Grand banditisme au quotidien

Le pays bat toujours des records de criminalité. En 2005, les attaques à main armée contre des magasins ont déjà augmenté de 43 %.

Publié le 3 octobre 2005 Lecture : 5 minutes.

Dans la plupart des grandes villes, la peur du banlieusard, c’est un accrochage sur le périphérique et l’embouteillage qu’il provoque. Mais Johannesburg n’est pas une métropole comme les autres. La peur type de l’automobiliste qui circule sur le réseau autoroutier qui entoure la capitale économique de l’Afrique du Sud, c’est ceci : une Mercedes-Benz volée projette un fourgon blindé de transport de fonds sur le bas-côté, quatre voitures s’arrêtent autour dans un grand bruit de pneus, en sortent une vingtaine de malfrats brandissant des AK-47, qu’ils braquent sur les autres voitures immobilisées. Ils arrachent le toit du fourgon, s’emparent du butin et repartent à toute vitesse en tirant dans toutes les directions.
C’est ce qui s’est produit, par exemple, le 22 août sur la M2. Et aussi quatre semaines plus tôt, au même endroit, près de la même sortie. Et trois jours plus tard, sur la N3, plus à l’est. Et quinze jours plus tard, près de la M1, à Soweto.
Certes, on constate un progrès depuis la fin des années 1990, quand les violences et la criminalité semblaient échapper à tout contrôle. Le nombre terrifiant de vols de voitures à main armée, de meurtres et même d’attaques contre les convoyeurs de fonds a fortement diminué. Le rapport annuel du South African Police Service publié à la fin du mois de septembre indique, par exemple, que le nombre des homicides s’est réduit de 5 % entre avril 2004 et avril 2005, et de 40 % depuis 1995.
Mais la criminalité qui persiste n’est pas seulement plus spectaculaire, elle est aussi de plus en plus difficile à maîtriser. Chaque fois que la police et les services de sécurité trouvent un moyen de coincer les truands, ceux-ci inventent une manière de leur échapper ou s’attaquent à des cibles plus faciles.
En cinq jours, au début de septembre, une douzaine de malfaiteurs armés ont investi, au petit jour, un casino de Johannesburg, pris le personnel en otage et sont repartis avec la recette ; des truands ont abattu, à Soweto, un convoyeur de fonds auquel ils s’étaient attaqués ; sept gangsters ont arrosé de balles une galerie marchande de Johannesburg, tuant un gardien ; et une bonne quinzaine de malfrats ont livré à la police une vraie bataille rangée autour d’un fourgon blindé dans la banlieue de Durban.
Autre fait-divers qu’on a retrouvé à la une des journaux : un hold-up dans la galerie marchande la plus chic de Johannesburg, où cinq bandits vêtus d’une burka ont dévalisé un bijoutier à la mode.
Rien d’étonnant que, statistiques ou pas, beaucoup de Sud-Africains ne se sentent guère en sécurité.
« Nous avons fait deux sondages, l’un en 1998, l’autre en 2004, et interviewé un échantillon de 5 000 personnes », indique Anton du Plessis, responsable du programme crime et justice à l’Institute for Security Studies de Pretoria. « Bien que les violences criminelles aient diminué depuis 1988, le sentiment d’insécurité de la population a presque doublé. » Selon du Plessis, cette évolution s’explique à la fois par les violences en tant que telles et par la place qu’elles occupent dans les médias. Une autre explication pourrait être la nature même de la criminalité.
Une enquête menée en 1999 par l’Institut a conclu qu’il existait au moins 500 gangs organisés, dont des Nigérians, qui tiennent le marché de la drogue, et des Asiatiques, qui contrôlent le trafic humain et la contrebande. Ces gangs, avec leurs contacts internationaux et leur emprise sur le trafic de drogue et sur la contrebande, sont à la fois plus habiles et plus brutaux que, par exemple, des voleurs à la tire.
Depuis 1999, la police les a dans le collimateur. Les vols de voitures à main armée ont diminué de 40 % depuis 2000, estime l’Institut, en grande partie parce que la police s’en est prise aux vendeurs qui sont les maîtres de ce commerce. Les hold-up contre les banques ont chuté de 80 % après l’installation de systèmes de sécurité qui ne laissent que de petites sommes dans les tiroirs-caisses. Mais les truands ne se découragent pas pour autant.
Rien ne le montre mieux que le jeu du chat et de la souris auquel se livrent les convoyeurs de fonds et ceux qui veulent se les approprier. Les attaques contre les quelque 800 fourgons blindés qui, en Afrique du Sud, en assurent le transport sont particulièrement difficiles et dangereuses. Elles seraient l’oeuvre d’une centaine de truands, pour la plupart des jeunes gens de 16 à 28 ans. Beaucoup sont zimbabwéens ou zambiens. La plupart vivent sur un grand pied. Aucun ne semble redouter la prison ou la mort. « Ce sont de vrais professionnels, explique Albert Erasmus, le patron de COIN Assets-in-Transit, l’une des premières sociétés de transport de fonds du pays. Ils sont très violents et bien organisés. »
Erasmus dirige un important groupe de travail qui réunit des responsables de sociétés de transport de fonds et de banques et des spécialistes des problèmes de sécurité. Il a été constitué pour combattre une interminable série d’agressions – plus d’une par jour il n’y a pas si longtemps – qui se sont succédé en Afrique du Sud.
Les quelque 800 fourgons blindés transportent quotidiennement plus de 6,3 milliards de dollars d’un point à un autre, et s’emparer du chargement ou de l’employé qui fait sa livraison peut valoir son pesant d’or. Une attaque menée en 1997 contre un dépôt de Pretoria a rapporté à ses auteurs plus de 2,6 millions de dollars.
Mais ce qui relevait naguère d’une simple embuscade est devenu beaucoup plus risqué. Les chauffeurs de ces fourgons blindés et leurs accompagnateurs ont été entraînés à résister aux attaques. Les véhicules qui empruntent des itinéraires dangereux sont suivis d’un second rempli de gardes armés. Beaucoup de fourgons blindés ont été renforcés par des plaques extérieures ou des dispositifs tels que des serrures qui ne peuvent être ouvertes que par un signal radio.
Cependant, les voleurs ont eux aussi innové. Une attaque contre un fourgon blindé peut aujourd’hui mobiliser une bonne vingtaine de malandrins, qui se répartissent en équipes pour organiser le coup, reconnaître les lieux, voler les voitures qui seront utilisées pour l’attaque et passer à l’action. Les voies à grande circulation sont un de leurs terrains favoris.
De leur côté, la police et les sociétés de protection échangent désormais des informations et ont appris à repérer les signes qui montrent que tel ou tel endroit a été choisi. Et elles ont des systèmes de communication mobiles.
Résultat de ces efforts : les attaques contre les convoyeurs de fonds, qui ont culminé à 374 entre mars 2002 et avril 2003, ont été ramenés à 220 pour la période avril 2003-avril 2005. Autre conséquence : les truands s’en prennent de moins en moins aux fourgons et visent plutôt les employés qui transportent l’argent du véhicule à la caisse et vice versa. Enfin, les fourgons blindés sont devenus des cibles si difficiles à atteindre que les truands leur préfèrent les centres commerciaux qui concentrent beaucoup d’argent liquide. Le Conseil des biens de consommation sud-africain indique que les attaques à main armée contre les magasins ont augmenté de 43 % en 2005.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires