Jean Hélène, un martyr de la liberté

Publié le 3 novembre 2003 Lecture : 3 minutes.

S’il avait pu entendre l’hommage de Jacques Chirac ou la prière de l’imam ivoirien
d’une mosquée de Johannesburg, il aurait souri d’un air gêné. Jean Hélène était un modeste. Comment un homme aussi discret peut-il avoir exercé une telle fascination sur ceux qui l’ont connu ?
Jean avait ce courage de ceux qui ont peur et vont quand même au charbon, au contact. Dix fois il s’était rendu à Mogadiscio, à Kigali ou à Abidjan, alors qu’il savait que des tueurs l’attendaient. En 1994, au Rwanda, il avait été menacé de mort par Radio Mille Collines. À un barrage tenu par les Interahamwe, il n’avait dû la vie sauve qu’à son passeport, sur lequel figurait un autre nom son vrai nom , Christian Baldensperger.
Il avait quitté le pays, mais, un mois plus tard, il était de retour ! Jean était d’une scrupuleuse honnêteté : il ne parlait que de ce qu’il voyait. « Mais pourquoi dis-tu à l’antenne qu’il y des unités rebelles au nord de la ville ? Est-ce que tu les as vues ? » l’ai-je entendu demander, gentiment, à un confrère de Radio France Internationale (RFI), au début de la bataille de Kigali, en avril 1994. Il était plus rigoureux qu’un protestant ou qu’un journaliste d’agence. Dans un papier pour RFI ou pour Le Monde, il était prêt à renoncer à une belle « accroche » ou à une image choc s’il n’avait pu
vérifier l’information. Pas si facile !

Jean était un passeur, pas un faiseur. Il mettait les autres en scène, pas lui. Ce qui l’intéressait pendant cette bataille de Kigali, c’était de décrire les tranchées du Front patriotique rwandais (FPR). Pas de nous raconter comment il avait réussi à traverser les lignes.
Alors pourquoi cette fascination ? Peut-être parce qu’il prenait d’énormes risques sans jamais se mettre en avant. Comme un moine-soldat. Pour ceux qui n’étaient jamais allés manger avec lui le cabri dans un « couloir » de Matonge, à Kinshasa, il apparaissait comme un type austère, « pas marrant ». Et nous nous posions tous la même question : « Mais qu’est-ce qui le fait marcher ? »

la suite après cette publicité

Jean était un « taiseux ». De son enfance protestante à Mulhouse, dans l’est de la France, il avait appris que le faire vaut mieux que le dire. Il y a huit ans, sa séparation d’avec Luigia, son épouse italienne, lui avait fait perdre quelques illusions
sur le bonheur. Depuis, il s’accrochait à quelques valeurs sûres : l’amitié ah ! les retrouvailles avec les vieux copains à Nairobi, Libreville ou Paris ! et l’action. Jean était mû par la fierté du travail bien fait et, peut-être, par un ressort plus profond
encore, celui d’une mission en Afrique. Une tante missionnaire au Gabon, un frère (Thierry) pasteur au Cameroun Jean aimait l’Afrique des petites gens, celle des réfugiés
et des laissés-pour-compte. C’est pour eux qu’il baroudait.
Il reste chez lui une part de mystère. Après le génocide rwandais, il fut accusé de « révisionnisme » par le lobby FPR en Europe. C’était profondément injuste. Au Rwanda et au Congo, il avait toujours décrit ce qu’il voyait : les massacres de Tutsis comme les représailles contre les Hutus. Il en fut meurtri, bien sûr, mais il ne le montra jamais. Et il n’eut jamais un mot, même en privé, contre ceux qui le calomniaient. Jean ne savait pas dire du mal des gens.
Aujourd’hui, à Abidjan, la mémoire de Jean est traînée dans la boue. Sous le titre « Le
vrai visage de Jean Hélène », Notre Voie, le journal du Front populaire ivoirien de Laurent Gbagbo, n’hésite pas à écrire, sans le commencement d’une preuve, que Jean était « un espion au service du gouvernement français » (25-26 octobre 2003). Bref, on justifie l’ignominie. Demain, qui sait, l’assassin deviendra un héros. Un comité de
soutien au sergent Théodore Sery Dago a déjà été constitué. Comment ne pas éprouver un sentiment de nausée ? Avant le meurtre de Jean, on s’en prenait aux journalistes à coups de manchettes et d’éditoriaux. Depuis, un cap a été franchi. Et certains oublient la première des valeurs africaines, le respect dû aux morts.
« On aimerait comprendre quels sont les mobiles d’un acte aussi barbare, qui est loin d’honorer notre continent », dit Grégoire Owona, le ministre camerounais à la Présidence. Avec lui, des milliers d’Ivoiriens pleurent Jean Hélène en silence. Ils se recueillent devant un martyr de la liberté. Ils veulent croire que Jean n’est pas mort pour rien.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires