Celui qui voulait être juif

À travers un conte cruel et désenchanté, écrit en hébreu, Sayed Kashua évoque la condition des Arabes israéliens.

Publié le 31 octobre 2003 Lecture : 3 minutes.

« Je fais plus israélien que le commun des Israéliens, et rien ne me fait plus plaisir que de l’entendre de la bouche d’un Juif », ose Sayed Kashua, Arabe israélien. Son premier roman, Les Arabes dansent aussi, est un conte cruel et drôle sur les errements d’un jeune Arabe israélien déchiré entre deux identités. Une partition à trois voix où Sayed Kashua passe au vitriol les travers des deux sociétés. Né en 1975 à Tira, en Galilée, dans un village devenu israélien en 1948, l’auteur de cet opus subversif est journaliste et critique de télévision dans un hebdomadaire de Tel-Aviv. Installé dans un village arabe en périphérie de Jérusalem, il donne vie à un homme dont on ne connaîtra jamais le nom et qui souhaite se faire passer pour un Juif alors qu’il est arabe. « Tous mes efforts de dissimulation, efficaces pendant des années, vont s’effondrer en un instant », s’inquiète-t-il au moment de franchir un barrage israélien avec sa jeune épouse arabe. « Pourvu que les soldats ne voient pas ma femme ! J’aurais quand même pu trouver quelqu’un de moins typé ! » Et de surenchérir, honnête jusqu’à l’écoeurement : « Elle est capable de me parler arabe, même dans un ascenseur bondé, à l’entrée du centre commercial ou pendant qu’on nous passe au détecteur de métaux. ça ne la gêne pas de jouer avec la petite et de lui parler arabe en public. »
Avant de devenir cet être odieux, le personnage était un enfant doué, promis à un bel avenir. Ses parents ont tout fait pour lui offrir le meilleur. De son enfance à Tira, il conserve l’image d’une grand-mère adorée, de jeux guerriers et de rencontres éprouvantes avec deux mondes étrangers l’un à l’autre. « À Tira, un jour, notre professeur nous avait interrogés pour savoir qui parmi nous avait idée de ce qu’était la Palestine. Personne n’avait su répondre. » Une ignorance renforcée par de tenaces préjugés. « Comme tout le monde, je les détestais et je craignais qu’ils ne m’enlèvent. Ils me faisaient pourtant l’effet de gens normaux, eux qui n’avaient sûrement jamais torturé personne. »
Quelques années plus tard, admis dans l’une des plus prestigieuses écoles de Jérusalem, il découvre l’internat et y fait l’apprentissage du racisme. Il n’est pas près d’oublier sa première séance de cinéma avec sa petite amie juive. « Naomie m’assura que je n’avais rien à craindre. Nous allions voir un film, me dit-elle, que les voyous ne vont pas voir, un film pour gens de gauche dans son genre. » Se moquant de celui qu’il était à l’époque, le narrateur ajoute : « Quelle ne fut pas ma joie de voir apparaître deux cuisiniers arabes dans le film. Ils étaient parfaits et très drôles. » Naomie le quitte à la fin de l’internat, car, précise-t-elle, « sa mère préférait avoir une fille lesbienne plutôt qu’une fille qui sorte avec un Arabe ».
À la désillusion sentimentale s’ajoute le désenchantement professionnel. Prié d’aller faire un tour au musée lors des entraînements militaires, il prend conscience de la nature superficielle de son intégration. Révolté contre son père qui lui promettait un bel avenir en Israël, l’ancien enfant prodige aimerait le traîner devant les tribunaux. Surtout parce qu’il a fini par capituler : « Papa dit que le mieux serait que nos cousins de Tulkarem, de Ramallah et de Naplouse obtiennent eux aussi une carte d’identité bleue. Tout le monde n’a qu’à se soumettre comme nous, les Arabes israéliens. Mieux vaut être les esclaves de son ennemi que du leader de votre peuple. »
Ce premier roman résonne comme un rire rédempteur pour jeune homme ayant croisé en mer hostile et s’étant trompé de port. Ni inquisition ni résignation dans cette écriture pleine de sève qui, tout en tournant Juifs et Arabes en dérision, les réunit dans leur commune humanité.

Les Arabes dansent aussi, de Sayed Kashua, éd. Belfond, 266 pp., 18,5 euros.

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