Chirac parmi les siens

Au cours de son périple au Sahel, le chef de l’Etat français a évité d’aborder les questions qui fâchent. Il a juste donné un coup de pouce à ses hôtes.

Publié le 31 octobre 2003 Lecture : 6 minutes.

Soudain, il se lève et, bravant la canicule et la poussière, se dirige, les bras tendus, vers la foule en liesse. Il serre des mains, donne des tapes amicales dans le dos et sur les épaules, distribue à la volée quelques bises. Lors des bains de foule, des cocktails et des cérémonies officielles, il a une attention, un mot gentil, voire une promesse pour chacun. « Une photo, Monsieur le Président ? » Et le voilà, posant joue contre joue avec Muriel, ravissante métisse nigérienne, dans les jardins de la Résidence de France, ce 22 octobre à Niamey. Le lendemain, des hommes d’affaires français installés au Niger l’abordent dans le hall de l’hôtel Gaweye et demandent à se faire prendre en photo avec lui. Aussitôt dit, aussitôt fait. « Prenez-en une autre, lance le président en direction du photographe. Non pas que je doute de vos talents, mais on ne sait jamais… »
Même par 40 °C à l’ombre, au Niger et au Mali, deux pays qu’il a visités au pas de course du 22 au 25 octobre dernier, Jacques Chirac campe Jacques Chirac. Décontracté comme l’Ivoirien dans une autre vie, humble comme le Malien depuis des millénaires et, à l’occasion, charmeur, comme peuvent l’être les Sénégalais. Il n’hésite pas à bousculer le protocole, va lui-même sur les marches de l’hôtel Gaweye accueillir le Premier ministre nigérien Hama Amadou. Il salue systématiquement, et avec beaucoup de courtoisie, le personnel du même établissement lorsqu’il sort le matin de l’ascenseur, ou lorsqu’il rentre de dîner. « Cet homme n’est pas un glaçon », lâche, conquis, l’un des réceptionnistes.
Chirac évite, avec beaucoup d’habileté, les sujets qui fâchent. Ainsi de l’épineux dossier des anciens combattants africains lésés, de manière scandaleuse, par rapport à leurs camarades français aux côtés desquels ils ont pourtant combattu, notamment lors de la Seconde Guerre mondiale. « Le sort réservé à ces anciens combattants est, j’en conviens, foncièrement injuste, mais l’attitude de la France s’explique par des difficultés financières. Par respect pour ces hommes et pour leurs familles, nous avons décidé de rectifier le tir. » L’immigration, thème récurrent des campagnes électorales françaises et sur lequel les Maliens, notamment, sont chatouilleux ? « Nous ne sommes pas contre l’immigration en tant que telle, mais contre l’immigration clandestine. Nous souhaitons avoir une immigration légale, organisée, normale, et non pas une immigration mafieuse. »
Sur la lancée, Jacques Chirac affirme partager l’idée d’une « Francophonie sans visas », défendue, il y a quelques années, par l’Égyptien Boutros Boutros-Ghali : « La réflexion est en cours. » On n’en saura pas davantage. Le président sait par ailleurs évoquer mieux que quiconque, et avec beaucoup d’émotion dans la voix, cette Afrique meurtrie qui a subi plusieurs « chocs culturels », euphémisme pour désigner la traite esclavagiste et la colonisation. Tout comme il sait trouver les mots justes pour dénoncer l’inefficacité de l’aide européenne aux pays démunis : « Les procédures actuelles ne permettent pas à ces pays d’utiliser l’argent mis à leur disposition. L’aide européenne rend impossible les réformes qu’on réclame de ces pays. La France ne peut continuer à assister, impassible, à cette situation. »
En défenseur et VRP du continent, Chirac plaît. De Niamey à Bamako, en passant par Tahoua, Tombouctou, les populations, par centaines de milliers, se sont bousculées sur son passage. Pour accueillir et saluer, certes, le président français, mais aussi et surtout « l’avocat » de l’Afrique dans les forums internationaux et le « résistant » à la politique belliqueuse des États-Unis en Irak. « Aux yeux des pays du Sud, n’hésite pas à écrire l’éditorialiste du quotidien malien L’Essor, Jacques Chirac est aujourd’hui le seul homme d’État occidental qui incarne la contestation de l’unilatéralisme, la critique de la pure logique du marché et la dénonciation des exclusions provoquées par la mondialisation. » Les Nigériens, pour leur part, proposent, ni plus ni moins, qu’on décerne au président français le prix Nobel de la paix.
