Débats au sommet

À l’ordre du jour de la rencontre de Lisbonne, la signature des Accords de partenariat économique.

Publié le 3 décembre 2007 Lecture : 6 minutes.

Prétendant dire tout haut ce que les Africains pensent tout bas, le président Abdoulaye Wade a dénoncé dans les colonnes du quotidien français Le Monde du 16 novembre le manque de vision européenne. « Si l’Europe n’a plus que la camisole de force des Accords de partenariat économique (APE) à nous proposer, on peut se demander si l’imagination et la créativité ne sont pas en panne à Bruxelles », écrit le chef de l’État sénégalais. À l’approche du deuxième sommet Europe-Afrique, dont la grande ambition est de sceller un partenariat novateur entre les deux continents, les déclarations de Wade font désordre. Et pourraient gâcher une fête déjà entachée par l’« affaire Mugabe » (voir page XX).
« L’Europe souhaite organiser cette rencontre depuis plusieurs années pour ne pas laisser le champ libre à la Chine, au Japon, aux États-Unis et même aux Sud-Américains, des partenaires qui marchent de plus en plus sur ses plates-bandes, explique un diplomate africain. Mais, elle a longtemps buté sur le cas du président zimbabwéen Robert Mugabe, que le Royaume-Uni ne souhaite pas voir au sommet. » À l’heure où les divergences se font de plus en plus nombreuses avec leurs partenaires africains, les Européens souhaiteraient adopter, à l’issue du sommet, une grande déclaration de politique eurafricaine et un document de stratégie conjointe. Après cinq années de négociations difficiles, il s’agit avant tout pour les 27 pays de l’Union européenne (UE) de ne pas repartir les mains vides
À l’origine, la remise en cause de l’accord de Cotonou par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), à la suite de plusieurs plaintes de ses membres, déposées au début des années 1990. Motif : certains régimes dérogatoires d’accès au marché européen (bananes, viandes, etc.) pour les pays ACP (79 pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique) ne sont pas conformes aux règles internationales. S’engouffrant dans la brèche ouverte par l’OMC, l’UE prône alors la signature de nouveaux Accords de partenariat économique (APE). Les négociations doivent s’achever avant le 31 décembre, date d’expiration du précédent accord. Mais les APE qui contraignent, au nom du libre-échange, les pays ACP à ouvrir davantage leurs marchés aux Européens, sont loin de faire l’unanimité.
« Il ne faut pas accentuer un déséquilibre de fait et livrer totalement les marchés africains aux produits européens subventionnés. Non ?seulement l’industrie africaine n’a pas la capacité de répondre à une forte demande européenne, mais ce dispositif de désarmement tarifaire entraînerait d’énormes pertes de recettes douanières pour nos pays », explique le président sénégalais. Ces rentrées constituent entre 35 % et 70 % des budgets des États africains. Le Sénégal perdrait ainsi 175 millions d’euros de recettes fiscales par an et le Nigeria 800 millions. « Cela revient à annoncer aux populations : Chers compatriotes, nous venons de signer avec l’Europe un nouvel accord de coopération ?qui supprime 35 % de nos budgets. ?En conséquence, nous allons supprimer des écoles, des dispensaires, des hôpitaux, des projets de routes, licencier des fonctionnaires en attendant des compensations hypothétiques ! C’est indéfendable », s’emporte Abdoulaye Wade.
Pourtant, l’UE a prévu des mécanismes pour amortir le choc, notamment la création d’un fonds de compensation des pertes de recettes fiscales. Une dérogation pour des produits « sensibles », qui conserveraient leur niveau de protection, est également envisagée. Ce qui reste insuffisant pour Wade : « L’allocation de sommes d’argent ne compense pas des déséquilibres structurels durables. Entre des mesures pour protéger mon économie d’une concurrence destructrice et une somme d’argent, je préfère les mesures de protection ! L’argent se dépense si vite. Mais après ? »
Les négociateurs africains des APE se sont, par ailleurs, bien défendus, puisqu’ils ont obtenu l’allongement des délais (parfois jusqu’à vingt-cinq ans) pour le démantèlement de leurs barrières douanières. Enfin, le volet développement des APE aiderait les ensembles régionaux (Cedeao/UEMOA pour l’Afrique de l’Ouest, la CEEAC/Cemac pour l’Afrique centrale, la SADC pour l’Afrique australe et le Comesa pour l’Afrique orientale) à réaliser leur intégration par la constitution de marchés communs viables.

