La rage du faucon

Chef de file des néoconservateurs, il n’occupe aucune fonction officielle. Ce qui lui permet de s’exprimer avec une étonnante liberté de ton.

Publié le 31 octobre 2003 Lecture : 3 minutes.

Inventeur, avec quelques autres barons néoconservateurs, des concepts de guerre préventive et de remodelage du Moyen-Orient, Richard Perle traîne derrière lui une sulfureuse réputation de manipulateur de l’ombre et d’affairiste peu scrupuleux. Ne fut-il pas, au mois d’avril, à la suite d’une campagne de presse apparemment concertée, contraint de démissionner de la présidence du Defense Policy Board, un organisme consultatif chargé de conseiller l’administration américaine ? On l’accuse aussi avec une belle constance d’être un « zionist hawk », un faucon sioniste, voire carrément un agent israélien. Il est vrai qu’à l’inverse certains lui reprochent son antisémitisme, ce qui, dans le registre de la simplification partisane, rétablit une sorte d’équilibre.
Dans un entretien publié le 17 octobre par le Jerusalem Post, le « Prince des ténèbres » comme on le surnomme parfois en raison de sa conception apocalyptique de la politique, se révèle sous un jour inattendu. On découvre ainsi qu’il n’a jamais rencontré le Premier ministre israélien Ariel Sharon. Et que sa judéité ne lui fut révélée que tardivement, dans les années 1970. Et par un protestant de stricte obédience, le sénateur démocrate Henry « Scoop » Jackson, son premier mentor.
Perle ne cherche pas à dissimuler les réserves, sinon l’embarras, que lui inspire la politique israélienne de colonisation à outrance des territoires palestiniens. « Le problème avec les colonies, explique-t-il, est qu’il est très difficile de s’en retirer sans que ce retrait apparaisse comme une défaite. […] Est-il possible aujourd’hui d’abandonner les colonies sans faire le jeu des djihadistes ? » Bonne question. Loin du jusqu’au-boutisme sharonien, il est favorable à la création d’un État palestinien, après « isolement diplomatique total » de Yasser Arafat et transformation préalable de l’Autorité palestinienne. En somme, l’un veut un « Grand Israël », l’autre la démocratisation – ou l’américanisation – du Moyen-Orient. Qu’on ne s’y trompe pas : ce n’est pas tout à fait la même chose.
En Irak, Perle l’admet et il n’y a aucune raison de ne pas le croire, l’objectif de l’administration Bush a toujours été, dès après les attentats du 11 septembre 2001, le renversement de la sanglante dictature de Saddam Hussein. Toutes ces histoires d’armes de destruction massive et de résolutions onusiennes n’ont été que des prétextes inventés par le département d’État pour faire passer la pilule auprès de l’opinion internationale. La manière dont il évoque la réaction américaine à l’agression est presque effrayante, dans sa brutale naïveté.
« La société américaine, lui demande le Jerusalem Post, est-elle capable de rage ? Peut-elle être poussée à la sauvagerie ? Est-elle capable de mener une guerre totale ?
– Oui, répond Perle, nous sommes capables de rage. Le 11 septembre nous a mis en rage, et il en ira de même de la prochaine opération terroriste. C’est elle [cette rage] qui explique le soutien dont a bénéficié l’expédition contre les talibans et même contre l’Irak. »
Notre confrère lui rapporte un échange entre George W. Bush et un sauveteur, dans les ruines fumantes des tours jumelles.
« Que puis-je faire pour vous ? interroge le président.
– Trouvez le salopard qui a fait ça et abattez-le, lui, sa femme, sa mère, ses enfants, son chien et tous ceux qui lui ont offert ne serait-ce qu’une tasse de café. »
« C’est sûrement une histoire vraie », rétorque Perle.
Il n’est même pas sûr que Saddam Hussein ait jamais offert une tasse de café à Oussama Ben Laden, mais le fait est là : dans le bourbier irakien, les Américains sont désormais confrontés à un problème terroriste qu’ils ont, en somme, inventé de toutes pièces. Comme quoi, la rage n’est pas forcément bonne conseillère.

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