La France espère signer son grand retour en Algérie

Si les Algériens ont choisi de faire jouer la concurrence, les entreprises françaises ont su s’adapter. Aujourd’hui, elles investissent et reviennent en force. La visite de Nicolas Sarkozy, du 3 au 5 décembre, doit le confirmer.

Publié le 3 décembre 2007 Lecture : 6 minutes.

Frileux. Ce reproche qui court depuis des années dans les milieux d’affaires algériens pour dépeindre les réticences des entreprises françaises à s’implanter en Algérie a du plomb dans l’aile. À l’encontre de toutes les idées reçues, les investissements français y ont flambé de 111 % en 2006, passant à 294 millions de dollars, selon les estimations de la Banque d’Algérie. Seuls les États-Unis ont fait mieux l’an passé avec 369 millions de dollars.
« La France est le premier investisseur en Algérie hors pétrole », rappelle Jean-Marie Pinel, le président de KPMG Algérie. Une tendance qui tombe à pic pour le chef de l’État français. À défaut d’être accueilli aussi chaleureusement par la population d’Alger et de Constantine que son prédécesseur, il pourra inscrire sa visite officielle en Algérie, du 3 au 5 décembre, dans un environnement économique favorable entre les deux pays avec des échanges commerciaux qui ont doublé en dix ans, pour s’élever à 8 milliards d’euros en 2006. Et la moisson de « nouveaux » contrats que Nicolas Sarkozy espère annoncer lors de son déplacement confirmera à coup sûr la dynamique française dans le pays. On parle d’une somme de plus de 5 milliards d’euros, qui mettra notamment en vedette Alstom, Areva, Gaz de France et Total. L’envolée des investissements français sur le sol algérien pour 2007 sera également confirmée.
Ce retour en force crée la surprise au regard de la volonté affichée par les autorités algériennes, ces dernières années, de jouer la carte de la diversification dans la recherche de partenaires économiques. « Il n’y a plus de situation acquise. C’est fini. Il faut démontrer que l’on est le meilleur. Et si les Français ont des atouts à faire valoir, les Algériens ont appris à travailler avec d’autres entreprises », assure Brahim Benabdeslem, le patron de MDI, un cabinet conseil et de formation en management d’Alger.

250 filiales françaises emploient 20 000 personnes
Dans ce contexte, la France fait mieux que résister. Forte de sa seconde position en matière d’investissements directs étrangers (IDE) en 2006, elle devance l’Espagne, sa poursuivante, avec un total de 191 millions de dollars investis. Et laisse loin derrière elle l’Égypte (157 millions) et la Grande-Bretagne (64 millions), respectivement quatrième et cinquième. Les entreprises françaises résistent à la percée des investisseurs chinois, turcs et arabes dans les infrastructures, l’immobilier et le tourisme. C’est un consortium sino-japonais qui a décroché l’an passé la construction de l’autoroute est-ouest, un marché de 10 milliards de dollars à livrer en 2009. Ou un groupement sino-turc, cette fois, qui réalisera une nouvelle ligne ferroviaire électrifiée dans l’Est algérien, pour 1,7 milliard de dollars. Et c’est un promoteur de Dubaï, Emaar, qui a fait une entrée fracassante en Algérie en lançant, début octobre, quatre projets immobiliers évalués à 20 milliards de dollars. Dont l’aménagement de la baie d’Alger.
Certes, ces nouveaux entrants ont décroché d’imposants marchés qui sont passés sous le nez d’opérateurs français bien mieux implantés. Mais les chiffres de la Banque d’Algérie pour 2006 sont formels. À part l’Égypte, grâce à la puissance d’Orascom, ces nouveaux pays sont encore dans le bas du tableau du Top Ten des investisseurs étrangers. Avec 105 millions de dollars, le Koweït est en septième position. Et la Chine au neuvième rang avec 56 millions de dollars investis (+ 167 %). « La plupart des marchés décrochés par les Chinois sont sur trois ans. Ils ne recrutent pas localement, arrivent avec leurs gardiens de parking et leurs chauffeurs puis retournent chez eux. Quant à Emaar, on attend de voir. Pour l’instant, le groupe n’a fait que des annonces », tempère Jean-François Huegaz, le directeur de la chambre française de commerce et d’industrie en Algérie.
À l’inverse, 250 filiales françaises y emploient plus de 20 000 personnes, principalement dans l’automobile, l’agroalimentaire, l’industrie pharmaceutique, le secteur pétrolier et les services financiers. Avec 2 500 salariés, Sodexho est l’un des premiers employeurs du pays. Et environ 600 entités françaises sont immatriculées au registre du commerce algérien. « Il y a tout un tissu de PME françaises qui viennent sans tambour ni trompette en Algérie pour trouver un partenaire et développer des relations avec une entreprise de même taille. Vous ne verrez jamais d’investisseurs chinois avoir ce type de démarche », observe Slim Othmani, patron du groupe agroalimentaire NCA-Roubia.
Mais qu’en sera-t-il demain lorsque la Chine, la Turquie ou l’Égypte auront comblé leur retard technologique ? La France reste le premier fournisseur de l’Algérie. Ces dix dernières années, les exportations françaises ont doublé, pour s’établir à 4 milliards d’euros en 2006. Les biens d’équipements professionnels (mécanique, équipements électroniques) trustent la première marche du podium avec 32,6 % des exportations françaises. L’automobile (20,8 %) arrive deuxième, suivie des biens intermédiaires (16,4 %), des biens de consommation (16,1 %), des produits agricoles (8 %) et agroalimentaires (5,3 %).
Cette position enviable ne doit pas faire un écran de fumée. Avec une part de marché de 20,5 % l’an passé, la France distance nettement le deuxième – l’Italie (8,9 %) -, mais elle perd près de quatre points depuis 2003 (24 %). En quelques années, à l’inverse, la Chine s’est hissée de la onzième à la troisième place avec une part de marché de 8,1 % en 2006. C’est notamment pour contenir la montée en puissance des exportations chinoises que les entreprises françaises actionnent le levier des investissements pour défendre leurs positions. Un objectif partagé par de nombreuses entreprises algériennes, malmenées elles aussi dans leur propre pays par l’arrivée massive du « made in China » à bas prix.

