Clinton se lance dans la bataille

L’ancien président des États-Unis est à l’origine d’une initiative novatrice : aider les gouvernements en leur proposant les médicaments les moins chers sur le marché et une expertise technique pour les distribuer.

Publié le 31 octobre 2003 Lecture : 5 minutes.

Maison Blanche rimerait désormais avec lutte contre le sida ? On connaissait la fameuse initiative de George W. Bush, une dotation de 15 milliards de dollars sur cinq ans destinés à quatorze pays en développement (PED), annoncée en janvier 2003, mais toujours pas suivie d’effets. C’est au tour de l’ancien président Bill Clinton de lancer, au nom de sa fondation, un programme de lutte contre le sida en Afrique et dans les Caraïbes. Le Mozambique, le Rwanda, la Tanzanie et neuf pays caribéens en seront les premiers bénéficiaires. Si ce programme n’est pas encore effectif, il semble toutefois que sa méthodologie, rendue publique le 23 octobre, soit particulièrement solide. Objectif : soigner 2 millions de personnes d’ici à 2008. Un but identique à celui de la politque de George W. Bush. Ce n’est d’ailleurs pas le seul point commun puisque Clinton a commencé à plancher sur cette initiative au moment où l’actuel président américain annonçait son souhait d’obtenir le vote du Congrès pour son programme de lutte contre le sida. Mais là où Bush attribue une somme d’argent à une structure, Bill Clinton innove. Il a choisi de proposer aux États un « package », contenant des médicaments et une expertise pour mettre en place la distribution la plus efficace et la plus large possible. Si la fondation n’est évidemment pas rémunérée pour ce service, les États, eux, doivent assumer l’achat des antirétroviraux (ARV). À des prix défiant toutefois toute concurrence. Car travailler avec Clinton signifie bénéficier du prix le plus bas sur le marché.
Dans l’ombre, l’équipe de l’ancien président, emmenée par Ira Magaziner, son ancien conseiller aux politiques de développement, notamment en matière de santé publique, a réussi un très gros coup. Elle est parvenue à convaincre les fabricants de génériques de baisser leurs prix, alors qu’ils se targuaient de céder leurs molécules au tarif minimal. Magaziner a obtenu un accès aux secrets de fabrication de ces sociétés, et, après cinq mois d’observation, le coût de chaque étape, de la production à l’achat des matières premières en Chine en passant par l’emballage, a été abaissé, sans que la qualité s’en ressente. Résultat, le prix de vente a été diminué, tout en conservant une marge de profit. La trithérapie devient désormais disponible pour 33 centimes d’euro par jour et par patient. Une première. Le prix minimal que les fabricants de génériques revendiquaient auparavant était de 46 centimes. À titre de comparaison, la moins chère des trithérapies offertes par les laboratoires pharmaceutiques plafonne à 1,30 euro. Un prix plancher également, mais plus élevé car ces sociétés incluent les coûts de recherche et développement.
Pour Aspen (Afrique du Sud), Cipla, Ranbaxy et Matrix (Inde), les quatre « génériqueurs » concernés, cet accord est une très bonne affaire. Même avec une marge minimale, leurs profits seront supérieurs à ceux qu’ils réalisent lorsqu’ils cèdent la trithérapie à 46 centimes. Car les PED n’importent toujours pas de copies de médicaments. L’accord signé à l’Organisation mondiale du commerce le 30 août dernier les autorise certes à le faire, mais implique des démarches administratives contraignantes et coûteuses au vu du temps passé et du nombre de personnes mobilisées. De leur côté, les fabricants de génériques n’étaient pas non plus pressés de vendre leurs produits en Afrique, les quantités, souvent infimes, ne leur permettant pas de faire de profits. En offrant aux États ces tarifs, couplés à son expertise, la fondation Clinton garantit donc aux quatre entreprises un marché de deux millions de personnes, et aux malades, qui en ont désespérément besoin, des traitements vitaux.
Mais la distribution à grande échelle de médicaments même peu onéreux implique des financements. Or la fondation Clinton ne distribue pas d’argent. L’ancien président utilise en fait son arme maîtresse – sa notoriété – pour convaincre des donateurs de financer les gouvernements participant à son programme. Ainsi, le gouvernement irlandais s’est engagé à verser 50 millions d’euros sur cinq ans au Mozambique. Une somme importante, car si l’achat des médicaments est une chose, leur accessibilité en est une autre. Pour qu’elle soit étendue à tout le pays et à un maximum de malades, il faut former du personnel de santé et disposer des infrastructures adéquates. Des domaines où la fondation fournira aussi son expertise. Le Canada a également annoncé qu’il donnerait plusieurs dizaines de millions d’euros à l’un des trois pays africains du programme. Parallèlement, ces États – le Rwanda, le Mozambique et la Tanzanie – ont mis de côté de l’argent obtenu auprès du Fonds mondial de lutte contre le sida, la malaria et la tuberculose, pour financer le « plan Clinton ». Et l’ancien président a obtenu 1 million d’euros de donateurs privés.
Alors, cette initiative est-elle la solution ? Cette approche novatrice pourrait apporter un nouveau souffle, et garantir le retour de donateurs, échaudés par la corruption et les fréquents détournements de fonds, mais rassurés par la supervision Clinton. Toutefois, les laboratoires pharmaceutiques risquent de se manifester. Certains médicaments copiés sont encore sous brevet dans certains pays, notamment en Afrique du Sud. Pour éviter de perdre le marché, les grandes firmes pourraient faire obstruction. Mais elles auraient alors deux obstacles à surmonter, liés à leur image. D’une part, il serait malvenu de vouloir à nouveau barrer la route aux traitements alors que la communauté internationale leur a reproché le prix exorbitant des ARV imposés au Sud à la fin des années 1990. D’autre part, selon Magaziner, ces entreprises ont toutes été contactées afin de participer au programme, mais aucune ne semble y prendre part. Seul Merck serait en cours de discussion avec la fondation. Bref, en s’élevant contre ce programme, les laboratoires pharmaceutiques risqueraient une cinglante condamnation internationale à la mesure des félicitations reçues par la fondation Clinton.
Même Thabo Mbeki, le président sud-africain longtemps réfractaire à la disponibilité des ARV dans le système de santé public, a fait confiance à Clinton. Il a en effet « engagé » la fondation américaine comme conseiller à l’élaboration de son programme de distribution des ARV. Lequel devrait être officiellement présenté avant la mi-novembre. Enfin, cette initiative a un autre avantage non négligeable : on peut envisager de la reproduire. Pour faire baisser les prix des examens biologiques indissociables du traitement contre le sida, comme l’ambitionne Clinton, mais aussi, pourquoi pas, pour lutter contre d’autres maladies moins médiatisées, comme le paludisme.

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