Guérilla aveugle

Par les cibles choisies, la vague d’attentats sans précédent du 27 octobre porte la marque des islamistes sunnites radicaux et de la nébuleuse el-Qaïda.

Publié le 31 octobre 2003 Lecture : 5 minutes.

L’administration américaine a beau taire la trentaine d’attaques que ses patrouilles, convois logistiques ou colonnes subissent quotidiennement dans la seule ville de Bagdad, ses efforts pour minimiser les pertes humaines, pour restreindre le champ de la résistance au virtuel « triangle sunnite » (Tikrit-Ramadi-Baaqouba) ou pour convaincre son opinion que la presse noircit la situation sécuritaire en Irak, ont été mis à mal par la vague d’attentats qui a coïncidé avec le premier jour du ramadan et qui a fait 43 morts et plus de 200 blessés.
Difficile, désormais, de cacher les capacités de la résistance à monter des opérations sophistiquées. Pour tirer, le 26 octobre, une trentaine d’obus de mortier sur l’hôtel Rachid, où résidait Paul Wolfowitz, numéro deux du Pentagone, la seule audace était insuffisante. Une opération de ce genre nécessite un minimum d’organisation : une cellule de renseignement, un soutien logistique et une parfaite coordination. Le renseignement peut provenir d’un réceptionniste de l’hôtel ou d’un préposé. C’est le scénario optimiste. Sinon, cela pourrait signifier que la résistance dispose de moyens d’écoute, ce qui serait gravissime pour les Américains. Quant au soutien logistique, il démontre que les résistants jouissent de complicités dans les quartiers populaires, les dédales des banlieues miséreuses rendant infructueuses les traques lancées par les forces coalisées. Qui sont ces résistants qui tiennent en échec l’armée la plus puissante de la planète et empêchent les stratèges du Pentagone de dormir sur leurs deux oreilles ? D’où viennent les armes qu’ils utilisent ?
Pendant que les satellites américains surveillaient l’Irak de Saddam Hussein pour repérer tout mouvement suspect et que les inspecteurs de l’ONU, sous la direction de Hans Blix, cherchaient les armes de destruction massive, le raïs aurait donné des instructions pour que des dizaines de milliers de caches d’armes soient creusées à travers tout le territoire, afin d’alimenter la guérilla promise aux envahisseurs. L’existence de ces caches a été confirmée par des prisonniers irakiens. Et, de l’aveu même de l’état-major de la coalition, à peine 5 % de ce stock a été mis au jour depuis le 19 mars 2003. Ce sont donc des milliers d’armes légères, des tonnes d’explosifs et des centaines de missiles sol-air (obstacle majeur pour une reprise de l’activité aérienne commerciale) qui se trouvent disséminés à travers le pays… et à la disposition de qui veut bien s’en servir.
La résistance irakienne n’a donc pas besoin d’un apport extérieur en armes ou en explosifs. Il est peu vraisemblable qu’un Bachar el-Assad soit assez inconscient pour alimenter une guérilla antiaméricaine alors qu’il est lui-même dans le collimateur de Washington. Quant à l’identité des résistants, elle demeure une énigme. Première hypothèse : les « actes de terrorisme » sont le fait exclusif des baasistes, partisans inconditionnels de Saddam Hussein, et de ce qui reste de l’armée. Hypothèse qui ne tient pas la route pour la simple raison que, même armé jusqu’aux dents, un militant baasiste n’a aujourd’hui aucune chance de sortir vivant d’un quartier s’il clame son appartenance au Baas. A fortiori d’y obtenir quelque soutien que ce soit.
Seconde hypothèse, plus commode pour les Américains : « Les attentats à la voiture piégée et les attaques de convois sont le fait d’éléments non irakiens membres ou non du réseau el-Qaïda. » On peut en effet trouver quelques similitudes entre le mode opératoire utilisé habituellement par l’organisation terroriste et celui des attentats suicide du 27 octobre à Bagdad. On peut même accorder du crédit au message d’Oussama Ben Laden diffusé le 10 octobre par la chaîne de télévision qatarie Al-Jazira, appelant au djihad en Irak. Mais de là à affirmer qu’el-Qaïda est en passe de faire en Irak ce que l’internationale islamiste a fait en Afghanistan durant les années 1980 contre l’armée Rouge, il y a un pas, qu’il serait hasardeux de franchir, les circonstances géopolitiques ayant sensiblement changé. Il y a quelques jours, nous avons rencontré à Fallouja un imam salafiste, donc proche des thèses d’el-Qaïda, qui semblait ravi du contenu du dernier discours de Ben Laden : « La résistance va accueillir des milliers de moudjahidine, volontaires musulmans. »
« Avez-vous besoin de combattants supplémentaires ? lui avons-nous demandé.
– Les Américains, malgré leur puissance de feu, font bien appel à des soldats danois, polonais, bulgares ou espagnols. Bush cherche une légitimation internationale à l’occupation de notre pays. Pourquoi devrions-nous nous priver du concours de volontaires algériens, yéménites, indonésiens ou pakistanais, ce qui ferait de la cause irakienne celle d’un milliard de musulmans ? »
Contrairement à ce que prétendent les Américains, il n’y a pas d’endroit de prédilection pour la résistance. Elle est partout. Il n’y a pas plus de dangereux « triangle sunnite » que de pays chiite pacifié ou que de Kurdistan serein. Kirkouk, à l’Extrême Nord, connaît autant d’actes de résistance que Samara au Centre, Ramadi à l’Ouest ou Basra au Sud. La guérilla irakienne couvre aujourd’hui un large spectre allant des nationalistes laïcs aux radicaux religieux, sunnites ou chiites. Dans la première catégorie, on peut citer le Front de libération irakien, la Brigade el-Qods ou les Fedayine de Saddam. Parmi les nombreuses organisations militaires islamistes, deux mouvements se distinguent : Djeïch Mohammed (l’armée de Mohammed), qui a revendiqué l’attaque suicide contre le siège des Nations unies à Bagdad le 19 août, et Ansar el-Islam, membre de la nébuleuse el-Qaïda, très actif dans le Kurdistan, particulièrement à Kirkouk et à Mossoul. Spécialité d’Ansar el-Islam : le sabotage des infrastructures pétrolières du Nord.
Laïcs ou fondamentalistes, les résistants irakiens agissent en premier lieu contre les forces d’occupation. Celles-ci ayant organisé la défense de leur position, la guérilla a adapté sa stratégie. Outre les soldats de la coalition, sont désormais prises pour cibles les « premières lignes de défense » : policiers et fonctionnaires (à tous les niveaux, du ministre à l’agent municipal). Et, surtout, toute cible facile ou très exposée, comme les voies de ravitaillement (les trains alimentant les magasins logistiques de l’armée américaine sont régulièrement attaqués à Habbaniya et Samara), les infrastructures et, malheureusement, les organismes étrangers. Objectif : mettre en lumière l’incapacité des Américains à sécuriser l’Irak. En s’attaquant au siège de la Croix-Rouge, les forces antiaméricaines ont prouvé qu’elles ne reculeraient devant aucune extrémité.

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