Guantánamo, l’île du Diable

Publié le 31 octobre 2003 Lecture : 3 minutes.

Quand l’Amérique s’est engagée dans la Première Guerre mondiale en 1917, les Germano-Américains ont été traqués, voire agressés, à mesure que le pays succombait à une hystérie antiallemande, qui aurait été impensable quelques mois plus tôt.
Durant la Seconde Guerre mondiale, même un libéral de l’envergure de Franklin D. Roosevelt a envoyé d’innocents Japonais-Américains dans des camps de concentration, avec l’approbation de la Cour suprême.
Au plus fort de la guerre froide, le sénateur Joseph McCarthy, de triste mémoire, a divagué, déliré et ruiné maintes carrières au nom de l’anticommunisme, à une époque que Lillian Hellman (célèbre dramaturge américaine) a baptisée « le temps des scélérats ».
Au cours de la guerre froide, les États-Unis ont multiplié les opérations hors frontières. La CIA a, par exemple, renversé un dirigeant iranien, Mohamed Mossadegh, qui n’était pas antiaméricain, pour la simple raison que s’il échouait il laisserait le champ libre aux communistes. L’Amérique a bombardé Guatemala-City et chassé le gouvernement de gauche, par crainte du communisme. Des années plus tard, les États-Unis ont organisé la chute du gouvernement chilien parce que Washington craignait qu’il n’ouvre la porte aux Rouges. Puis il y a eu la baie des Cochons.

Les États-Unis ont aussi fermé les yeux sur les turpitudes de dirigeants étrangers aussi longtemps qu’ils restaient dans leur camp. Rétrospectivement, nous, Américains, nous nous prenons la tête entre les mains en nous demandant comment tout cela a bien pu arriver. Comment avons-nous pu laisser commettre de telles aberrations en notre nom ?
Aujourd’hui, cela ne pourrait plus se produire, dirait-on. Nos contemporains ne peuvent plus tomber sous l’emprise des peurs irrationnelles et des superstitions qui hantèrent le XVIIe siècle.
Pourtant, il y a un peu plus de deux ans, personne n’aurait imaginé que quelqu’un puisse être exclu d’un avion, où il a payé sa place, sous le seul prétexte qu’un autre passager se sent mal à l’aise à ses côtés parce qu’il est basané.
L’île du Diable, l’ancien centre pénitentiaire français de la Guyane, d’où les prisonniers ne revenaient jamais, est aujourd’hui une attraction touristique. Personne, en visitant, avant le 11 septembre 2001, ces sinistres cellules désormais vides, n’aurait pu envisager que les États-Unis auraient un jour leur propre île du Diable, Guantánamo, où les prisonniers attendraient vainement d’être jugés. Le secrétaire américain à la Défense Donald Rumsfeld a indiqué qu’ils y resteraient tout le temps de la guerre antiterroriste, qui durerait probablement encore au moins deux générations. Autrement dit, les prisonniers de Guantánamo seront incarcérés à vie, sans avoir été jugés. Même les malheureux de l’île du Diable avaient droit à un procès.

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Récemment, le représentant de la Croix-Rouge internationale à Washington, Christopher Girod, a visité Guantánamo et a qualifié la situation d’inacceptable, ce qu’elle est effectivement. Il n’a pas dénoncé les conditions de vie de ces prisonniers, mais il a déclaré que « personne ne peut garder ces détenus indéfiniment de cette façon ». C’est pourtant ce qui est en train de se passer.
Bien sûr, le 11 septembre a changé la vision sécuritaire des États-Unis. Certes, il est normal que le gouvernement surveille de plus près qui entre dans ce pays et pourquoi. La plupart des Américains seraient certainement prêts à sacrifier un peu de leur vie privée en échange de plus de sécurité, tout comme la plupart d’entre eux acceptent la gêne occasionnée par les mesures de sécurité renforcées dans les aéroports.
Mais il semblerait que les États-Unis cèdent à la peur du terrorisme comme autrefois à celle du communisme et commettent d’énormes erreurs que nous considérerons un jour avec effarement. La peur peut inspirer un comportement répressif et cruel. Ne faisons pas de notre génération un autre « temps des scélérats ».

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