Dagris joue la montre

La Compagnie malienne de textile a besoin d’argent frais. Mais son partenaire français refuse de participer à sa recapitalisation.

Publié le 3 octobre 2005 Lecture : 4 minutes.

« Dagris se rebiffe », titrait le quotidien malien L’Indépendant au lendemain de l’assemblée générale extraordinaire de la Compagnie malienne de textile (CMDT). Le 16 septembre dernier, à Bamako, Dagris, son partenaire français, a refusé de participer à la recapitalisation de la société qui gère la filière coton au Mali. Pour la campagne 2004-2005, la CMDT a essuyé des pertes records de 50 milliards de F CFA. Résultat : le montant des fonds propres est passé en dessous du minimum de 50 % du capital social exigé par la réglementation de l’Office d’harmonisation africain du droit des affaires (Ohada).
Pour éviter la faillite de la première société malienne, la plus importante entreprise cotonnière au monde, l’État seul fournira les 6 milliards de F CFA nécessaires. En conséquence, la participation de l’État malien passera de 60 % à 75,3 % du capital de la CMDT, celle de Dagris diminuera mécaniquement de 40 % à 24,7 %. Avec ce refus, Paris – l’État français détient 64,7 % de Dagris – semble lâcher Bamako. Pourtant, la mise de fonds demandée n’était que de 2,4 milliards de F CFA (3,7 millions d’euros), une bagatelle à l’aune du budget de l’Hexagone. Comment interpréter cette fin de non-recevoir ?
Officiellement, le groupe textile public français justifie son refus par une incompatibilité d’agenda. « L’imminence de la privatisation de Dagris interdit tout nouvel investissement », explique Gilles Peltier, son PDG. Qui s’étonne de la précipitation de Bamako puisque la date limite pour reconstituer les fonds propres court jusqu’en mars 2006, après la privatisation de Dagris, prévue d’ici à la fin de l’année.
En réalité, Dagris, candidat malheureux au rachat de Huicoma, autre société publique malienne de production d’huile, serait échaudé par le patriotisme économique du pays. Car si le repreneur, le malien Tomota, a proposé un prix supérieur à celui de Dagris pour les 84,13 % de Huicoma, il ne garantit pas le remboursement des dettes de cette dernière, contrairement à Dagris, qui offrait une garantie de passif. Huicoma a une ardoise de 18 milliards de F CFA auprès de la CMDT. Elle ne lui a pas réglé ses achats de graines de coton depuis deux ans, ce qui explique en partie les difficultés de la CMDT. La pilule est d’autant plus amère pour Dagris que Huicoma, alors détenue à 100 % par l’État, lui doit aussi quelque 2 milliards de F CFA, un montant proche de celui que nécessite aujourd’hui le sauvetage de la CMDT. Bien entendu, si Huicoma remboursait ces 2 milliards, une perspective peu probable depuis son rachat par Tomota, Dagris les réinjecterait dans le renflouement de la CMDT, a beau jeu de préciser Peltier.
Autre sujet d’agacement : en janvier 2005, Dagris a discrètement approché la CMDT pour lui proposer le rachat de trois usines d’égrenage, dont celle de Kita, qu’elle n’avait pas réussi à vendre lors de son appel d’offres public de 2003. La CMDT avait refusé l’offre du courtier américain Dunavant de 6 milliards de F CFA, jugée peu consistante. Dagris aurait proposé un prix proche des 18 milliards de F CFA demandés par la CMDT avec la bénédiction de la Banque mondiale, qui avait auparavant interdit au français, en tant que société publique, de participer à l’appel d’offres. Pourtant, Bamako a décliné la proposition bien supérieure de Dagris. Son acceptation aurait permis au Mali d’entamer le processus de privatisation de la CMDT, finalement reporté à 2008.
Ainsi, le refus de Dagris de renflouer la CMDT apparaît comme une piqûre de rappel à destination de Bamako, mais aussi de Paris. Partenaire historique de la société malienne, on voit mal le groupe français abandonner un de ses fleurons en Afrique. Derrière ces bisbilles se cache un problème de fond. À quoi bon renflouer la CMDT à fonds perdus alors que, dixit Peltier, « au niveau du cours actuel du coton, aucune entreprise africaine, qu’elle soit bien gérée ou non, n’est viable » ? Pour la campagne 2004-2005, « le coton s’est vendu à 52,5 cents la livre en moyenne, contre 90 cents il y a quelques années », déplore Ousmane Amion Guindo, le nouveau président de la CMDT, après l’arrestation de son prédécesseur pour malversations. Pour la récolte 2004-2005, le prix d’achat du coton-graine était de 210 F CFA le kilo, un montant aligné sur celui du Burkina voisin, sans tenir compte de la baisse du cours de la fibre et du dollar. « Un kilo de coton-fibre à l’exportation se vend 500 F CFA, explique Alpha Mende Diarra, responsable de la communication de la CMDT. Pour le produire, il faut égrainer 2,5 kg de coton-graine à 210 F CFA le kilo, soit un coût total de 525 F CFA. À ce prix s’ajoutent 200 F CFA de frais de transport et de transformation, d’où une perte de 225 F CFA par kilo de fibres vendu. » Multiplié par les 239 000 tonnes de fibres exportées, cela correspond au déficit 2004-2005. « S’il devait y avoir trois ou quatre déficits de cette ampleur, la filière pourrait disparaître », prévient Ousmane Amion Guindo. Un comble quand on sait que « les perspectives de récolte pour la campagne 2005-2006 sont bonnes, avec une production estimée de 610 000 à 640 000 tonnes de coton-graine », ajoute-t-il. De quoi s’en prendre aux États-Unis, qui continuent de subventionner leurs producteurs, entraînant une surproduction mondiale qui empêche les cours de remonter.
À moins que le discours de George W. Bush à l’Assemblée générale de l’ONU, en septembre, soit suivi d’effets. Un discours qui est déjà « une victoire pour les pays africains », selon Choguel Maiga, le ministre du Commerce et de l’Industrie, à quelques semaines des négociations de l’OMC sur le commerce et le développement, à Hong Kong, en décembre. Mais la suppression des subventions prendra plusieurs années. D’ici là, la France et l’Europe doivent préparer le sauvetage de la filière, insiste Peltier. Les efforts consentis par les paysans maliens, qui ont accepté une baisse de leur revenu de 24 % avec un prix garanti de 160 F CFA le kilo pour la campagne 2005-2006, ne suffiront pas. Voilà pourquoi le dossier coton a été inscrit à l’ordre du jour de la réunion des ministres des Finances des pays de la zone franc, le 20 septembre, à Paris. Au-delà de l’approche comptable des finances de la CMDT, le coton fait vivre 3,5 millions de Maliens et 40 millions d’Africains. D’où la nécessité d’une intervention rapide des politiques.

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