Gbagbo : j’y suis, j’y reste

Le président de la République rejette catégoriquement la transition réclamée par l’opposition et refuse toute autre médiation que celle de Thabo Mbeki.

Publié le 3 octobre 2005 Lecture : 5 minutes.

Les soutiens de Laurent Gbagbo se faisaient déjà rares en Afrique de l’Ouest. Après son discours télévisé virulent du 27 septembre, il s’est définitivement mis à dos les chefs d’État de la Cedeao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) et une bonne partie de la communauté internationale. Rupture, révolution, aveuglement, calcul : le mélange explosif du verbe de Gbagbo en dit long sur sa détermination et sur les obstacles qui ne cessent de se dresser sur le chemin de la paix en Côte d’Ivoire.
Principal message délivré solennellement : l’élection présidentielle ne pourra pas « se tenir le 30 octobre », comme l’avait déjà annoncé Kofi Annan au début de septembre. Une évidence. Mais le secrétaire général de l’ONU n’avait pas explicité les raisons du report ni pointé du doigt les responsables. Laurent Gbagbo, lui, n’a pas eu le même doigté diplomatique. C’est uniquement parce que « les rebelles n’auront pas désarmé à cette date » que le scrutin est reporté et devrait se tenir « dans les meilleurs délais », soit dans trois mois, « si le désarmement a lieu aujourd’hui ». Car Gbagbo ne compte plus – comme on a pu le croire – organiser des élections uniquement dans la partie méridionale sous contrôle gouvernemental : « La Constitution ne permet pas la tenue d’élections politiques de quelque nature qu’elles soient en cas d’atteinte à l’intégrité du territoire. » Il estime avoir rempli sa part du contrat et répondu aux demandes des différents accords qu’il a signés pour que le processus de réunification du pays débute.
Pendant ce temps, les Forces nouvelles (FN, ex-rébellion) s’obstinent à s’abriter derrière des arguments plus ou moins convaincants pour ne pas procéder au désarmement, mélange de crainte d’un énième mauvais coup de Laurent Gbagbo et d’interrogations sur leur sort après une élection qui pourrait sceller la fin des ambitions politiques de leurs dirigeants. Les FN ne semblent même pas envisager de commencer un semblant de dépôt des armes, comme l’ont fait certaines milices progouvernementales, dont les fusils ont été stockés sans pour autant avoir été remis aux forces impartiales de l’Onuci (Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire).
En attendant l’hypothétique échéance de l’élection, Laurent Gbagbo ne quittera pas le fauteuil présidentiel : « J’ai acquis ce pouvoir par les élections, et je ne le rendrai qu’à une personne élue conformément aux dispositions constitutionnelles. » Une fin de non-recevoir – attendue – à l’adresse de l’opposition et des FN, qui réclament depuis juin une transition politiquement négociée, de préférence sans lui. Avec moult rappels historiques et arguties constitutionnelles, Gbagbo estime que « la transition étant contraire à notre Constitution, il n’y aura pas de transition ».
Jusqu’au mois d’avril 2004, l’article 35 sur l’éligibilité du président de la République empoisonnait la vie politique ivoirienne. Il avait fallu l’intervention du médiateur Thabo Mbeki pour que Laurent Gbagbo autorise Alassane Dramane Ouattara, président du Rassemblement des républicains (RDR), à se présenter. Mais cette lueur d’espoir sera rapidement balayée par les autres ambiguïtés que comporte la Constitution approuvée par référendum en 2000. Désormais, ce n’est plus l’éligibilité qui pose problème mais le mandat présidentiel. À l’article 35, qui prévoit que le président reste en place pendant cinq ans (donc jusqu’au 26 octobre 2005 pour Gbagbo), s’ajoutent les articles 38 et 39 qui devaient régler le problème d’une transition ou d’une succession problématique. Gbagbo n’a pas manqué de rappeler qu’aux termes de la Loi fondamentale, le président élu « demeure en fonctions jusqu’à la tenue ou la poursuite des élections ou la proclamation des résultats ». Une interprétation que conteste l’opposition réunie au sein du G7, qui estime qu’il faut trouver une alternative à l’actuel cas de figure, que la Constitution ne prévoit pas, à savoir la fin du mandat présidentiel alors que l’élection n’est même pas entrée dans sa phase préparatoire. Cette position est soutenue par les Français partisans de la ligne dure. Comme la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, qui déclarait qu’on allait faire face, à partir du 26 octobre, à un « vide juridique », ou, dans une moindre mesure, l’Élysée. Au Quai d’Orsay et à Matignon, en revanche, on a adopté une attitude beaucoup plus conciliante vis-à-vis de la légitimité du chef de l’État ivoirien après le 26 octobre en récusant la proposition d’une transition. Gbagbo s’appuie largement sur ce soutien inespéré. L’échéance a beau approcher, l’identification des Ivoiriens et l’établissement des listes électorales sont au point mort. Les deux parties semblant s’en contenter, puisque l’opposition parle dorénavant d’une transition de quatorze mois, tandis que Laurent Gbagbo gardera le pouvoir tant que cela lui sera possible.
Ces arguties juridiques divisent aujourd’hui le pays, sur fond de désaccord profond au sujet de la médiation sud-africaine. Accusé de parti pris en faveur de Gbagbo et, de ce fait, récusé par les FN, le médiateur Thabo Mbeki a été sermonné, le 14 septembre, à New York, par ses homologues africains, mais il est resté muet et officiellement en place. Le 30 septembre, la Cedeao s’est réunie à Abuja pour trouver une solution de rechange à une médiation en panne. Mais Laurent Gbagbo, qui n’a pas daigné rencontrer ses pairs dans la capitale nigériane, a d’ores et déjà prévenu : « Je n’accepterai pas une nouvelle médiation parce qu’il n’y a plus de négociations à faire. » Surtout pas celle de la Cedeao, dont il a longuement souligné les échecs (de Lomé en décembre 2002 à Accra III en juillet 2004). Pis, il accuse les États voisins d’avoir « servi de lieux d’entraînement aux rebelles » et aujourd’hui encore de « piller les richesses de [son] pays ». L’opposition, elle, juge que la Cedeao a encore un rôle à jouer. « Parce que leurs populations souffrent, parce que les incidences de la crise en Côte d’Ivoire se font durement ressentir dans leurs pays, ils ont intérêt à faire en sorte que la crise s’arrête », a expliqué Alphonse Djé Djé Mady, porte-parole du G7.
Le dernier mot doit revenir au Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA), qui a mandaté Thabo Mbeki. Il devrait décider, le 6 octobre, à Addis-Abeba, de la suite à donner à la médiation ivoirienne. Confrontée au refus des FN de désarmer, l’UA se heurtera aussi certainement à l’intransigeance de Laurent Gbagbo. Ni transition, ni médiation, ni partition, ni proposition constructive : d’ici au 26 octobre, date à laquelle « nous occuperons le palais présidentiel », a prévenu Amadou Gon Coulibaly du RDR, Gbagbo, c’est sûr, s’attachera surtout à construire des remparts. Quoi qu’il en soit, le scénario du pire – celui du report des élections et de l’affrontement – devient chaque jour plus plausible.

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