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Plus de 250 patrons réunis
Un sujet de préoccupation commun qui a sans doute été évoqué par les chefs d’entreprise, français et algériens, réunis l’après-midi du 3 décembre 2007, dans les salons de l’hôtel Sheraton d’Alger pour tenir un Conseil d’affaires à l’occasion de la venue de Nicolas Sarkozy. Une première. Initié côté algérien par le Forum des chefs d’entreprise (FCE), il a trouvé un écho favorable auprès du Medef, le patronat français. Conduite par Laurence Parisot, la présidente du Medef, la très forte délégation d’une centaine de dirigeants, emmenée par Gérard Mestrallet et Jean-François Cirelli, qui codirigent l’ensemble né de la fusion à l’automne de Suez et de Gaz de France, Denis Ranque (Thales), Patrick Kron (Alstom), Pierre Mongin (RATP) ou Patrick Lucas (Gras Savoye), ont débattu avec environ 150 de leurs homologues algériens.
Au programme : l’innovation, le développement durable et les moyens de renforcer la coopération entre les entreprises. Mais également concevoir des qualifications techniques et de management de meilleure qualité en Algérie. « Le faible niveau de formation est le talon d’Achille de l’économie algérienne, justifie Slim Othmani. Des efforts communs ont déjà été réalisés, mais cela demeure insuffisant. Nous pourrions aller plus loin ensemble et imaginer un programme de formation de cadres supérieurs. » Comment ? En multipliant les filières communes et en favorisant les stages d’immersion de cadres algériens en France. Et inversement. Ou encore, en incitant la communauté algérienne établie en France à apporter son savoir-faire en Algérie et aux chefs d’entreprise français d’origine maghrébine à investir de ce côté-ci de la Méditerranée. Vaste chantier.
Ce n’est pas le seul. Le resserrement des relations entre les sociétés des deux pays sera également une entreprise de longue haleine. « Nous devons développer des partenariats, des joint-ventures. Il y a des pistes nouvelles à creuser », lance Brahim Benabdeslem, le président de MDI. Comme de profiter de l’expérience de la France dans le domaine des franchises, en plein développement en Algérie (Yves Rocher, Carré Blanc). Ou de participer à l’implantation d’une chambre de commerce et d’industrie algérienne en France. Les entreprises publiques algériennes et une grande partie des 300 000 PME privées ont une carte à jouer. L’an passé, le solde de la balance commerciale a tourné en faveur de l’Algérie, avec un excédent de 106 millions d’euros. « Le climat d’affaires est excellent avec les entreprises françaises », se félicite Jean-Marie Pinel. Autant en profiter.

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