Tunisie : Kaïs Saïed met la main sur la magistrature
Émoi dans le milieu judiciaire. Une semaine après avoir dissous le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), le président Kaïs Saïed annonce son remplacement par une instance provisoire placée sous son autorité.
Dissoudre pour tout refondre selon sa vision du pouvoir et au nom de l’intérêt du pays. C’est l’approche que semble avoir adoptée le président tunisien Kaïs Saïed en instituant le 13 février, par le décret 11/2022, une semaine après avoir annoncé la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), un nouveau CSM en partie nommé par lui-même, et qui lui donne le pouvoir de révoquer « tout juge qui manque à ses devoirs professionnels ».
En outre, « il est interdit aux magistrats de tous grades de faire grève ou de tenir toute action collective organisée qui pourrait perturber ou retarder le fonctionnement normal des tribunaux », selon le texte. En substance, Kaïs Saïed met la main sur un pouvoir judiciaire qu’il considère comme un simple auxiliaire du sien.
Cette conception est à l’origine du bras de fer avec le CSM, qui a émis des réserves sur la loi de réconciliation nationale et estimé que la demande d’examen de ce texte par Carthage n’était pas de son ressort, mais de celui de l’instance provisoire de la constitutionnalité des lois que Kaïs Saïed a dissoute en juillet 2021.
Après le « gel » de l’Assemblée, de la Constitution et de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC), c’est aujourd’hui au tour de la magistrature de se plier au nouveau cadre imposé par le président.
Avocats exclus
Le président désigne désormais 9 des 21 membres du CSM, qui réunit sous une même bannière les conseils des tribunaux administratif, financier et judiciaire. Le décret édicte également que ce CSM provisoire, dont l’action n’est pas limitée dans le temps, ne comporte plus que des magistrats, dont certains à la retraite qui seront rappelés pour siéger.
Il écarte ainsi les autres corps – les avocats, les huissiers de justice, les notaires – qui étaient représentés au sein de l’ancien CSM. Au risque d’aggraver la fracture entre juges et avocats.
Le bâtonnier de l’ordre des avocats, Brahim Bouderbala, qui a pris fait et cause pour l’initiative présidentielle de refonte du CSM, a jugé que l’exclusion des avocats de l’instance était une « mesure normale ». Ses confrères ne sont pas tous d’accord.
Il ne lui reste plus que l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) et la Banque centrale pour en finir avec ce qui a été construit depuis 2011
« Le président a su diviser pour rencontrer moins d’opposition à son décret. Il aurait juste fallu changer les membres sans tout détruire », commente l’un d’eux, critique à l’égard de ses confrères qui ont contribué à aider à la dissolution du CSM.
Les juges ne sont pas mieux lotis. Le texte, tout en contradictions, leur interdit toute action dans le milieu associatif, à moins qu’elle ne soit de nature humanitaire, et leur ôte la possibilité de faire grève ou de manifester, la règle générale disposant qu’ils ne peuvent gêner le déroulement du travail des tribunaux.
Le président de la République peut désormais nommer des magistrats, évaluer leur parcours professionnels, opérer des mouvements dans le corps des magistrats, décider de leur sort et les limoger sur simple rapport du ministre de la Justice ou du chef du gouvernement.
Dans les faits, la décision présidentielle représente un coup de canif dans le principe de séparation des pouvoirs. Avec le CSM, Kaïs Saïed a pris les commandes des principales instances nationales, « il ne lui reste plus que l’Instance supérieure indépendante des élections [ISIE] et la Banque centrale pour en finir avec tout ce qui a été construit depuis 2011 », souligne un juge.
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