Bouteflika contre-attaque

En ramenant le débat sur le terrain économique, le président montre qu’il n’entend pas laisser ses adversaires noircir son bilan.

Publié le 31 octobre 2003 Lecture : 4 minutes.

« Il est regrettable que, depuis plusieurs mois déjà, l’intérêt de certains milieux se soit focalisé sur la prochaine échéance électorale qui demeure pourtant lointaine. » C’est sur un ton posé que le président Abdelaziz Bouteflika a décoché une flèche empoisonnée vers ses détracteurs lors d’un discours prononcé le 22 octobre à l’occasion des assises nationales sur l’emploi des jeunes. En reprochant à ses adversaires de s’inscrire dans une logique de campagne électorale, il a dénoncé leur volonté de ternir à tout prix l’image du pays, qu’ils présentent « en panne, voire en crise ». Bouteflika assure que cette vision n’est pas la sienne, ni celle de ses collaborateurs, et encore moins celle des représentants de l’État, présents sur le terrain, loin des salons de la capitale, laboratoires des campagnes de dénigrement.
« Le patron, dit-on à el-Mouradia, le siège de la Présidence, n’avait jamais abordé la question de la présidentielle d’une manière aussi directe. Sauf une fois, pour répondre à un journaliste français [Jean-Pierre Elkabach de la station de radio Europe 1, NDLR] qui lui demandait s’il serait partant pour un deuxième mandat. Il avait alors éludé la question. » Cela n’empêche pas des hommes politiques et de nombreux journalistes d’utiliser la formule « le président-candidat ».
Les gros titres de la presse indépendante sur de prétendus scandales financiers comme le livre réquisitoire du général à la retraite Khaled Nezzar peuvent paraître accablants. Mais Bouteflika n’est pas homme à jouer les victimes expiatoires. Il a décidé de contre-attaquer. Comment ? En affichant son bilan économique. Ainsi, souligne-t-il, quelque 50 000 micro-entreprises ont généré plus de 150 000 emplois. Le dispositif mis en place dans le cadre de la loi de finances 2004 devrait traiter plus de 200 000 projets concernant 550 000 demandeurs d’emploi de moins de 35 ans, soit le tiers de cette catégorie de chômeurs. Les travaux publics et le bâtiment ont créé durant les douze derniers mois plus de 70 000 emplois permanents.
Le chef de l’État précise, toutefois, qu’il s’agit là d’une première évaluation et que « dans un avenir proche, le peuple algérien aura l’occasion d’apprécier le bilan détaillé de ce qui a été fait tout au long de ces cinq dernières années ». On peut déceler dans cette remarque une allusion à la présidentielle.
En ramenant le débat sur les questions économiques, le président de la République a mis à contribution son ministre des Finances, Abdelatif Benachenhou, celui de l’Agriculture, Saïd Barkat, ainsi que Mohamed Laksaci, gouverneur de la Banque d’Algérie, institution ébranlée par l’affaire Khalifa ainsi que par celle d’une autre institution financière privée, la Banque commerciale et industrielle d’Algérie (BCIA). Les deux ministres et le gouverneur se sont longuement expliqués devant une Assemblée nationale de moins en moins commode depuis l’entrée en dissidence d’une partie du Front de libération nationale (FLN, d’Ali Benflis, majoritaire au Parlement).
Abdelatif Benachenhou a égrené les performances de l’économie algérienne pour prouver que la pauvreté a sensiblement reculé dans ce pays. Le revenu brut des ménages est passé de 18 milliards de dollars en 1999, année de l’élection de Bouteflika, à 26 milliards de dollars en 2002. L’investissement global durant cette période est évalué à 15,5 milliards de dollars, trois fois plus que ce qui a été réalisé durant la décennie 1989-1998 – une « performance » à relativiser puisque cette dernière est la « décennie noire », marquée par le terrorisme et l’insécurité. Depuis le séisme du 21 mai dernier, le gouvernement a déjà investi plus de 2 milliards de dollars pour la reconstruction des zones sinistrées et la remise en état de l’appareil de production. Le ministre des Finances a également mis en exergue le bond en avant de la croissance, dont le taux a doublé entre 1999 (3,2 %) et 2003 (environ 6,5 %).
Saïd Barkat, malgré ses déboires au FLN (il en a été exclu pour avoir participé au mouvement de dissidence), est un ministre heureux. Son secteur, l’Agriculture, affiche désormais une croissance à deux chiffres. L’exercice 2003 devrait s’achever avec un taux de 16 %, s’accompagnant de la création de centaines de milliers d’emplois dans les milieux ruraux défavorisés et d’une sensible augmentation à l’exportation des produits agricoles algériens. Quant au gouverneur de la Banque d’Algérie, il a confirmé la bonne santé de la balance des paiements avec un excédent du commerce extérieur s’élevant à 4,1 milliards de dollars pour le premier semestre de l’année en cours.
Les résultats monétaires et financiers sont un atout pour Bouteflika. C’est pourquoi il a choisi le moment pour les rendre publics. Le président ne dédaigne pas pour autant l’argument politique. Il rappelle à qui veut l’entendre que ces performances ont été rendues possibles grâce à la Concorde civile, cette loi du 13 janvier 2000 qui avait amnistié les membres de l’Armée islamique du salut (branche militaire du FIS) après son adoption par référendum en septembre 1999. Cette démarche, qui a certes contribué à réduire sensiblement la violence islamiste, soulève encore des accusations de toutes parts. Le chef de l’État, disent certains, serait sur le point de signer un accord électoral avec le diable (en l’occurrence le FIS dissous en mars 1992). On a même spéculé sur une rencontre entre Bouteflika et Abassi Madani, président du parti islamiste, à Kuala Lumpur, en Malaisie, où ce dernier se trouve pour des soins, à l’occasion du sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), à la mi-octobre. Évidemment, il n’en a rien été.
Par cette première offensive, Bouteflika prouve que, candidat ou pas, il n’a nullement l’intention de laisser faire ceux qui veulent noircir son bilan.

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