Le grand bond en avant

Les progrès accomplis en matière d’infrastructures sont souvent présentés par les institutions internationales comme une des grandes réussites de la Tunisie. Retour sur près de cinquante ans de travaux.

Publié le 31 octobre 2003 Lecture : 5 minutes.

L’histoire peut aujourd’hui prêter à sourire. En 1975, le président français Valéry Giscard d’Estaing effectue une visite officielle en Tunisie. Habib Bourguiba va l’accueillir à l’aéroport. La route qui les ramène à Tunis longe, par le nord, la zone des Berges du Lac. Le plan d’eau sert alors de déversoir pour les égouts de la capitale, et la terre ferme de dépotoir pour toutes sortes de déchets solides. L’air y est tellement nauséabond que le président Bourguiba, sans doute un peu gêné, se prend à pincer le nez de son homologue français tout en marmonnant ce qui ressemble à des excuses.
« Cela arrive à tout le monde ! » lui répondit Giscard Aujourd’hui, ces mêmes Berges symbolisent les efforts entrepris pour doter la Tunisie d’infrastructures modernes. D’importants travaux d’assainissement ont commencé en 1983. À partir de 1987, et malgré le scepticisme général, une ville nouvelle a été édifiée sous l’impulsion du président Zine el-Abidine Ben Ali. Ses quartiers résidentiels, ses centres d’affaires et de loisirs
sont maintenant très prisés des Tunisiens, mais aussi des entreprises et ambassades étrangères. Les Berges du Lac connaissent un tel succès que des aménagements similaires ont été lancés sur l’autre rive, les Berges Sud, avec le concours de financements étrangers.
Depuis l’indépendance, en 1956, et surtout depuis quinze ans, la Tunisie a développé des infrastructures de qualité, certes à la mesure de ses moyens, mais que lui jalousent ses voisins disposant de possibilités de financement autrement plus importantes grâce à la manne pétrolière. Le secret ? Les investissements étrangers n’ont jamais fait défaut, mais, surtout, le pays a tout d’abord concentré ses efforts sur les secteurs de l’éducation et de la santé, ce qui lui a permis d’avoir sous la main des ressources humaines à même de réaliser dans les meilleures conditions les infrastructures nécessaires au développement de l’économie et à la satisfaction des besoins de base de la population. Tout le monde s’accorde à dire que ces infrastructures ont largement contribué à maintenir une croissance annuelle autour de 5 %, en moyenne, au cours des quinze dernières années. Notamment en rendant plus attractif le « site » Tunisie pour les investissements directs étrangers et en favorisant une forte augmentation des exportations. En 1973, le pays comptait 31 entreprises étrangères ou à capitaux mixtes. Leur nombre est passé à 455 en 1987 et à plus de 2 500 aujourd’hui, dont 85 % sont totalement exportatrices. Parmi elles figurent des firmes internationales aussi prestigieuses qu’Alcatel, Benetton, Aventis, General Motors, Pfizer, Lucent Technologies, ERA-Electrotechnik, Lee Cooper, Pirelli, Siemens, Unilever, Valeo, Danone ou British Gas. Autant de sociétés qui n’auraient pas fait le déplacement si les coûts des facteurs de production, comme les moyens de transport, la fiabilité des télécommunications et la régularité de la fourniture d’énergie, n’étaient pas avantageux.
L’exemple du secteur textile, où ces sociétés sont majoritaires, est édifiant. Dans ce domaine, la proximité géographique de la Tunisie avec l’Europe et la multiplicité des liaisons qui la desserve représentent un atout essentiel dans ce que l’on appelle la « réactivité ». Le secteur se caractérise en effet par des changements de mode fréquents et une concurrence accrue. Il n’est pas rare de voir un commanditaire européen introduire au dernier moment un nouveau design de vêtement et exiger de l’usine implantée en Tunisie une livraison dans les plus brefs délais, de l’ordre de une semaine ou deux. Il faut alors transporter la matière première en Tunisie, la travailler et renvoyer immédiatement le produit fini par avion. Un tel travail à « flux tendus » n’est possible que si l’on est seulement à une ou deux heures de vol de l’Europe.
