Le cas Mahathir

Au-delà des accusations d’antisémitisme dont il est l’objet, le Premier ministre malaisien aura donné, vingt-deux ans durant, une leçon de fierté, d’audace et de bonne gouvernance au monde arabo-islamique.

Publié le 3 novembre 2003 Lecture : 2 minutes.

Quelle image le monde retiendra-t-il de cet homme ? À 77 ans, après vingt-deux ans de pouvoir, le Premier ministre malaisien Mahathir Bin Mohamad s’est volontairement retiré le 31 octobre, non sans avoir conduit son pays de l’ère des rizières à celle des semi-conducteurs en moins d’une génération. Un modèle, donc, que ce « Dr M. », dont l’incontestable réussite en matière de développement économique, dans un contexte à la fois multiracial et multireligieux, est partout reconnue et saluée. Une référence aussi, dont la voix et les mots pèsent en Asie et dans l’ensemble des pays dits émergents. Un exemple enfin pour le monde arabo-musulman qu’il n’a cessé d’exhorter à se prendre en charge, à s’organiser, à travailler et à faire preuve d’intelligence au-delà des passions aveuglantes et des nostalgies paralysantes.
Le bilan présenté, aux allures de miracle – entre 1982 et 2002, le revenu par tête des 25 millions de Malaisiens a triplé et le taux de pauvreté a chuté de 35 % à… 5 % de la population –, est tel que l’on ne peut que regretter la forme inutilement provocatrice revêtue par le « discours d’adieu » de Mahathir à ses pairs, le 16 octobre dernier, lors du Xe sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), à Putrajaya. Cette allocution, que nous vous donnons à lire dans son intégralité (pp. 32-37), est elle antisémite, comme l’ont dénoncé l’Union européenne, les États-Unis et la plupart des médias occidentaux, ou méritait-elle, au contraire, les applaudissements nourris des délégations et ceux, par procuration, de la quasi-totalité des musulmans ? Seule une exégèse approfondie, qu’il n’y a pas lieu de faire ici, dira les parts de sincérité et de démagogie, de dérapage mal contrôlé et de provocation volontaire, voire de pure politique intérieure dans un pays où le courant islamiste est de plus en plus vigoureux, contenues dans le discours du 16 octobre.
Deux choses paraissent évidentes. La première est que ce type de « sortie » ne relève en rien de l’amertume d’un vieux leader en proie à ses démons : elle est inhérente à la personnalité de Mahathir Bin Mohamad, qui a toujours été, quitte à choquer, voire à scandaliser, un adepte du parler vrai et du parler cru. La seconde est que le désormais ex-Premier ministre aurait pu faire l’économie de cette controverse et, par voie de conséquence, éviter de donner à tous ceux que gênent son œuvre, son charisme et sa pugnacité l’occasion de le caricaturer. Au-delà de cet épisode, c’est une leçon de fierté, d’audace, de méthode et de bonne gouvernance que les années Mahathir ont donnée et donnent encore au monde araboislamique. Il ne faudrait pas que l’arbre de Putrajaya cache (et gâche) cette forêt-là.

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