Coup de blues

Échec de Tanger dans la course à l’organisation de l’Exposition internationale 2012, conjoncture économique difficile, fragilité politique… Les Marocains n’ont pas perdu confiance, mais s’interrogent.

Publié le 3 décembre 2007 Lecture : 5 minutes.

Après une année de sécheresse et un été indien qui a joué les prolongations, les averses de la fin novembre auraient pu dissiper la morosité ambiante si, à quelque 1 500 kilomètres de Tanger, dans le froid d’une nuit parisienne, un mauvais coup de plus n’avait été porté au moral des Marocains : ce ne sera pas dans la ville du détroit, mais à Yeosu, en Corée du Sud, que se tiendra l’Exposition internationale de 2012. A priori, rien d’humiliant pour le royaume, qui avait bien vendu sa candidature (voir pp. 46-47). Mais dans le contexte d’incertitude actuel, l’élimination de Tanger risque bien d’avoir les mêmes conséquences psychologiques sur les Marocains que celle de Paris, candidate à l’organisation des jeux Olympiques de 2012, sur celui des Français à l’été 2005, quelques semaines seulement après l’échec du référendum sur le traité constitutionnel européen.
Entre la flambée des cours du pétrole – qui, même si elle n’est pas répercutée sur les tarifs à la pompe, n’en est pas moins une source d’inquiétude – et l’envolée des prix du blé – qui, elle, est durement ressentie par les consommateurs, comme en témoignent les manifestations contre « la vie chère » de septembre -, la population a de quoi nourrir des craintes. « On travaille pour payer l’essence et le patron », ironise Younes, chauffeur de taxi à Casablanca. « Nous sommes dans un contexte d’augmentation des prix et il n’y a aucune augmentation de salaire ! » s’insurge en écho Lahcen Daoudi, secrétaire général adjoint et député du Parti de la justice et du développement (PJD, opposition). Près de trois mois après des législatives très attendues et un mois et demi après l’annonce de la composition du nouveau gouvernement, le 15 octobre, la litanie du ras-le-bol a déjà remplacé la berceuse des espoirs postélectoraux, au sein de la classe politique comme de la population. À bien des égards, ce début de législature ressemble à une fin.
Rares sont ceux qui prédisent une longue vie au gouvernement de Abbas El-Fassi. Dans son rôle d’opposant, Lahcen Daoudi estime, avec une provocation non dissimulée, que « plus tôt il sera remanié, mieux ce sera pour le Maroc », arguant de l’incompétence de certains de ses membres. Même dans la majorité, les pronostics vitaux ne sont guère optimistes. « J’envisage le scénario d’une motion de censure dans deux ans », confie un militant de l’Istiqlal, formation dont le Premier ministre est secrétaire général « Dans le meilleur des cas, le gouvernement durera jusqu’aux municipales de 2009 », estime de son côté un membre de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), qui détient cinq portefeuilles.
Les raisons de ce pessimisme ? Les Cassandres invoquent, d’une part, la santé fragile du Premier ministre (âgé de 67 ans, manifestement fatigué et dont la rumeur dit qu’il serait malade) et son manque de charisme, et, d’autre part, l’hétérogénéité et le déficit de légitimité démocratique d’une équipe dont 14 des 33 membres portent l’étiquette « sans appartenance politique » (SAP). Circonstance aggravante : elle a été concoctée à l’ombre du Palais. Son de cloche différent, bien sûr, du côté de ce dernier : « Tout le monde s’attendait à un raz-de-marée islamiste, et il n’y a pas eu de grand soir, ironise un proche du roi. Tout le monde souhaitait voir un quadra ou une femme Premier ministre, et ce n’est pas le cas. Rien d’extraordinaire n’est arrivé, rien que de désespérément normal. » En clair, les partis, voyant la démocratie fonctionner, s’ennuieraient Surtout, les oiseaux de mauvais augure ne parviennent pas encore à décrypter le jeu de Authenticité et Modernité, le groupe parlementaire emmené par Fouad Ali El-Himma, ancien ministre délégué à l’Intérieur et proche de Mohammed VI, élu député le 7 septembre. Tour à tour qualifié d’« empêcheur de tourner en rond », de « cheville » ou de « rallonge » du gouvernement, il a le pouvoir de faciliter, ou d’entraver, l’action de ce dernier : c’est en effet le vote de ses 36 députés qui fera pencher la balance d’un côté ou de l’autre, la coalition n’alignant que 146 députés alors que la majorité requise est de 163. Et ce n’est certainement pas un hasard si c’est en son sein que l’on donne la plus « longue » espérance de vie à la nouvelle équipe au pouvoir. « J’ai l’impression qu’une partie de la classe politique s’est fixé pour objectif de liquider le gouvernement très vite, regrette Fatiha Layadi, députée et porte-parole du groupe. Laissons-lui un délai de grâce de cent jours ! »

Majorité relative
Après avoir reçu, le 31 octobre, la confiance du Parlement avec une majorité toute relative (155 voix pour, dont celle de Authenticité et Modernité ; 93 contre ; 7 abstentions et 55 absences sur 325 sièges), le gouvernement passera son second test avec le vote de la loi de finances 2008, qui, après un long processus législatif, doit être bouclé dans les prochaines semaines. La présentation du projet a déjà fait éclater au grand jour les tiraillements de la majorité. Comme le PJD, l’USFP proteste contre la baisse de l’impôt sur les sociétés, que le texte prévoit de ramener de 35 % à 30 % en général, et de 39,6 % à 37 % pour les établissements bancaires. En revanche, rares sont ceux qui, dans ce contexte de hausse générale du coût de la vie, osent critiquer l’augmentation du budget de la caisse de compensation (de 13,4 milliards de DH en 2007 à 20 milliards en 2008), grâce à laquelle l’État subventionne certains produits de première nécessité (blé, sucre, gaz notamment).
Entre « cadeaux fiscaux » d’un côté et augmentation des dépenses publiques de l’autre, le projet de loi de finances montre à quel point est étroite la marge de manuvre du nouveau gouvernement, contraint, à cause de son manque d’homogénéité, de ménager la chèvre et le chou. Le résultat est souvent jugé fade par la majorité, comme ce fut le cas pour la déclaration de politique générale. La mauvaise conjoncture économique internationale et la sécheresse n’ont pas arrangé les choses. « Comme contexte, on ne peut pas faire pire », soupire Khalid Naciri, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement. Outre les querelles politiciennes, c’est l’urgence de ces arbitrages que les hésitations du texte ont remise sur le tapis. Faut-il continuer à favoriser le secteur privé pour doper la croissance économique et maintenir coûte que coûte le déficit public sous le seuil de 3 % du PIB, alors que le taux de pauvreté s’élève à 14 % et que 47,7 % des plus de 15 ans sont analphabètes ? Cela dit, comment « faire du social » quand la balance commerciale est déficitaire (sur les neuf premiers mois de l’année 2007, le déficit était en hausse de 26,6 % par rapport à la même période en 2006) et que la facture pétrolière promet de grimper ? Déjà peu nombreux lors des dernières législatives, où le taux de participation n’a été que de 37 %, les électeurs se sont déplacés aux urnes pour que le gouvernement réponde à ces questions. S’il ne le fait pas, il est à craindre qu’ils soient encore moins nombreux la prochaine fois.

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