Pourquoi l’Amérique devrait aider Assad

L’administration Bush rêve de déstabiliser la Syrie. Ce serait le plus sûr moyen de ne jamais réussir à stabiliser l’Irak.

Publié le 3 octobre 2005 Lecture : 4 minutes.

S’il avait participé au récent sommet de l’ONU, à New York, Bachar al-Assad aurait été le premier président syrien depuis quarante ans à se rendre aux États-Unis. Cela aurait été l’occasion pour les deux pays, dont les relations sont passablement tendues, de se parler.
La secrétaire d’État Condoleezza Rice en a décidé autrement : elle a retardé l’octroi de son visa, l’a écarté de la rencontre des ministres des Affaires étrangères consacrée au Liban et à la Syrie et s’est arrangée pour que l’arrivée à Damas du représentant de l’ONU chargé d’enquêter sur l’« affaire Hariri » coïncide avec le départ d’Assad pour New York. Coincé, celui-ci a annulé son voyage.
Le comportement de Rice est conforme aux objectifs de l’administration Bush concernant la Syrie. À savoir, « continuer à essayer de l’isoler ». À Washington, de nombreux responsables soutiennent que ce pays est désormais un « fruit mûr » que les États-Unis devraient s’empresser de faire tomber afin de susciter une « instabilité créative », d’ouvrir la voie à une démocratisation du Moyen-Orient et de renforcer la stabilité de l’Irak. Mais ce ne sont là que dangereuses fantaisies qui finiront par nuire aux objectifs américains.
Le régime d’Assad n’est certes pas un modèle de démocratie, mais même ses pires ennemis, en Syrie, ne souhaitent pas sa chute. Pourquoi ? Parce que la société syrienne, dans ses profondeurs, est dominée par une culture autoritaire qui se manifeste dans la famille, à l’école ou dans les mosquées.
Les petits groupes d’opposition de gauche admettent volontiers qu’ils ne sont pas prêts à gouverner. Bien qu’ils voient d’un bon oeil les pressions américaines, comme la plupart des Syriens, ils craignent que les profonds antagonismes religieux ou ethniques ne déchirent le pays en cas de chute du régime.
Les États-Unis semblent néanmoins résolus à y contribuer, mais sans avoir à en payer le prix fort. Ils ont réussi à réduire de moitié la croissance économique du pays en arrêtant l’exportation du pétrole irakien via les oléoducs syriens, en imposant des sanctions économiques sévères et en bloquant les accords commerciaux avec l’Europe. Les articles de presse évoquant périodiquement l’éventualité de bombardements américains ou d’un gel des transactions de la Banque centrale découragent les investisseurs.
Les enquêteurs de l’ONU viennent d’entamer l’interrogatoire de hauts responsables syriens à propos de l’assassinat de Rafic Hariri, l’ancien Premier ministre libanais réputé hostile à la Syrie. Une affaire que les États-Unis envisagent de porter devant le Conseil de sécurité. À Damas, responsables politiques et hommes d’affaires sont convaincus que Washington veut bel et bien abattre le régime – et pas seulement le contraindre à modifier son comportement.
Il n’en demeure pas moins qu’Américains et Syriens ont de nombreux sujets de discussion. Les uns et les autres souhaitent en effet réduire le djihadisme et aider l’Irak à retrouver la stabilité. Mais plutôt que d’aider la Syrie à aider les États-Unis, Washington préfère asséner des exigences. Au sein de l’administration, on s’est persuadé qu’Assad n’aurait aucun mal à réprimer les sunnites syriens qui fournissent aide et assistance aux combattants arabes transitant par le pays. C’est une erreur : l’opération serait extrêmement coûteuse. Les sunnites représentent 65 % de la population et il est essentiel pour le chef de l’État de se concilier leurs bonnes grâces.
La Syrie a déjà fait le plus facile en édifiant le long de sa frontière avec l’Irak un mur de sable où stationnent désormais des milliers de soldats. Les diplomates en poste à Damas démentent les accusations américaines selon lesquelles le gouvernement syrien soutiendrait l’infiltration des djihadistes. Mais le plus dur reste à faire : arrêter ces derniers avant qu’ils ne réussissent à gagner la frontière. La Syrie n’a pas non plus apporté ouvertement son soutien à l’occupation américaine de l’Irak. Si l’on imagine difficilement Bachar al-Assad – qui a succédé à son père en 2000 – rompre d’un coup avec sa politique autoritaire, on ne peut lui dénier d’avoir beaucoup travaillé à l’amélioration des relations entre les différentes communautés syriennes. Il a libéré la plupart des prisonniers politiques et supporte des critiques d’une rare virulence – ce que son père n’aurait assurément pas fait. La tolérance religieuse imposée par le gouvernement a fait de la Syrie l’un des pays les plus sûrs de la région. Et c’est bien cette paix civile qu’Assad risquerait de mettre en péril s’il se conformait aux injonctions de Washington.
Pis, la chute du régime Assad risquerait de provoquer des troubles ethniques qui favoriseraient l’arrivée au pouvoir des islamistes sunnites, lesquels ne manqueraient pas d’aider activement les djihadistes en Irak.
Assad appartient à la minorité alaouite, une ramification du chiisme qui a mené une bataille sanglante contre les extrémistes sunnites dans les années 1980. Pour que le chef de l’État puisse aider les États-Unis, il faudrait que ces derniers l’aident au préalable à exercer des pressions sur la majorité sunnite afin de limiter son influence. Pour lui, provoquer les sunnites et les extrémistes alors qu’il est déjà la cible des attaques américaines serait tout simplement suicidaire.
Ceux qui, à Washington, veulent combattre Assad au nom de la démocratie se privent en réalité de toute chance d’imposer un jour la paix en Irak. Les États-Unis ont besoin de la coopération de la Syrie, ce qui suppose l’instauration d’un dialogue et proscrit menaces et affronts. Ils doivent choisir entre déstabiliser la Syrie et stabiliser l’Irak.

* Professeur d’histoire du Moyen-Orient à l’université d’Oklahoma, l’auteur est aujourd’hui chargé de cours à Damas.

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