Les résistances persistent
Alors, pourquoi les résistances africaines persistent-elles ? « Je crois que nous n’avons pas su vendre ces accords, reconnaît un diplomate européen. Quand certaines ONG n’ont cessé de marteler que les APE entraîneraient une catastrophe économique. » Autre argument invoqué, cette fois-ci, par les pays les moins avancés (PMA) : « Nous n’avons aucun intérêt à signer les APE alors que nous bénéficions de l’initiative Tout sauf les armes (TSA), nous permettant d’exporter tous nos produits vers l’Europe en franchise de douanes. » Enfin, les pays africains qui jouissent d’une rente pétrolière ne sont pas prêts à participer à un marché commun, par crainte de devoir partager leur richesse, d’abandonner une partie de leur souveraineté et d’accepter la libre circulation des marchandises et des personnes.
Dans ce contexte, le président sénégalais propose de remplacer les APE par des Accords de partenariat et de développement (APD) dissociant le commerce du développement et prônant les délocalisations d’entreprises européennes en Afrique. Une proposition qui arrive bien tardivement et que les Européens contestent puisque les APE contiennent déjà un volet développement. Toutefois, les « Accords de partenariat et de développement permettraient d’instaurer un développement équitable et mutuellement enrichissant, estime Wade dans sa tribune. Au total, l’Europe et l’Afrique devraient se forger un destin commun en lançant les fondements d’une alliance objective sur la base de nos complémentarités. La France pourrait, avec le Sénégal, en prendre l’initiative. C’est ce message d’espoir que je compte porter au prochain sommet. » De quoi agacer un peu plus les chefs d’État européens, qui reprochent au président français des initiatives par trop individuelles

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Dissensions sur la banane
Dans cette ambiance délétère, les 27 pays européens ont proposé aux ACP de conclure des APE partiels sur le commerce des marchandises, renvoyant les services et les règles sur les investissements à des discussions ultérieures. Trois groupes régionaux de pays sur six semblent déjà d’accord de principe : l’Afrique de l’Est, l’Afrique australe, et la zone Pacifique. Les Caraïbes réfléchissent, tandis que les pays du pré carré français, l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale, s’y opposent.
Du côté européen, on constate aussi des dissensions ravivées par le régime d’importation des bananes au sein de la communauté. La France et l’Espagne, premiers producteurs de ce fruit dans l’UE, grâce à leurs territoires périphériques (Canaries, Martinique, Guadeloupe), veulent que la banane soit considérée, au même titre que le sucre et le riz, comme des produits sensibles. Et que leurs producteurs soient mieux protégés de la concurrence venue des pays ACP. Pour les contenter, Bruxelles s’est engagé à mettre en place un mécanisme de sauvegarde : en cas d’augmentation de 25 % des importations de bananes ACP, l’UE pourra décider, par exemple, de relever provisoirement les tarifs douaniers. Cet engagement suffirait à la France et à l’Espagne. Mais les gros producteurs africains, comme la Côte d’Ivoire et le Cameroun, crient au scandale et devraient remettre le dossier sur la table d’autant que la Royaume-Uni, la Suède et le Danemark s’y opposent également. L’UE leur a bien proposé de signer des accords commerciaux à titre individuel, mais leurs partenaires de la Cedeao et de la Cemac n’y sont pas favorables. Quels sont les groupes de pays qui signeront les APE avec l’UE ? Quel en sera le contenu ?
Le sommet de Lisbonne promet de vifs débats. En cas d’échec des négociations, les Européens se veulent menaçants : les pays qui n’auront pas signé l’accord avant le 31 décembre verront automatiquement les barrières douanières européennes se relever. Mais d’ici là, les négociateurs devraient trouver une solution politique pour sauver la face.

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