Il était une fois le Liban

Deux écrivains racontent l’histoire tourmentée de leur pays et de sa lutte pour la liberté.

Publié le 3 octobre 2005 Lecture : 3 minutes.

Voici deux belles sagas dans lesquelles s’enchevêtrent grande et petite histoire. Et qui permettent de mieux appréhender l’actualité de ce « petit pays qui est si important », comme disait Metternich au XIXe siècle.
Dans Le Roman de Beyrouth, Alexandre Najjar, 38 ans et quinze livres à son actif, propose une chronique familiale haletante qui se déroule sur un siècle et demi. Tout au long de cette période, les personnages sont des observateurs attentifs du Liban politique, économique, social et culturel, car la maison de famille est sise place des Canons (aujourd’hui place de la Liberté), au coeur de la capitale. Le narrateur s’appelle Philippe. Il est né en 1922, au sein d’une famille chrétienne. Ancien journaliste au quotidien L’Orient-Le Jour, il égrène ses souvenirs au moment où le XXe siècle prend fin et s’emploie à replacer la vie de ses proches dans cette histoire tourmentée.
On y croise donc son grand-père Roukoz, interprète officiel du consulat de France, qui a participé à la fameuse insurrection des paysans du Kesrouan (1858-1960). Son père Élias, médecin humaniste, qui se trouve mêlé au mouvement de révolte contre le mandat français. Son frère Joe, militant des Phalanges, sa femme Nour, musulmane et militante communiste… L’immeuble Sarkis, leur lieu de vie, est un concentré de la nation-mosaïque qu’est le Liban. Chrétiens, juifs et musulmans s’y côtoient. Mais les difficultés que rencontrent Philippe et Nour pour se marier – car ils sont de confession différente – fait dire au narrateur : « Notre échec personnel signifiait l’échec du pays tout entier, de la coexistence, de l’union nationale – al-wahda al-watania – et de ce qu’on appelait al-aaich al-mouchtarak : la vie en commun. » Alexandre Najjar pioche une foule d’anecdotes historiques et émaille son texte d’expressions arabes typiquement libanaises, ce qui lui donne une saveur particulière. Lorsque l’auteur aborde la période postindépendance, évoquant les troubles politiques, la guerre et le conflit israélo-palestinien, on retrouve un peuple luttant pour sa liberté, celui-là même qui est descendu dans la rue après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri.
Dans Histoire de la Grande Maison de Charif Majdalani roman sélectionné pour le prix Femina 2005 -, le narrateur est le dernier héritier des Nassar. Il tente de réécrire l’histoire de sa famille et se lance dans une enquête à travers le temps, les souvenirs, les photos jaunies et les témoignages des anciens. La légende familiale fait commencer l’histoire du clan avec l’arrivée du grand-père, Wakim, à Ayn Chir, dans la juridiction autonome du Mont-Liban, aux environs de Beyrouth.
Après avoir fui son village pour une querelle d’honneur, il arrive « un matin de printemps des dernières années du XXe siècle, au milieu de cette terre plantée de mûriers et d’oliviers ». C’est lui, le pionnier, qui va implanter la culture des oranges à Ayn Chir, bousculant les habitudes des paysans et amassant peu à peu une fortune aussi vaste que ses plantations. Au coeur du domaine, il bâtit la Grande Maison, « demeure familiale autour de quoi la vie du clan s’organisa pendant cent ans ». Charif Majdalani, né en 1960, dirige depuis 1999 le département de lettres françaises de l’université Saint-Joseph de Beyrouth. Il possède une écriture suave et poétique qui sait si bien décrire la couleur de l’aube, le parfum des orangers en fleurs. Il raconte, de façon presque nostalgique, la douceur de vivre au pays des Cèdres et le raffinement oriental. Bercé par un souffle épique et romantique, le lecteur assiste à l’ascension, à la grandeur et à la décadence du clan, qui va tout perdre au cours de la Première Guerre mondiale et ne se relèvera pas de la mort du patriarche en 1921. En toile de fond, l’histoire contemporaine du Liban. Et l’épisode tragique de la déportation en Anatolie, par les Ottomans, de certains Libanais accusés de trahison envers l’empire ou de « francophilie » trop marquée.
À leur manière, différente et complémentaire, Le Roman de Beyrouth et Histoire de la Grande Maison éclairent la situation actuelle du pays. Les auteurs nous offrent deux voix, deux visions de « leur » Liban, celui qu’ils ont reçu en héritage. Et celui qu’ils sont en train de bâtir, à la force de la plume.

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