À la recherche d’un nouveau modèle
Le Maroc a de grandes ambitions dans le tourisme, mais a-t-il une stratégie pour assurer le développement à long terme ?
En quelques années, le tourisme est devenu l’une des plus importantes ressources économiques mondiales, représentant chaque jour environ 2 milliards de dollars de recettes. En 2006, 846 millions d’arrivées de touristes ont ainsi été comptabilisées dans tous les pays. Dans une quinzaine d’années, ce chiffre devrait avoir doublé. Pour le Maroc, l’équation n’est pas simple. Le fait d’attirer des visiteurs étrangers n’est nullement un gage de contribution au développement, comme le rappelle le cas de la Tunisie : malgré 6,4 millions de touristes en 2006, autant que le Maroc, le pays n’en tire pas pleinement profit, en raison d’un positionnement très bas en termes de prix. Un touriste en Tunisie dépense en moyenne trois fois moins que dans un autre pays méditerranéen. Le Maroc devra donc transformer les 10 millions de touristes qu’il entend attirer et les millions de nuitées associées en espèces sonnantes et trébuchantes.
Six stations dans le Plan Azur
Les premiers signes sont positifs. Fort d’une politique impulsée au plus haut niveau, le pays est déjà parvenu à stimuler des investissements colossaux, mieux que tout autre alentour. Plus de 15 milliards de dollars d’investissements pour une vingtaine de projets ont été annoncés par une poignée de multinationales. La très bonne tenue des investissements étrangers au Maroc en 2006 est en grande partie due à ces grands projets touristiques. Les plus importants sont désormais connus. Parmi ceux-ci, le développement des six grandes stations bâties dans le cadre du Plan Azur devrait susciter 5,3 milliards de dollars d’investissements, selon le cabinet CB Richard Ellis. L’argent venant à l’argent, les stations du Plan Azur ont par ailleurs suscité l’engouement de nombreux constructeurs, notamment du Golfe, qui dévoilent eux aussi depuis un an des projets tout aussi grandioses, dans différentes régions du pays et pour plusieurs centaines de millions de dollars : modernisation de la station de ski d’Oukaimeden, construction de Bahia Bay sur la côte atlantique, projet d’oasis résidentiel à Ouarzazate.
Si la moisson semble assurée pour quelques années, les chiffres ne doivent pas tromper, aussi élevés soient-ils. À l’échelle de l’économie marocaine, leurs conséquences directes sur la croissance restent plutôt limitées. Probablement en sera-t-il ainsi jusqu’à l’ouverture totale au public des nouvelles stations touristiques. Si l’immobilier et le BTP sont devenus un des principaux contributeurs à la croissance du PIB marocain, si les cimentiers enregistrent un net surcroît d’activité, si les banques sont en concurrence frontale pour proposer des crédits aux particuliers, c’est bien davantage grâce au boom du logement social qu’aux grands projets de tourisme, qui restent plus médiatiques qu’économiquement significatifs. À terme, selon les objectifs officiels, si le Maroc parvient à attirer 10 millions de visiteurs chaque année, la contribution du secteur touristique au PIB pourrait être portée à 20 %, soit plus du double du niveau actuel, et 600 000 emplois supplémentaires devraient être créés. Mais la réussite économique dépendra de la capacité des promoteurs à remplir les nombreux hôtels en construction, comme de celle du Maroc à attirer non des visiteurs de passage mais des résidents pour plusieurs mois.
Connaître ses concurrents
Le « positionnement » marketing du pays n’est pas encore suffisamment bien déterminé pour savoir si le pari est risqué ou réalisable. Comment se distinguera-t-il entre des destinations méditerranéennes aussi puissantes que la côte espagnole, la côte d’Azur française, les stations balnéaires turques, les îles grecques et croates, les pyramides égyptiennes ? La réponse à ces questions déterminera assez clairement les réels effets économiques du développement touristique au Maroc. Dans l’immédiat, le modèle marocain semble jouer de plusieurs arguments complémentaires : le développement d’un tourisme balnéaire résidentiel orienté vers le haut de gamme et la multiplication de niches, comme le golf, la planche à voile, le désert. Sous cet angle, il se présente comme une alternative à une côte espagnole désormais saturée et relativement coûteuse.
L’exemple de la deuxième destination touristique mondiale (avec 58,5 millions de visiteurs en 2006) est instructif : l’Espagne a développé son secteur touristique à grande vitesse, essentiellement autour du concept « soleil et plage » et en réalisant des investissements immobiliers massifs. Comme le Maroc aujourd’hui. Résultat, le balnéaire représente plus des deux tiers de la demande touristique dans la péninsule Ibérique. Mais l’excès de constructions provoque depuis quelques années une véritable crise sur le marché immobilier, les investisseurs ayant de plus en plus de difficultés à revendre leurs biens. Et l’environnement a souffert : les côtes sont fragilisées et l’écosystème marin et terrestre se dégrade. Comme au Maroc demain ? Le fait que le groupe espagnol Fadesa, qui construit Saïdia et Plage Blanche, deux des plus importantes stations touristiques du Maroc, ait reçu cette année le prix Atila, décerné pour « sa contribution à la destruction du milieu ambiant » peut sembler inquiétant. Selon Ecologistas en Acción, la confédération de 300 groupes écologistes espagnols qui a décerné le prix, Fadesa compte en Espagne « plusieurs projets qui ont été dénoncés devant les tribunaux »
Les autres modèles de développement rapide dans la région sont ceux de la Turquie, de l’Égypte, voire de Dubaï. Les deux derniers sont très éloignés des objectifs visés par le Maroc, qui semble dans l’immédiat se placer en concurrent sérieux de la Turquie, qui attire chaque année près de 20 millions de touristes. Pour le royaume, la pérennité de sa stratégie touristique viendra d’un mélange subtil : l’entretien des sites sur le long terme, la capacité de fidélisation, un positionnement clair sur un marché de plus en plus concurrentiel, l’élargissement des cibles touristiques au nord et à l’est de l’Europe ainsi qu’aux pays du Golfe, la poursuite de l’ouverture aérienne, la rigueur et le professionnalisme juridique, la rationalisation du monde des intermédiaires immobiliers. Un des ultimes challenges auquel le Maroc est confronté tient à la formation des personnels, un ingrédient qui fait encore cruellement défaut mais que le gouvernement semble avoir pleinement intégré dans ses ambitions de développement.
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