Obasanjo au milieu du gué

Au terme de son premier mandat, le chef de l’État est parvenu à redorer l’image de son pays à l’étranger. Au cours du second, il lui faudra relancer la machine économique, endiguer la corruption et démocratiser la vie politique. Vaste programme !

Publié le 31 octobre 2003 Lecture : 6 minutes.

On dit souvent qu’à l’orée de leur dernier mandat, les présidents se préoccupent de la
trace qu’ils laisseront dans l’Histoire. Et qu’ils ont alors tendance à privilégier la politique étrangère aux dépens de la politique intérieure et de l’économie. Avec Olusegun Obasanjo, c’est l’inverse. Au cours de son premier mandat, il a été beaucoup critiqué pour
ses incessants déplacements à l’étranger. Mais il avait ses raisons : il était vital de transmettre à la communauté internationale la bonne nouvelle du retour de la démocratie au Nigeria. L’image du pays avait été tellement ternie par les régimes militaires successifs, en particulier celui de Sani Abacha, qu’il était urgent de faire savoir au
monde qu’une page avait été tournée et que des efforts réels étaient entrepris pour remettre le pays sur les rails. Mais cette campagne d’information visait aussi à mobiliser les amis du Nigeria à travers le monde, afin qu’ils l’aident à se débarrasser de son encombrant héritage, à s’enraciner dans la démocratie et à relancer son économie.
C’est ce message principalement économique qu’Obasanjo a délivré à Washington, Londres, Paris, Bruxelles, Tokyo, et ailleurs. Avec deux objectifs majeurs : la relance des investissements et l’annulation de la dette extérieure.
Le nouvel attachement du Nigeria aux valeurs démocratiques lui a valu de nombreuses sympathies à l’étranger. Les Occidentaux ont fait preuve de beaucoup de compréhension face aux difficultés de la transition, qu’il s’agisse de la lenteur du programme de
réformes ou de l’inefficacité des solutions militaires mises en uvre pour résoudre les problèmes chroniques de sécurité, en particulier dans la région tourmentée du Delta du Niger. Cette compréhension s’est notamment manifestée à travers les engagements de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Mais la tolérance a ses limites : en
2002, à l’approche des élections, le FMI a été contraint de suspendre provisoirement son assistance. À cause des insuffisances de la politique budgétaire, du maintien des subventions aux produits pétroliers et du retard pris par les privatisations.
Les donateurs (de la Banque mondiale à l’Union européenne et au Royaume-Uni) sont revenus en force au Nigeria, en concentrant leurs efforts sur certains États de la fédération, mais aussi sur la lutte contre le sida, l’aide aux petites et moyennes entreprises et
la coopération avec les organisations non gouvernementales. Quatre ans après, les résultats apparaissent décevants dans au moins deux domaines : la dette et la corruption. Les institutions financières internationales rechignent à alléger la dette nigériane, parce qu’elles estiment ne pas avoir la preuve que le Nigeria s’est véritablement amendé. Il est vrai qu’il n’est guère facile de réduire la dette d’un pays producteur de pétrole, presque toujours confronté à d’énormes problèmes de gestion de ses finances publiques.
Le Nigeria a également du mal à récupérer les fonds considérables détournés par le régime Abacha et investis, pour une part importante, au Royaume-Uni. Les autorités se plaignent
de plus en plus des atermoiements des Britanniques, qui furent pourtant les plus virulents critiques de l’ancien dictateur. La coopération avec la Suisse est, de ce point de vue, plus satisfaisante.
En dépit de la lutte contre la corruption engagée par l’administration Obasanjo, les mauvaises habitudes sont loin d’avoir disparu dans le secteur pétrolier. Les graves malversations découvertes ici et là renforcent les réticences des bailleurs de fonds
concernant l’annulation de la dette. Et expliquent, au moins en partie, la relative timidité des investisseurs, même si des opérations d’envergure ont quand même été engagées, en particulier par les firmes Heineken, Guinness et British American Tobacco De manière générale, ce sont les entreprises sud-africaines qui se montrent les plus intéressées par l’immense marché nigérian. Mais plusieurs multinationales (British
Petroleum, Standard Chartered Bank, Commonwealth Development Corporation) y ont également fait leur grand retour. De ce point de vue, l’avènement de la démocratie a joué un rôle au moins aussi important que la libéralisation économique.
