À tombeau ouvert

Les accidents de la circulation sont la troisième cause de mortalité en Afrique, où la sécurité routière n’est pas encore une priorité.

Publié le 31 octobre 2003 Lecture : 5 minutes.

Après le sida et le paludisme, les accidents de la route constituent la troisième cause de mortalité en Afrique, hors conflits armés. En 2000, 75 000 morts en moyenne ont été recensés dans 42 pays de la zone, un chiffre énorme comparé aux 42 600 tués sur les routes d’Europe occidentale, où les véhicules sont pourtant beaucoup plus nombreux.
La sécurité routière était notamment au programme du XXIIe Congrès mondial de la route qui s’est tenu en Afrique du Sud, à Durban, du 19 au 25 octobre. Car même si l’Afrique ne possède que 4 % des véhicules en circulation dans le monde, elle compte 10 % de l’ensemble des accidents. Ce bilan, établi par le Laboratoire britannique de recherche sur les transports (TRL), réquisitionné dans le cadre du Partenariat global pour la sécurité routière (GRSP) de la Banque mondiale, montre que les routes d’Afrique subsaharienne sont devenues les plus dangereuses du monde.
Pendant longtemps, les gouvernements n’ont pas inscrit la sécurité routière parmi leurs priorités, car ils étaient « confrontés aux conflits armés ou aux épidémies telles que le sida », explique Goff Jacobs, un expert rattaché au TRL. Ils n’avaient en plus pas conscience des conséquences de l’insécurité routière sur le développement de leur pays. Ce n’est qu’avec la publication de certaines données, notamment dans le cadre du GRSP, que ces gouvernements en ont mesuré les véritables enjeux financiers et économiques. Au-delà de la souffrance humaine, l’insécurité routière représente un coût prohibitif pour les pays africains : environ 1 % du PIB en moyenne, soit plus de 7,5 milliards de dollars par an et par pays. « Les accidents coûtent cher parce qu’il faut détourner les rares ressources d’autres secteurs prioritaires pour assurer le traitement en urgence des blessés et l’hospitalisation à court et à long terme », note le rapport du comité régional africain de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publié début septembre 2003. En outre, les hommes en âge de travailler sont souvent les premières victimes de ces accidents, ce qui ne manque pas d’avoir un impact sur la production nationale. Les 20-65 ans représentent en effet 70 % des personnes impliquées dans les accidents. En d’autres termes, une voiture accidentée, c’est aussi une économie familiale qui s’effondre.
Plusieurs campagnes en faveur de la sécurité routière ont par conséquent été lancées dans les années 1990. Pour ce faire, certains pays d’Afrique francophone ont reçu le soutien du ministère français des Affaires étrangères. C’est ce dernier qui a confié en 1992 à l’Institut des sciences et des techniques de l’équipement et de l’environnement pour le développement (Isted) la mission d’accompagner le Sénégal, puis le Burkina, le Mali, la Guinée et le Bénin sur la voie de la prévention routière.
Mais pour définir des politiques efficaces, il est nécessaire, avant toute chose, de recueillir des données précises. « Et il est souvent difficile de cerner le nombre d’accidents et de victimes. Quand deux bus se percutent, c’est le journal local qui l’annonce », résume Franck Charmaison, responsable du pôle Transport de l’Isted. Comment alors combattre le mal à sa racine ? Avec un Bulletin d’analyse des accidents corporels et de la circulation routière (BAAC), préconise l’Isted. Le BAAC permet de recenser, à l’aide d’un logiciel informatique, tous les accidents, leurs circonstances, la catégorie des personnes impliquées – enfants, jeunes, piétons -, et les zones d’accumulation des collisions appelées « points noirs ».
Si l’idée est bonne, sa mise en pratique n’est pas toujours évidente. Au Sénégal, par exemple, pourtant pays pilote du BAAC, on a constaté que les données remontaient difficilement : en 1994, seulement 200 accidents ont été signalés sur plus de 4 000 estimés. Dix ans plus tard, le projet porte cependant ses fruits, ne serait-ce qu’au niveau de l’inventaire. Alarmiste, le bilan 2002 – 692 tués et 5 937 blessés – a conduit la Direction des transports terrestres du Sénégal à définir un ensemble de mesures précises, dont le coût est estimé à 446 millions de F CFA (680 000 euros), et qui consisterait à construire des trottoirs, à réaliser des décrochements pour que les transports en commun ramassent ou déchargent leurs passagers sans danger, etc. Une association, la Nouvelle Prévention routière, a également été créée en avril 2003. D’après son directeur, Makhtar Faye, « il faut informer, éduquer et sensibiliser les conducteurs indisciplinés et à la conduite trop agressive ». Depuis le 24 octobre, les équipes de l’association sillonnent tout le pays dans le but de dialoguer avec les chauffeurs. Ces derniers reçoivent en prime un autocollant portant le logo de la Nouvelle Prévention routière. Au Togo, une initiative originale et judicieuse a été prise par les autorités, qui se sont en effet rendu compte, en 1999, que les chauffeurs de taxi étaient les premiers sur les lieux des accidents. Du coup, elles ont décidé de les former aux premiers gestes de secourisme.
Ailleurs, comme au Burkina et au Mali, c’est une journée ou une semaine qui est entièrement consacrée au problème de la sécurité routière. Ces actions ponctuelles sont quelque peu calquées sur la Journée française de la courtoisie au volant. L’OMS envisage également d’organiser une journée de sensibilisation à l’échelle planétaire le 7 avril prochain. Mais ce type d’événement contribue-t-il véritablement à faire baisser le nombre de morts sur les routes ? Les chiffres dévoilés par le Mali le 12 octobre, à l’issue de la Semaine de la sécurité routière, permettent d’en douter : il y a eu en effet 44 accidents de plus en 2002 qu’en 2001, soit 1 194 au total. Au Burkina, dès 1998, le gouvernement a mis en oeuvre un plan de transport axé sur la construction, la réhabilitation et l’entretien des routes, avec l’aide de l’Agence canadienne de développement international (Cima). Celle-ci conclut néanmoins « qu’il n’existe aucune loi réglementant le port obligatoire de la ceinture de sécurité ni le port du casque pour les motocyclistes », et que, quelle que soit l’infraction, les montants des contraventions sont par ailleurs trop bas pour être dissuasifs.
Finalement, les politiques de prévention ne sont efficaces que sur le long terme. À titre d’exemple, la politique de sensibilisation entamée au Botswana en 1983 n’a porté ses fruits qu’en 1994 – première baisse enregistrée du nombre de tués sur les routes. Pourquoi alors ne pas chercher à sensibiliser les populations dès leur plus jeune âge ? Une question d’autant plus judicieuse que les enfants sont trop souvent impliqués dans les accidents. Selon le GRPS de la Banque mondiale, ils sont deux fois plus nombreux qu’en Europe à mourir sur les routes chaque année dans les pays en développement. Le programme suggère donc aux gouvernements de concentrer leurs interventions sur les écoles, ne serait-ce que pour apprendre aux enfants à prendre la main des adultes pour traverser une route et à respecter les feux de signalisation. Au Ghana, le TRL a appuyé une démarche de manuel scolaire de prévention. « Le problème, c’est qu’il faut former les professeurs en même temps que les élèves, » note Goff Jacobs.
Surtout, les enfants doivent être scolarisés pour recevoir ce message. Beaucoup d’entre eux, victimes d’accidents de la route, sont en fait des vendeurs à la sauvette, campés le long de routes encombrées toute la journée et prenant des risques pour quelques pièces.

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