En l’occurrence, la Tunisie dispose de 7 aéroports, 91 compagnies étrangères assurent 281 vols hebdomadaires en direction de la majeure partie des grandes cités européennes, avec notamment 81 liaisons par semaine vers la France, 78 vers l’Allemagne, 27 vers la Grande-Bretagne, 23 vers l’Italie, 14 vers la Suisse et 11 vers la Belgique. Les entreprises moins pressées par le temps peuvent toujours avoir recours aux liaisons maritimes entre Tunis et Marseille (10 fois par semaine), Gênes (8 fois), Barcelone (2 fois), et Rotterdam-Bremen-Rouen (2 fois). Les infrastructures aériennes et portuaires qui jalonnent la côte tunisienne (voir pp. 56-60), jouent également un rôle essentiel dans la croissance du secteur touristique, premier pourvoyeur de devises avec plus de 2 milliards de dinars (1,33 milliard d’euros) par an pour plus de 5 millions de visiteurs.
Les infrastructures hydrauliques, là encore un belle réussite (voir pp. 53-54), contribuent, quant à elles, à la croissance de l’agriculture. Elles ont d’abord réduit la vulnérabilité du pays face à une pluviosité irrégulière et des sécheresses à répétition. Elles ont aussi permis d’augmenter la surface des zones irriguées qui, bien que ne représentant qu’environ 7 % des terres cultivables, fournissent 45 % de la production agricole. Mais au-delà de ces considérations d’ordre économique, le développement des infrastructures a eu des effets tangibles pour la population. Les indicateurs de services de base, comme la production et la distribution d’électricité ou d’eau, les télécommunications et l’accès à l’habitat, le démontrent. Le taux d’adduction à l’eau potable est estimé, pour 2003, à près de 95 % au niveau national et à environ 85 % dans les zones rurales. La couverture du réseau d’électricité tourne autour de 96 %, avec pratiquement 100 % dans les zones urbaines et 95 % dans les zones rurales. Le taux de raccordement au réseau d’assainissement atteint 74,5 %, contre 60 % en 1994. En matière de téléphonie (fixe et mobile), on comptait 18 lignes pour 100 habitants en 2002. L’objectif est de passer à 50 lignes pour 100 habitants en 2006. Dans le Grand-Tunis, un réseau de métro léger de 45 km, constitué de cinq lignes, dessert les grands quartiers populaires. En matière d’habitat, enfin, la moyenne des personnes vivant sous le même toit est en dessous de cinq, et 80 % des Tunisiens sont propriétaires de leur logement.
Dans la conception des grands projets d’infrastructures, la dimension d’ouverture sur le monde est dominante. Ils sont, pour la plupart, tournés vers l’Union européenne, qui représente 80 % des échanges extérieurs du pays. On l’a vu pour ce qui est des infrastructures aériennes et maritimes. C’est aussi le cas pour l’électricité, avec le schéma de connexion du réseau maghrébin et la relance d’un projet de centrale qui fournirait de l’énergie à l’Italie grâce à un câble sous-marin. Les planificateurs tunisiens se sont aussi placés dans une perspective régionale et continentale. Le tracé des autoroutes correspond à ceux de la Transmaghrébine et de la Transsaharienne. Deux autres grands projets, qui pourraient voir le jour à la fin de la décennie, représentent à eux seuls cette volonté d’extension. Le premier est celui de l’aéroport d’Enfidha, qui serait l’un des plus grands d’Afrique avec, à terme, une capacité de 30 millions de passagers par an. Le second porte sur la réalisation d’un port en eau profonde (peut-être à proximité d’Enfidha), qui aurait pour vocation de devenir un centre de transbordement de conteneurs bien positionné au milieu de la Méditerranée.

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