Elyes Jouini

Éternel premier de la classe et économiste haut de gamme, il tente de faire bouger la recherche et les universités françaises. Avant d’insuffler le vent de la réforme en Tunisie ?

Publié le 3 décembre 2007 Lecture : 4 minutes.

Elyes Jouini, 42 ans, vice-président de l’université de Paris-Dauphine, est un fort en thème. Un de ces personnages agaçants qui, sur les bancs de la maternelle, ont contracté une fâcheuse habitude dont ils n’ont jamais réussi à se défaire : être toujours premiers en tout. Qu’on en juge : classe préparatoire au lycée Sainte-Geneviève de Versailles à 17 ans ; admission à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm à 19 ans ; reçu premier à l’agrégation de mathématiques à 22 ans ; professeur à l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (Ensae) et à Paris I à 27 ans Et tout à l’avenant.
La conversation s’engage, à l’heure du café, dans le hall presque désert d’un centre de conférences de l’avenue Hoche, à Paris, où il est venu animer un atelier consacré à la recherche financière. Très vite, l’image de la bête à concours s’estompe. Mon interlocuteur est un homme d’allure juvénile, modeste, souriant et chaleureux. Père de deux garçons (7 ans et 10 ans), il est, à l’évidence, à des années-lumière du « professeur Cosinus », la caricature du mathématicien féru d’abstraction pure comme on en trouve dans les bandes dessinées. Son truc, c’est le concret. Son credo : « être à l’écoute du réel et de l’humain. »
Les travaux qui lui ont valu la consécration scientifique – et le prix du meilleur jeune économiste de France, en 2005 -, portent sur les comportements des intervenants sur les marchés financiers. Ils intègrent donc, nécessairement, une dimension psychologique et même sociale. Après une escapade américaine, deux ans durant, comme professeur invité à la New York University, il a rejoint, en 2000, l’université Dauphine. Parce qu’il s’agit d’une structure à taille humaine. Et que l’interdisciplinarité y est la règle.

Les maths, contre toute attente
Réservé et détestant les effets de manche, Elyes Jouini est un garçon bien élevé issu d’une famille tunisoise aisée et francophile. Son grand-père maternel fut premier président de la Cour de cassation et son père, mort quand il n’avait que 3 ans, inspecteur des finances. L’un de ses frères est aujourd’hui médecin. Le jeune garçon fut élevé par sa mère, employée dans le privé.
Élève au lycée français de Mutuelleville, qui ne s’appelait pas encore Pierre-Mendès-France, il vit à Tunis jusqu’à l’âge de 17 ans, s’imagine ingénieur ou physicien – et surtout pas matheux – et rêve d’entrer à Polytechnique. Mais l’« X », qui est une école militaire, lui ferme la porte au nez : il est déclaré inapte aux épreuves physiques, pour insuffisance respiratoire. Il se console en passant les concours de Normale sup’ : Saint-Cloud et la rue d’Ulm. Admis dans ces deux écoles dès sa première tentative, il choisit, logiquement, Ulm. Licence, maîtrise, agrégation de mathématiques, troisième cycle, puis doctorat en mathématiques appliquées à l’économie, pour être en prise avec le réel Il découvre un champ de recherches illimité, commence une carrière d’enseignant-chercheur puis, en 1994, devient codirecteur du laboratoire de finance-assurance du Centre de recherche en économie et statistique (Crest), qui dépend de l’Insee.
Son parcours est suivi avec attention et fierté en Tunisie, où il a conservé beaucoup d’attaches. Coopté au sein de la Commission de rénovation universitaire, puis de celle des programmes et des projets universitaires, il participe à la création du cycle préparatoire de l’Ipest, calqué sur le modèle français, et à celle de l’École polytechnique de Tunis. Entre 1992 et 1996, il fait la navette entre Paris et Tunis, où il dirige le laboratoire d’économie et de gestion industrielle du nouvel établissement.
Il devient ensuite consultant auprès du ministère des Finances et participe à toutes les études sur la réforme et la mise à niveau du secteur de l’assurance. Des travaux qui lui valent d’être nommé au conseil d’administration de la Banque de Tunisie. « Comme expert, précise-t-il, pas comme actionnaire de référence. »
Enfin, c’est un pilier de l’influente Association des Tunisiens des grandes écoles (Atuge), aujourd’hui forte de trois mille membres. Grand frère davantage que prof, il se montre abordable, disponible, jamais avare d’un conseil ou d’une recommandation à un compatriote. « Je sais ce que je dois à mon pays et ne l’oublierai jamais, explique-t-il. J’ai reçu une bourse d’État grâce à feu Mokhtar Latiri, l’architecte de la filière A, qui permet aux Tunisiens d’intégrer, sur dossier, les meilleures prépas françaises pour tenter les concours. Ne pas renvoyer l’ascenseur aurait été la pire des ingratitudes. »

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Pour l’autonomie des facs françaises
À Dauphine, où il a trouvé le cadre idéal pour travailler, il chapeaute aujourd’hui la recherche. C’est un farouche partisan de l’autonomie des universités. « Il faut desserrer le carcan de la tutelle, estime-t-il. Donner aux présidents d’université les moyens de définir leur politique de recrutement et leur politique scientifique. Leur permettre de donner des incitations, de trouver des financements privés quand c’est envisageable. La France doit réagir, car la compétition s’exacerbe. Outre celle des Anglo-Saxons, nous sommes désormais confrontés à la concurrence des établissements suisses, néerlandais, espagnols ou scandinaves. » Membre, depuis l’an dernier, du Haut Conseil de la science et de la technologie, une instance consultative rattachée à la présidence de la République, il a participé à la rédaction d’un avis sur la réforme des universités, laquelle est, on le sait, un des projets phares de Nicolas Sarkozy.
À Tunis, certains regrettent d’ailleurs qu’il ne s’implique pas davantage dans la réflexion sur les orientations d’ensemble de l’enseignement supérieur local. Est-ce parce qu’il n’aime pas se mettre en avant ? « Nous avons peu de gens de son calibre. Ses avis seraient certainement écoutés, considère Hassen Zargouni, le président de l’Atuge Tunis. C’est vrai qu’on attend beaucoup, et peut-être trop, de lui. Mais ce serait formidable s’il pouvait faire des propositions de réformes pour transposer un peu de l’esprit et des méthodes de Dauphine dans l’université tunisienne, qui en a bien besoin. »

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