« Traverser ou périr »

Publié le 3 octobre 2005 Lecture : 3 minutes.

Pour la première fois depuis leur érection dans les années 1990, les murs métalliques
séparant Ceuta et Melilla (les deux enclaves espagnoles situées sur les côtes méditerranéennes du Maroc) de l’arrière-pays du royaume chérifien ont été pris d’assaut
par des centaines de candidats à l’émigration clandestine vers l’Europe. C’est aussi la première fois que l’éternel jeu du chat et de la souris entre la garde civile espagnole et ces « damnés de la Terre » tourne à l’affrontement meurtrier.

Le 29 septembre, quelque cinq cents Subsahariens affamés, sortis de la forêt de Bel Younès, à quelques encablures de Ceuta, attaquent, à la faveur de la nuit, la fameuse
double clôture de la ville. Méthodique, l’assaut, organisé à l’aide d’échelles de fortune, a totalement surpris les 150 éléments de la Guardia civil qui se trouvaient de
l’autre côté du mur. Une bonne centaine d’assaillants réussissent à réaliser leur rêve : accéder à l’intérieur des frontières de « l’eldorado » européen. Mais d’autres y laissent la vie : cinq Subsahariens dont un bébé ivoirien. La polémique enfle des deux bords de la Méditerranée sur l’origine des tirs : deux personnes au moins sont en effet mortes par balles. Espagnols et Marocains se rejettent la responsabilité du drame. Les échauffourées se sont également soldées par des dizaines de blessés dans les deux camps. L’avant-veille,
un millier de leurs compagnons d’infortune, jusque-là terrés à Gourougou, petit mont boisé surplombant le préside de Melilla, avaient attaqué à deux reprises, à quelques heures d’intervalle, la clôture de l’enclave.
Après une éprouvante traversée du désert au cours de laquelle beaucoup sont pillés (et les femmes violées), ces migrants se retranchent dans des campements improvisés, sans eau ni nourriture, vivant d’expédients, parfois plusieurs années. Ce qui explique qu’ils
aient tenté le tout pour le tout, faisant preuve, au cours de leurs assauts contre les enclaves espagnoles, d’une incroyable détermination. « Quand on essayait de les arrêter, ils nous mordaient et nous donnaient des coups de poings. Ils sont très costauds et ils y vont à fond », témoigne un garde civil espagnol. « Avant d’y aller, notre devise était : traverser ou périr », confirme, à partir de sa tente, à Bel Younès, un Congolais, déterminé à recommencer.
Pour Khalil Jameh, président de l’Association des amis et des familles des victimes de l’immigration clandestine (Afvic), il est impossible de chiffrer avec précision le nombre de ces migrants, mais l’ONG marocaine évalue à 6000 la population clandestine concentrée
dans les trois principaux sites : Bel Younès, Gourougou et le campus universitaire
d’Oujda, ville frontalière avec l’Algérie, qui constitue à la fois un point d’entrée et de
refoulement des clandestins. À Gourougou, par exemple, on a recensé, fin 2004, 300 Nigérians, 200 Maliens, 150 Camerounais et 100 Sénégalais. Khalil Jameh affirme que 2700 candidats subsahariens à l’émigration clandestine ont péri au cours des cinq dernières années. Certains d’entre eux sont morts de soif en plein désert, d’autres, noyés, au large
du Maroc.

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Le sommet annuel maroco-espagnol, qui s’est ouvert le 29 septembre, à Séville, en présence du chef du gouvernement espagnol José Luis Zapatero et de son homologue marocain
Driss Jettou, a bien sûr abordé la question. L’approche des deux parties n’est plus conflictuelle comme du temps d’Aznar, le prédécesseur de Zapatero. Les Espagnols, qui relèvent l’augmentation de 37 % des interceptions effectuées par les Marocains en 2004, soulignent « l’amélioration substantielle de l’attitude du Maroc ». Reste que ce dernier,
confronté à un grave déficit social, n’a évidemment pas les moyens d’accueillir convenablement les migrants sur son territoire. Ni même de les en refouler.

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