Les Canaries ou la bonne fortune africaine
Longtemps simple escale maritime depuis l’Europe, l’archipel espagnol revendique aujourd’hui son rôle de hub international le long de la côte ouest de l’Afrique.
Pas encore tout à fait l’Europe, mais déjà plus complètement l’Afrique. Espagnoles depuis 1479, les îles Canaries les plus orientales ne sont situées qu’à une centaine de kilomètres du littoral africain. Une particularité géographique qui permet à l’archipel de tenir depuis des siècles une position ô combien stratégique au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et des Amériques.
Ouvertes aux quatre vents et portées par l’océan Atlantique, les Canaries ont connu une histoire faite d’invasions – des Guanches, arrivés d’Afrique du Nord juste avant notre ère, aux expéditions portugaises, françaises et espagnoles qui ont rythmé le XVe siècle – et de migration – hier les Canariens partis coloniser le Nouveau Monde, aujourd’hui les vagues de migrants clandestins en provenance d’Afrique. Sans parler des 13 millions de touristes qui, avant la pandémie, débarquaient chaque année profiter d’un printemps éternel.
D’escale maritime et commerciale indispensable, ces îles, appelées Fortunées depuis l’antiquité, se sont transformées au fil de ces dernières décennies, en hub régional, à l’échelle de la Macaronésie (les archipels du Cap-Vert, des Açores et l’île de Madère, ainsi que des côtes africaines qui la bordent, du Sénégal au Maroc, en passant par la Mauritanie).
Une économie servicielle
Avec le soutien de l’Espagne et de l’Union européenne (UE), à laquelle l’archipel adhère en 1991 – cinq ans après le reste du royaume –, l’économie, traditionnellement agricole, s’est modernisée à mesure que le secteur des services se développait autour des ports de Las Palmas, premier terminal à conteneurs de la région et de Santa Cruz de Tenerife qui, en plus d’abriter la plus grande raffinerie d’Espagne, est classé parmi les trois plus grands terminaux de croisière au monde. L’explosion du tourisme et celle de la construction qui en découle sont venues s’ajouter aux activités portuaires – réparation navale, avitaillement des navires, pour tirer un PIB canarien aujourd’hui lié pour près de 80 % au secteur des services.
L’archipel joue son rôle de plateforme internationale
Bénéficiant d’un régime fiscal avantageux depuis son statut de port franc accordé dès 1852 par l’Espagne, « l’archipel joue son rôle de plateforme internationale », insiste Nasara Cabrera Abu, directrice générale aux Affaires commerciales avec l’Afrique auprès du gouvernement local. En direction des pays membres de l’UE d’abord, de ceux du pourtour africain ensuite, « deuxième client aujourd’hui de l’archipel », reprend la conseillère de l’exécutif canarien.
Triple entente
Pour les Canaries, le soleil se lève depuis longtemps à l’Est. Plus encore depuis que le gouvernement local a décidé de soutenir son secteur privé en s’investissant sur place. Seule communauté autonome d’Espagne à disposer d’une direction Afrique, elle compte aussi ses propres représentants commerciaux au Cap-Vert, au Sénégal, en Mauritanie et au Maroc, les trois derniers étant abrités dans les diverses représentations diplomatiques espagnoles. Si Madrid conserve toute prérogative sur la scène internationale, le gouvernement central voit généralement d’un bon œil les efforts canariens pour arrimer l’économie de l’archipel au continent voisin.
Les initiatives canariennes peuvent également compter sur le soutien indéfectible de Bruxelles
Inaugurée sur l’île de Grande Canarie et financée par le ministère espagnol des Affaires étrangères, le gouvernement canarien et la municipalité de Las Palmas, la Casa África symbolise depuis 2007 cette triple entente, constituée autour d’intérêts bien compris par chacun.
Les initiatives canariennes peuvent également compter sur le soutien indéfectible de Bruxelles. Le statut de région ultrapériphérique (RUP) de l’UE permet à l’archipel de bénéficier du programme de coopération Interreg MAC (Madère-Açores-Canaries), financé à 85 % par les fonds européens, pour justement renforcer son intégration régionale et sa coopération « territorial » avec les pays de la côte ouest-africaine.
« Faire venir les entreprises africaines »
Avec un PIB annuel qui les place entre celui de la Côte d’Ivoire et de la Tunisie, les Canaries constituent un îlot de prospérité à l’échelle des économies africaines. En plus de son rôle logistique, suffisamment reconnu pour que des compagnies internationales comme Kinross, MSC ou Addax décident de s’y installer pour mieux servir l’Afrique, l’archipel dispose de tout un savoir-faire en matière d’énergies renouvelables, de désalinisation d’eau de mer, de biotechnologie et d’aquaculture qui lui permet de tisser sa toile à travers le continent.
Avec un taux d’imposition de 4 %, l’impôt pour les sociétés est l’un des plus faibles à l’échelle de l’UE
Le gouvernement profite également des visites régulières que lui rendent les autorités des pays africains, ou des missions économiques que lui et le secteur privé canarien effectuent sur place, pour signer des accords en matière de santé, d’éducation et de formation. Avec de nouveaux horizons en ligne de mire puisque, en plus de ses quatre partenaires historiques sur le continent, l’archipel renforce ses relations avec la Côte d’Ivoire, le Ghana, Sao Tomé-et-Principe. Il veut tirer parti de sa proximité évidente, « au sein de l’espace Afrique-Atlantique », comme le définit Nasara Cabrera Abu, pour multiplier les échanges économiques et technologiques qui permettront, à terme, de « connecter les écosystèmes », reprend la responsable Afrique, qui cite en exemple la coopération en cours entre les universités canariennes et un incubateur nigérian de startups.
Dans un souci d’équilibre, l’objectif du côté canarien est maintenant « de faire venir les entreprises africaines sur l’archipel », selon la conseillère au gouvernement. Et qu’elles profitent de cette porte ouverte sur l’Europe communautaire, qui plus est à un taux d’imposition de 4 % pour les sociétés, soit l’un des plus faibles à l’échelle de l’UE.
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