Oublié, donc, le séisme provoqué au début des années 1990 par le même Jacques Chirac s’interrogeant à haute voix, lors d’une escale à Abidjan, sur la capacité de l’Afrique à « digérer » la démocratie athénienne. Grâce à George W. Bush, au Conseil de sécurité des Nations unies, à Cancún, sans doute aussi au refus de toute compromission avec l’extrême droite française lors du scrutin présidentiel de 2002, Jacques, l’Africain – sans guillemets SVP -, semble avoir repris toute sa place dans les coeurs. Les uns louent ses origines « modestes », sa « simplicité ». Les autres, sa passion pour l’Afrique, pour ses hommes, ses femmes, ses enfants, ses masques, ses statuettes et ses mystères…
Pour ces retrouvailles au Sahel, Chirac a déplacé, comme naguère Mobutu, et aujourd’hui encore Bongo, toute une tribu. Il y avait les ministres de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche et des Affaires rurales, Hervé Gaymard, de la Coopération et de la Francophonie, Pierre-André Wiltzer. Bien entendu, le chef d’état-major particulier du président, le général d’armée Jean-Louis Georgelin, son aide de camp (le lieutenant-colonel François Labuze), et toute une flopée de conseillers élyséens, notamment Jérôme Monod, Michel de Bonnecorse (le « monsieur Afrique » du palais), et son interface au Quai d’Orsay Nathalie Delapalme. Des parlementaires, mais aussi des « personnalités » invitées à titre amical par le chef de l’État (l’écrivain Catherine Clément, le professeur Marc Gentilini, président de la Croix-Rouge française, le champion olympique de judo David Douillet et son épouse), ainsi qu’une belle brochette de chefs d’entreprise. Entre autres, Pierre Castel, PDG des Brasseries et glacières internationales (BGI) ; Alain Viry, du groupe CFAO ; Anne Lauvergeon, président du directoire de la Cogema ; Patrick Lucas, PDG de Gras Savoye ; et le président du Comité Afrique du MEDEF International (et vice-président du groupe Bolloré), l’inévitable Michel Roussin.
Pour voyager, certains chefs d’État africains affrètent des appareils ou font carrément de l’avion-stop. Pour transporter tout son monde, ainsi que les journalistes, techniciens, cameramen, agents de sécurité, le maître-chien et son berger allemand renifleur d’explosifs, Chirac a dû mobiliser, histoire de montrer que la République a les moyens de sa diplomatie, pas moins de trois Airbus A-310, deux Falcon 50, trois Transall C160, plusieurs hélicoptères, sans oublier le Falcon 50 sanitaire pour rapatrier au plus vite les blessés, en cas d’accident. Qui a donc dit que la France était sur le déclin ?
Il est vrai qu’en ces temps de restrictions budgétaires à Paris, le président n’a pas, au cours de son périple, annoncé d’aides spectaculaires. Juste un petit « coup de pouce » de 10 millions d’euros (6,6 milliards de F CFA) aux autorités de Niamey, destinés à l’aménagement du fleuve Niger, artère nourricière de plusieurs pays africains, menacé d’ensablement. Une remise de la dette bilatérale du Mali de 7,6 milliards de F CFA (11,6 millions d’euros), pour les quatre prochaines années, sans oublier un « plan d’action » en faveur des producteurs de coton. Bref, juste de quoi frapper les esprits, si l’on en juge par cette étonnante réaction d’un enseignant malien : « S’il était gouverneur de la Banque de France, il ouvrirait les coffres aux pays pauvres. Et s’il était ministre des Droits de l’homme, les portes de son pays aux damnés de la Terre… »
À défaut d’un prix Nobel, et avant de retrouver la grisaille parisienne, Jacques Chirac, à qui ses hôtes nigériens et maliens ont offert des dromadaires et une tente, a également été intronisé « Hogon », stade suprême de la sagesse chez les Dogons. Le président français, qui a déjà un marabout au Sénégal et même, dit-on, au Burkina, a été intronisé au pied des falaises dans lesquelles sont nichés les célèbres villages troglodytes dogons, à quelque 600 kilomètres au nord-est de Bamako. Il a reçu de ses nouveaux sujets une canne en bois sculpté, une tunique bleue avec un chapeau conique, ainsi qu’un plat en terre…

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