En août 2002, à l’approche de la fin de son premier mandat, Obasanjo a fait l’objet d’une procédure d’impeachment. Les deux Chambres du Parlement lui reprochaient notamment sa propension à jouer les globe-trotters plutôt que de s’atteler à résoudre les problèmes de son pays, mais aussi une certaine difficulté à jouer le jeu de la démocratie, sans doute en raison de ses antécédents (il dirigea un régime militaire entre 1976 et 1979).
Candidat du People’s Democratic Party (PDP) à l’élection présidentielle d’avril 2003, Obasanjo a été reconduit sans problème dans ses fonctions, pour quatre ans. Selon de nombreux observateurs (nigérians ou étrangers), le scrutin a été marqué par de graves irrégularités, mais, pour la majorité des Nigérians, l’essentiel est qu’il ait pu avoir lieu, qu’il se soit déroulé sans trop de violence et qu’il n’ait pas débouché sur le chaos.
Son second mandat ressemblera-t-il au précédent ? Selon toute apparence, la politique étrangère continuera d’y jouer un rôle essentiel. Au moins dans un premier temps. Sa première décision importante a été d’envoyer des troupes au Liberia, sous la bannière des Nations unies, ce qui confirme les ambitions continentales de son pays. Par ailleurs, la prochaine réunion du Commonwealth se tiendra au mois de décembre à Abuja. Il y sera beaucoup question de l’appel lancé par certains dirigeants africains en faveur de la
réintégration du Zimbabwe au sein de l’organisation (sa suspension avait été décidée lors du précédent sommet, en mars 2002 en Australie). Le « Commonwealth blanc », comme l’on
dit, ne semblant pas y être favorable, Obansanjo, en tant qu’hôte du sommet, va passer un test délicat.
À plus long terme, il lui faudra pourtant bien revenir aux problèmes intérieurs. C’est vraisemblablement sur ce terrain que, cette fois, il sera jugé. Obasanjo a beaucoup misé sur sa capacité à relancer l’économie, mais les résultats se sont jusqu’ici révélés décevants. Il est vrai qu’il lui a fallu à la fois reconstruire les infrastructures,
presque toutes dans un état pitoyable, et faire face aux besoins d’une énorme masse de jeunes sans emploi. Un contexte favorable à l’aggravation des problèmes de sécurité.
Le Nigeria a beau être victime de crises à répétition, il parvient toujours, tant bien que mal, à s’en sortir. En tout cas, les prédictions les plus pessimistes à son endroit se sont souvent révélées fausses. Même si l’on peut s’inquiéter de l’incapacité du pays à s’affranchir de sa dépendance exclusive à l’égard du pétrole, il est certain que le niveau
relativement élevé des cours du brut au cours des quatre dernières années a constitué, pour l’économie, un précieux ballon d’oxygène. Certes, la conjoncture ne sera pas toujours aussi favorable, mais l’intérêt croissant que les États-Unis portent au pétrole
d’Afrique de l’Ouest et le début de l’exploitation du gaz suscitent, à Abuja, beaucoup d’espoir.
Restent un certain nombre de dossiers politiques délicats. Et d’abord ce que les Nigérians appellent la « question nationale ». Autrement dit, les relations entre les États et le gouvernement fédéral. Obasanjo est le premier dirigeant du Nigeria
indépendant à ne pas être originaire du Nord (il est yorouba). Pourtant, la diversité
ethnique du Sud est telle que certains groupes continuent de s’estimer exclus du pouvoir. Lors de la prochaine élection, en 2007, la bataille entre Nordistes et Sudistes s’annonce rude. Elle commencera sans doute avec le prochain recensement de la population, qui, au Nigeria, donne traditionnellement lieu à des controverses.
S’agissant de la lutte contre la corruption, les risques de désillusion sont réels. Certes, quelques hommes politiques s’efforcent de promouvoir des pratiques électorales plus transparentes, comme au Sénégal, au Ghana ou au Kenya, mais la taille du pays
complique indiscutablement leur tâche. Heureusement, le recours au téléphone mobile (qui devrait être systématique, lors de la prochaine consultation) constitue pour eux un atout.
En revanche, le gouvernement (et la classe politique dans son ensemble) ne semble pas favorable à l’existence de radios locales indépendantes, pourtant très utiles pour faire connaître rapidement les résultats des élections. Obasanjo va-t-il jouer à fond la carte
de la lutte anticorruption ? Jugeant qu’il n’a plus rien à perdre puisqu’il se retirera en 2007, certains l’espèrent. D’autres craignent qu’en dépit de son franc-parler et de sa réputation de franc-tireur, le chef de l’État ait les mains liées par son propre parti. Et
qu’il soit dans l’incapacité d’agir.

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