Trois belles victoires

Publié le 3 octobre 2005 Lecture : 5 minutes.

Une semaine faste, à marquer d’une pierre blanche, puisque ce dont j’ai à vous parler est positif : trois évolutions heureuses et qui ont pour théâtre, toutes les trois, l’ex- « Tiers Monde », ce sud de la planète érigé désormais en « deuxième monde ».
Croyez bien que l’analyste que je suis est heureux de pouvoir, de temps à autre, annoncer et commenter de bonnes nouvelles.

1. La première de ces bonnes nouvelles nous vient d’Afrique du Sud.
Nous savons tous que ce pays a vécu plus d’un demi-siècle sous le régime détestable de l’apartheid, où la minorité blanche (13 % de la population) gouvernait la majorité et exploitait les richesses du pays à son seul profit.
Ce régime a fini par se fracasser et, depuis 1994, la République d’Afrique du Sud et son économie sont dirigées par des gouvernements démocratiquement élus, issus de la majorité noire du pays et encadrés par l’ANC (l’African National Congress, le parti qui a mené et gagné la lutte contre l’apartheid).
Depuis plus de dix ans, ce sont donc les opposants et les exclus d’hier qui exercent la plénitude du pouvoir.
Ceux qui en avaient le monopole – et l’expérience – ont été chassés du gouvernement mais vivent tranquillement dans le pays.
Une vraie révolution.
Lorsque ce transfert est intervenu, il y a un peu plus de dix ans, certains ont ricané :
– « Vous verrez qu’ »ils » (« ces Noirs ») sont tout à fait incapables de faire fonctionner l’économie d’un pays évolué. L’Afrique du Sud va s’effondrer… ce sera le Zaïre… »

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Et bien, c’est tout vu : Nelson Mandela d’abord, Thabo Mbeki ensuite (et leurs collaborateurs) ont su faire marcher l’économie sud-africaine… beaucoup mieux que leurs prédécesseurs.
Le FMI lui-même le reconnaît noir sur blanc dans son rapport annuel sur l’économie du pays (publié la semaine dernière), et tous ceux qui ont le regard braqué sur l’Afrique du Sud sont du même avis : croissance de l’ordre de 4 % par an, inflation maîtrisée, finances en ordre, monnaie solide, réserves de change suffisantes, excellente réputation auprès des investisseurs.
(Du temps de l’apartheid, la croissance était de 1 % par an, la plupart des « fondamentaux » étaient mauvais et les clignotants étaient au rouge).
Oh, certes, la pauvreté n’a pas disparu, le chômage et les inégalités sont frappants, et il faudra encore trois ou quatre décennies de bonne gestion économique – et de paix – pour qu’ils s’estompent. Mais l’acquis des dix dernières années est là, impressionnant.

Il est économique, mais idéologique tout autant :
– lorsqu’ils accèdent aux responsabilités, les Africains, en particulier les Subsahariens, ne font pas nécessairement plus mal que les Européens, que les Blancs. Les nombreux échecs qu’on leur jette à la tête pour le leur faire croire ne doivent pas conduire à une telle conclusion ;
– à l’inverse, ce n’est pas parce qu’ils sont noirs que les actuels gouvernants de l’Afrique du Sud ont fait mieux que leurs prédécesseurs blancs.
C’est parce qu’ils ont eu la chance de disposer, au moment voulu, de dirigeants raisonnables, compétents, qui ont su jeter la rancune aux orties et prendre les bonnes décisions.
Et parce que les gouvernements de cette courte période postapartheid représentaient la majorité de la population, s’appuyaient sur elle, disposaient de sa confiance, étaient et sont encore mus par la volonté de faire évoluer l’ensemble du pays.
Tandis que leurs prédécesseurs, eux, étaient au service d’une oligarchie…

2. La deuxième bonne nouvelle concerne les deux pays les plus peuplés de la planète, la Chine et l’Inde.
Le premier est une autocratie dirigée par un parti qui se dit encore communiste ; il exerce la totalité des pouvoirs : le politique et l’économique ; le second est une démocratie installée depuis près de soixante ans, la plus grande du monde par la population.
Le premier s’est lancé en 1978 à corps perdu dans un développement économique effréné au taux de 9 % l’an, fondé sur l’investissement étranger et l’exportation ; le second, beaucoup moins centralisé, s’est engagé dans la même voie, avec un peu de retard : il s’y meut avec davantage de lenteur et (trop) de prudence.
Voyons ce que donne le match entre ces mastodontes sur deux plans :
– la lutte contre la pauvreté : la Chine a sorti 30 % de ses habitants (400 millions de personnes) de la misère – un revenu de moins de 1 dollar par jour -, tandis que l’Inde n’a pu faire de même qu’avec 70 millions de ses ressortissants (7 % de sa population environ) ;
– la lutte contre les famines : sur ce plan, c’est la démocratie indienne qui gagne haut la main. Elle a supprimé les famines qui ont décimé la population pendant l’époque coloniale et n’en a plus connu depuis cinquante ans, tandis que la Chine, celle du parti communiste et de Mao, en a subi au moins une, terrible (30 millions de morts), en 1959-1961, provoquée par les erreurs de la planification.

En ce début de XXIe siècle, la Chine autocratique continue de se développer plus vite que l’Inde démocratique, et le revenu annuel du Chinois (1 300 dollars) est le double de celui de l’Indien (650 dollars).
Alors, la dictature est-elle plus efficace que la démocratie quand il s’agit de développer l’économie d’un pays et de tirer ses habitants de la pauvreté ?
Ce n’est pas acquis, car nul ne sait si le lièvre chinois ne va pas s’essouffler ou, parce qu’il va trop vite, tomber dans le fossé. Dans ce cas, il risque de se faire rattraper, et peut-être dépasser, par la tortue indienne.
En revanche, la bonne nouvelle, Ô combien réconfortante, est celle-ci : on a demandé aux Indiens, par sondage, s’ils accepteraient de renoncer aux avantages de la démocratie dans laquelle ils vivent depuis six décennies pour une croissance économique plus rapide, à la chinoise (8 % à 9 %, au lieu de 6 % à 7 %).
À une majorité écrasante, la réponse a été « non » : les Indiens préfèrent se développer à leur rythme, mais en continuant à bénéficier des protections que leur offre leur régime démocratique.

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3. La troisième « divine surprise » de la semaine nous vient d’un pays africain, situé à la charnière du Nord et du Sud-Sahara, que Jeune Afrique/l’intelligent a suivi – et soutenu – depuis sa naissance difficile, en 1960 : la Mauritanie.
J’avais perçu pour ma part, dès le mois d’août dernier, la signification et l’importance de la révolution qui y a éclos le 3 août comme une fleur du désert. Mais ce qui est exprimé avec une grande force et beaucoup de conviction par le président Ely Ould Mohamed Vall, dans l’interview à François Soudan que nous publions dans ce numéro (voir pages 36-44), vient confirmer notre perception et donner corps à l’espérance suscitée par « le changement ».
Ses propos sont à graver dans le marbre.

Une fois lu et médité, ce texte doit être conservé pour être relu :
– il faudra s’assurer, en effet, que la Mauritanie nouvelle, née le 3 août dernier, quarante-cinq ans après sa première naissance et la proclamation de la République islamique de Mauritanie, tiendra les promesses qu’elle a faites à ses citoyens, à l’Afrique et au monde ;
– il faudra que « la rupture avec un système usé jusqu’à la corde » se concrétise mois après mois. Jusqu’au point de non-retour ;
– et il faudra aider les auteurs de cette étape révolutionnaire à se maintenir au niveau – très élevé, historique – où ils se sont hissés.

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