immédiate de la justice algérienne, qui s’empresse de délivrer, le 1er octobre 2003, un mandat d’arrêt international contre lui pour « désertion, atteinte au moral de l’armée et activité terroriste ». Cinq ans après son émission, ledit mandat a fini par être exécuté par la police espagnole. Arrêté le 22 octobre dernier, puis libéré une semaine plus tard, Mohamed Samraoui, 54 ans, sera fixé sur son sort au début du mois de décembre. Faute d’un dossier suffisamment solide justifiant son extradition vers l’Algérie, il sera autorisé à rejoindre son domicile en Allemagne, où son statut de réfugié politique le met à l’abri d’un retour forcé au pays. Mais l’affaire a fini par créer des tensions dans les relations, déjà compliquées, entre l’Algérie et l’Espagne. Renégat pour les uns, officier courageux pour les autres, Samraoui n’est décidément pas un déserteur ordinaire.
C’est en 1974 que cet ingénieur en biochimie s’engage dans les rangs de l’armée. Brillant, il connaîtra une ascension fulgurante. D’abord officier, puis instructeur, il occupera divers postes au sein de la Sécurité militaire avant d’entrer, en mars 1990, dans le saint des saints : le Département du renseignement et de la sécurité (DRS), où il va officier en tant que responsable du service de recherche et d’analyse. C’est également là qu’il vivra de l’intérieur une série d’événements qui vont bientôt bouleverser le pays : les premières élections pluralistes de juin 1990, les législatives de décembre 1991 remportées par les islamistes, la démission du président Chadli en janvier 1992, son remplacement par Mohamed Boudiaf, l’assassinat de celui-ci en juin 1992 et, enfin, le début de la violence terroriste. Samraoui est un acteur et un témoin clé de cette période tumultueuse de l’histoire de l’Algérie.
Alors que son avenir semblait tout tracé, il démissionne de son poste pendant l’été 1992. Pourquoi cet officier émérite, parfait francophone, s’est-il sabordé du jour au lendemain ? À l’en croire, son départ est lié à un désaccord avec ses supérieurs sur la conduite à tenir dans le cadre de la lutte antiterroriste. Sincère ou de mauvaise foi, toujours est-il que sa hiérarchie ne lui en tient pas rigueur. Au lieu d’une retraite anticipée ou d’une mise au placard, il est nommé attaché militaire en Allemagne. L’Allemagne, cette terre d’asile qui servait de base arrière aux intégristes de tout poil, algériens en tête, dans les années 1990. En poste à Berlin, notre officier aura de quoi occuper ses longues journées. « Mon travail, nous a-t-il confié, consistait à infiltrer les réseaux islamistes ainsi que leurs soutiens et neutraliser les filières de financement et d’acheminement des armes vers l’Algérie. »

Un différend avec Lamari
Il faut croire que ses états de service ne sont pas passés inaperçus. Le commandant Samraoui est promu au grade de lieutenant-colonel et se voit accorder nombre de privilèges : résidence de luxe, voiture de fonction avec chauffeur, pension confortable. Mais les choses se dégradent à partir de septembre 1995, lorsqu’un différend l’oppose à son chef, Smaïn Lamari (décédé en août dernier), alors numéro deux du DRS. Dans son livre-réquisitoire, l’ex-officier relate sa version des faits. En septembre donc, Lamari l’aurait convoqué à une réunion secrète à Bonn. Très remonté, le redoutable patron des services secrets ordonne la liquidation physique de Rabah Kébir et d’Abdelkader Sahraoui, deux activistes du Front islamique du salut (FIS) à l’étranger. Samraoui refuse d’exécuter l’ordre. Cinq mois plus tard, il est rappelé à Alger. Une version toujours sujette à caution, qui n’a été ni confirmée ni démentie par les militaires algériens. Sanction ou fin de mission – au terme de quatre ans de service, les attachés militaires en poste à l’étranger sont de fait rappelés au pays -, la carrière militaire de Mohamed Samraoui s’achève en janvier 1996. En février, il déserte avant de trouver refuge en l’Allemagne.
Une nouvelle vie commence. Amateur du jeu d’échecs, Samraoui voyage en Europe pour participer à des tournois internationaux. Tenté par la politique, voire par une carrière d’opposant au pouvoir, il sympathise avec des responsables du FIS. Il fraye même un temps avec le Mouvement algérien des officiers libres (Maol), à qui il fournira des témoignages et des documents sur de prétendus enrichissements illicites et des exactions qu’auraient commises quelques pontes de l’armée. Ce n’est qu’en juillet 2002 que Samraoui sort de l’ombre à l’occasion du procès qui oppose, à Paris, l’ancien ministre algérien de la Défense Khaled Nezzar à l’ex-sous-lieutenant Habib Souaïdia, auteur du livre La Sale Guerre. S’estimant diffamé, Nezzar veut laver son honneur devant une juridiction française. Pour sa défense, Souaïdia demande à Samraoui de témoigner en sa faveur et contre le général à la retraite. Flairant la bonne affaire, un éditeur parisien, Denoël, s’empresse de transformer le témoignage de Samraoui en un livre incendiaire contre les généraux. Douze jours après la publication du pamphlet, la justice algérienne se saisit de l’affaire et contre-attaque.

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