Anne Lauvergeon
Présidente d’Areva
La presse anglo-saxonne adore « Atomic Anne ». Il faut dire que dans l’univers parisien et très masculin du CAC 40, Anne Lauvergeon détonne. Escarpins, tailleur élégant, elle règne avec charme sur le numéro un mondial du nucléaire civil, Areva, qui emploie 70 000 salariés dans plus de 40 pays, pour un chiffre d’affaires de 10,8 milliards d’euros en 2006. Le premier voyage en Chine du président français Nicolas Sarkozy, du 25 au 27 novembre, lui a une nouvelle fois permis d’affirmer sa différence dans un milieu compassé où les vérités, le plus souvent, se disent à huis clos. À Pékin, il n’en fut rien.
À peine avait-elle signé ce fabuleux contrat de 8 milliards d’euros – un record dans le secteur – pour la fourniture de deux réacteurs de troisième génération (EPR) qu’elle prenait position de façon fort peu diplomatique contre une éventuelle fusion avec le groupe énergétique français Alstom. L’État actionnaire, qui envisageait ce scénario, est donc prié de revoir sa copie. En revanche, elle est bien décidée à faire en sorte que le champion de l’atome se développe « sur ses bases et ses forces propres ». Et, si possible, avec une ouverture de capital pour financer ses nombreux projets d’expansion à l’international. Car dans un contexte de réchauffement climatique et de flambée des prix des hydrocarbures, le nucléaire a le vent en poupe.
Mariée, deux enfants, cette normalienne et ingénieure des Mines, née le 2 août 1959 à Dijon d’un père professeur d’université et d’une mère assistante sociale, s’était déjà fait remarquer, au début des années 1990, quand elle était secrétaire générale adjointe de l’Élysée et sherpa du président François Mitterrand, par son franc-parler, ses grands éclats de rire et son caractère bien trempé. Son parrain dans le monde des Mines, l’ancien patron de Renault Raymond Lévy, appréciait aussi chez elle « la clarté de l’énoncé et la clairvoyance de l’analyse ». Depuis, elle n’a guère changé, à ceci près que son aventure élyséenne lui a permis de se constituer un épais carnet d’adresses.
Sur les affaires africaines, Anne Lauvergeon, peut-être moins visible, avance avec la même détermination. « Elle est très impliquée, car l’approvisionnement en uranium en provenance du Niger est stratégique pour nous. Nous ne pouvons pas vendre de centrales si nous n’avons pas de minerais. C’est elle qui a décidé la hausse du prix d’achat en août dernier », rappelle son président Afrique-Moyen-Orient, Zéphirin Diabré, faisant allusion au bras de fer avec Niamey, qui avait expulsé une semaine auparavant le directeur d’Areva au Niger, Dominique Pin. De la même manière, le feuilleton centrafricain est en passe de la faire rentrer dans le cercle restreint de ceux qui savent démêler les dossiers dans lesquels se chevauchent considérations diplomatiques et intérêts économiques. Le continent en raffole et ce qui reste de la Françafrique en fournit encore un certain nombre.
En rachetant, en juillet 2007, la société canadienne Uramin, Areva a mis la main sur le gisement de Bakouma, dans l’extrême est du pays. Mais Bangui veut aujourd’hui renégocier le contrat à son avantage. Certains parlent d’un « droit d’entrée ». Un proche du dossier reconnaît que la Centrafrique a « des besoins » à satisfaire. Après un entretien avorté à Rome, à la fin octobre, Anne Lauvergeon est finalement reçue par le président François Bozizé à l’hôtel Raphaël, lors de sa visite à Paris, du 17 au 20 novembre. L’entretien est cordial, mais la patronne ne manque pas de signaler au général que l’un de ses ministres a cherché à obtenir une compensation contre une solution. Apparemment, Sarkozy était aussi dans la confidence, puisque « le droit d’entrée [qui] sonne corruption » a été dénoncé à l’Élysée par le président français.
Si, à ce jour, l’affaire Uramin n’est pas totalement réglée, son dénouement est néanmoins proche. Areva n’a guère le choix. La mine de Bakouma n’est pas encore entrée en phase d’exploitation, mais 35 % de la production d’Areva-Uramin, également implantée en Namibie et en Afrique du Sud, doit alimenter les deux réacteurs chinois, dont la mise en service est prévue en 2014. « Elle consulte beaucoup et écoute ses collaborateurs avant de prendre une décision. Elle est très exigeante durant cette phase de réflexion. Ensuite, elle tranche et, grâce à son charisme, elle emporte l’adhésion de tous », témoigne Zéphirin Diabré. Areva ayant d’autres visées sur le continent, tous les pays qui ont de l’uranium en sous-sol doivent se le tenir pour dit : « la femme d’affaires la plus influente du monde en 2005 », selon le magazine Forbes, parvient souvent à ses fins.
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