Être d’ici et d’ailleurs

Publié le 4 novembre 2003 Lecture : 3 minutes.

C’est l’une des révélations de la rentrée. Avec son premier roman, Le Ventre de l’Atlantique, la jeune Sénégalaise Fatou Diome est invitée partout. Et les ventes suivent. Déjà une sixième place au palmarès de Livres Hebdo (semaine du 29 septembre au 5 octobre). Mais son talent ne fait pas l’unanimité. Certains y voient l’habileté de l’éditrice, qui sait y faire avec le petit milieu de la presse parisienne. Monter en épingle un succès. Faire poireauter le journaliste pour obtenir une interview et créer ainsi le phénomène médiatique de la romancière hypersollicitée. D’autres y voient la volonté d’une certaine intelligentsia française de pousser une petite Africaine, surtout après en avoir roulé une autre, Calixthe Beyala, dans la boue pour plagiat supposé. Bref, la jeune Sénégalaise dérange. Le pied pour un écrivain, non ? D’autant qu’elle n’a pas peur d’aller à la castagne.
Et le livre dans tout ça ? Le Ventre de l’Atlantique, qui traite de la migration, est à son image : il ne mâche pas ses mots. Crache leur vérité aux uns et aux autres, ceux du pays natal comme ceux de la terre d’accueil. Comme beaucoup de premiers romans, il s’agit d’une histoire à caractère autobiographique, racontée à la première personne. Comme Fatou Diome, Salie, la narratrice, est originaire d’une petite île au large du Sénégal et réside en France. Le lecteur sait qu’elle écrit la nuit et ne roule pas sur l’or. Mais ceux de là-bas, son jeune frère Madické en particulier, n’en croient pas un traître mot. Le rêve de Madické ? La rejoindre en France pour tenter sa chance dans le foot. Comme ces joueurs sénégalais qui évoluent dans des équipes françaises et sont reçus chez le chef de l’État de retour au pays, couverts de gloire et d’argent. C’est ce qu’il voit à l’unique télé du village, que l’homme de Barbès a ramenée de France. Le soir, après les matchs, celui-ci réunit les jeunes pour leur raconter la vie là-bas. « Une vraie vie de pacha ! » Et devant les regards ébahis, il ajoute : « Il n’y a pas de pauvres, car même à ceux qui n’ont pas de travail l’État paie un salaire : ils appellent ça le RMI, le revenu minimum
d’insertion. » Autre modèle de réussite made in France : l’ancien émigré Yagane Altigué, « l’El-Hadji aux dents d’or », ses trois épouses et ses multiples pirogues.
Comment, dès lors, lutter contre tant de leurres ? Comment dire la vérité à ces gens dépourvus de tout ? Ndétare l’instit a beau avoir étudié en France, il n’est pas pris au sérieux pour autant. L’appel de l’ailleurs sonne plus fort que les mises en garde de ce briseur de rêve. Même le suicide de Moussa, qui s’est fait expulser, n’arrive pas à les dissuader. S’il n’a rien ramené de la France-eldorado, « c’est parce qu’il n’a rien foutu ». Alors, quand Salie tente d’expliquer à Madické et à son cousin Garouwalé les difficultés de la vie d’immigré, personne ne la croit. Au contraire, on l’accuse d’avoir
changé, d’être devenue une égoïste, une toubab.
Plus qu’un roman, Le Ventre de l’Atlantique est la chronique d’un village sénégalais, des
rêves de ses habitants. D’où cette galerie de portraits, série de destins brisés, tournés vers l’ailleurs. Avec ici et là quelques réussites qui viennent nourrir les vux de
départ. Le récit se veut synthèse entre engagement et autofiction. Salie se raconte tout en dénonçant une situation sociale déplorable. La structure narrative suit le même mouvement de balancier entre ici et là-bas. L’écriture de Diome reste grinçante, comme dans son recueil de nouvelles, La Préférence nationale. Très enracinée dans le présent,
elle abuse parfois de clins d’il en direction de la télévision, pas toujours heureux d’ailleurs. La virilité passe forcément par une analogie avec Rocco Sifredi, la star du porno au membre démesuré. Mais l’auteur sait se rattraper avec son sens de la formule. « Chaque nuit d’amour est un investissement » : l’homme de Barbès décrit ainsi les mesures prises par l’État pour encourager les Français à procréer
Pour Salie/Fatou, la question de l’appartenance n’est pas simple. « Chez moi ? Chez l’autre ? Être hybride, l’Afrique et l’Europe se demandent, perplexes, quel bout de moi leur appartient. »

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