Au Cameroun, NetZero séquestre le carbone… à profit

Un trio d’entrepreneurs ressuscite la très ancienne technique de fabrication du biochar, utilisée pour emprisonner le CO2 et fertiliser les terres agricoles tropicales du littoral.

Usine de transformation de déchets verts NetZero. © NetZero

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Publié le 20 mars 2022 Lecture : 4 minutes.

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Cameroun : après la fête

Si les Lions indomptables n’ont pas remporté la Coupe d’Afrique des nations (CAN), organisée à domicile, l’évènement a été salué comme un succès. Cette page tournée, les réalités politiques et économiques reprennent le pas dans un pays qui reste confronté à de nombreux défis.

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Nkongsamba se dresse dans un décor vert et ocre. À environ 150 km au nord de Douala, la ville s’érige au pied des monts Manengouba, aux confins de la région Littoral. Si, au milieu des années 1980, la contrée luxuriante a connu son heure de gloire quand le réalisateur britannique Hugh Hudson a choisi d’y planter le décor de son film Greystoke, la légende de Tarzan, près des lacs de cratère et de la chute d’Ekom Nkam, c’est essentiellement par son économie que la ville s’illustre.

Le tourisme, d’abord auprès des voyageurs itinérants attirés par les nombreuses excursions proposées par les agences de voyage de Douala à destination de la région. Mais surtout l’agriculture, qui est à la base de l’activité de Nkongsamba. La production et la commercialisation du café marquent d’ailleurs son identité, ainsi que celle des villages alentours tels Bangwa ou encore Kekem.

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Aujourd’hui, trois entrepreneurs entendent apporter un nouveau souffle à l’économie locale grâce au biochar. En janvier 2021 était lancée NetZero, une start-up cofondée par Aimé Njiakin, un entrepreneur camerounais, et deux Français, Axel Reinaud, un ancien du cabinet Boston Consulting Group, et Jean Jouzel, climatologue et ancien vice-président du GIEC (le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). L’objectif : le développement du biochar, contraction de « bio » et de « charcoal », charbon de bois en anglais, et qui consiste en une poudre de charbon obtenue par pyrolyse de déchets verts. Quant à ses atouts, le biochar permet à la fois de séquestrer le carbone (CO2 contenu dans l’atmosphère) et de fertiliser les sols acides en zone tropicale.

Mangroves, plantations, puits de carbone…

Le trio propose donc de s’attaquer à deux problématiques majeures, et d’en tirer profit. Le changement climatique et l’agriculture durable et résiliente. En effet, la fiscalité carbone initiée dans le cadre des Accords de Paris – mais pour l’heure non encore arrêtée – et qui prévoit notamment que les entreprises qui polluent le plus la planète devront « compenser » leurs émissions, leur offre une ouverture. En d’autres termes, payer. Et ce pour rester dans la trajectoire des accords sur le climat, diviser par deux les émissions mondiales (50 milliards de tonnes) de carbone d’ici à 2030, et atteindre un bilan carbone zéro en 2050.

« Nous nous sommes demandé comment faire pour réduire cet excédent de CO2 dans l’atmosphère ? », raconte Axel Reinaud, l’ancien associé au BCG à Paris, qui embrasse à présent la cause du climat. L’emprisonner semble une réponse concrète immédiate. Mangroves, plantations d’arbres, puits de carbone (voir encadré)… Les solutions existent, disséminées çà et là dans le monde. « Nous avons misé sur le biochar », affirme-t-il.

Et c’est ainsi que la jeune entreprise, dont le siège est localisé à Paris, devait inaugurer ce 1er mars le premier site de production industrielle de biochar d’Afrique. Si le projet et le mode de production sont inédits sur le continent, l’idée ressuscite une technique ancestrale, usitée il y a plus de 6 000 ans par les Amérindiens en Amazonie dans le but de fertiliser leurs cultures. « Grâce à la pyrolyse des matières premières agricoles, nous pouvons produire très vite de très grandes quantités de biochar », expose le CEO de NetZero qui ne voit à cette substance que des avantages, bien que des réticences existent en termes de coût de production (notamment en Europe) et de son bilan énergétique.

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50 % de revenus issus des crédits carbone

L’initiative de ces entrepreneurs aux profils atypiques est soutenue par Yaoundé. Un coup de pouce qui doit donner toutes les chances à NetZero de rapidement prospérer. Le Cameroun, par l’intermédiaire de son ministre de l’Environnement, Pierre Hélé, a ainsi fortement appuyé le projet franco-camerounais lors de la dernière conférence internationale sur le climat de Glasgow en novembre. « L’État camerounais entend lancer un plan de grande ampleur en faveur du biochar », précise Axel Reinaud.

Ainsi, au beau milieu d’un hangar ouvert aux quatre vents, sur les quelque 1 000 mètres carré de l’usine de transformation de café d’Aimé Njiakin à Nkongsamba, trône à présent un imposant réacteur de pyrolyse vert, estampillé NetZero. On imagine l’odeur âcre des déchets organiques stockés là, mélangée au souffle légèrement empreint de charbon transporté par la brise. Le quotidien de l’usine doit être amené à rapidement changer, à mesure que devraient être transformées les 7 000 tonnes annuelles de résidus agricoles (principalement de café) prévues. En bout de chaîne, la fabrication de biochar par pyrolyse permet de créer du biocarburant, qui doit couvrir à terme les besoins de l’usine, en plus de produire un fertilisant commercialisable et, enfin, de monnayer la séquestration de carbone auprès des entreprises qui ont un bilan carbone catastrophique.

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Les fondateurs de NetZero estiment, un brin optimistes, un prix du carbone autour des 100 et 300 euros la tonne de CO2 enlevés d’ici à 2030. À ce titre, ils prévoient qu’à terme, le chiffre d’affaires de leur entreprise sera constitué à 50 % des revenus issus des crédits carbone et à 50 % du biochar et du combustible créé. Si ces prévisions sont exactes, la rentabilité attend au tournant.

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