Business et diplomatie

Malgré plusieurs décisions de Tripoli pénalisant le commerce transfrontalier, la coopération entre les deux pays est relancée.

Publié le 3 octobre 2005 Lecture : 5 minutes.

Les relations tuniso-libyennes ont connu un coup de froid à la fin de l’été. Exportateurs, chefs d’entreprise et commerçants du Sud tunisien se sont inquiétés des effets négatifs que pourraient avoir sur leurs activités deux décisions majeures prises par le pays voisin et appliquées dès le 1er août. La Libye, bien avant d’être admise à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), avec qui elle est en négociations, et forte du matelas en pétrodollars dont elle dispose à la faveur de la flambée des cours mondiaux, a carrément décidé la suppression des droits de douane pour quasiment tous les produits.
La seconde mesure, apparemment destinée à décourager l’immigration, stipule qu’à son entrée en Libye tout étranger doit porter sur lui l’équivalent en devises fortes d’au moins 500 dinars libyens, soit à peu près 310 euros. C’est plus de deux fois le salaire mensuel d’un ouvrier tunisien. En sont seuls exemptés le personnel des sociétés qui ont des contrats en Libye ou les personnes qui s’y rendent pour une raison familiale – les mariages entre les habitants des deux pays sont fréquents – ainsi que les invités du gouvernement libyen.
A priori, la dernière des deux mesures est une bonne nouvelle pour la Tunisie, car elle devrait avoir pour effet de dissuader des milliers de Tunisiens de continuer à se rendre en Libye pour y faire du shopping. Depuis 2002, les négociants libyens disposent de larges crédits pour importer librement des produits fabriqués en Asie. Mais ce sont les conséquences sociales qui préoccupent les autorités tunisiennes. Le commerce transfrontalier est pratiquement la seule source de revenus de milliers de commerçants du Sud qui font régulièrement la navette avec la Libye. Ce sont eux qui inondent l’ensemble du pays d’une vaste gamme de produits de basse qualité : conserves alimentaires, articles ménagers, quincaillerie, tissus synthétiques, jouets, fleurs en plastique, chaussures de sport et vêtements portant la fausse signature de grandes marques, pneus et pièces détachées généralement contrefaits. Quelque 20 000 personnes traversent la frontière chaque jour pour alimenter ce commerce informel florissant.
À Ben Guerdane, ancien petit bourg misérable devenu prospère à la faveur du « marché libyen » qui s’y est implanté, les commerçants, comme leurs homologues libyens de l’autre côté de la frontière, font grise mine devant la menace qui pèse sur la circulation des biens et des personnes. Et à Ras Jedir, seul poste frontalier terrestre tuniso-libyen, et où le centre de transit commun attend d’être achevé côté libyen, les files devant les guichets de la police des frontières et des douanes étaient devenues moins longues pendant les premières semaines d’août. Cette fois-ci, et contrairement aux mesures restrictives prises précédemment, les douaniers libyens ont bel et bien refoulé ceux qui n’avaient pas les devises requises. Combien ? « Deux à trois mille personnes au mois d’août », estime-t-on. C’est relativement peu, sauf que, sans doute, des milliers d’autres, instruits de la mesure, se sont abstenus de se présenter.
En fait, champions de la débrouille, les Tunisiens ont fini par s’adapter au bout de quelques semaines. « Ils ont repris le chemin de la Libye avec en poche les devises nécessaires, raconte un habitant de Ben Guerdane. Comme par un tour de passe-passe, les mêmes billets servent à plusieurs personnes dans la journée. » De toute manière, les bureaux de change établis en plein air au bord de la route, tolérés par les autorités des deux pays, permettent aux uns et aux autres d’échanger leurs monnaies nationales sans avoir à passer par les devises étrangères, comme c’est le cas à travers les banques. La situation paraît donc sur la voie du retour à la normale et la mesure risque de faire long feu.
Plus préoccupante pouvait s’avérer l’abolition des droits de douane à l’entrée en Libye, moyennant l’instauration d’une taxe uniforme de 4 % sur toutes les marchandises importées et un droit de douane de 25 % en guise de protection pour une petite centaine de produits dont l’équivalent est fabriqué en Libye. Cela signifierait en effet que les quelque 900 exportateurs tunisiens travaillant avec le marché libyen, que ce soit des entreprises ou des négociants grossistes, allaient se retrouver confrontés à une plus grande concurrence extérieure alors même que les deux pays sont liés par un accord de libre-échange entré en vigueur en 2002.
C’est dans ce contexte qu’est intervenue la réunion, les 20 et 21 septembre, à Tunis, du Haut Comité de suivi. Présidée par le Premier ministre tunisien Mohamed Ghannouchi et son homologue libyen Chokri Ghanem, elle avait été précédée par des échanges d’émissaires entre le président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali et le « Guide » libyen Mouammar Kadhafi. Contrairement aux réunions de routine qui se tiennent tous les six mois, cette rencontre a pris une dimension plus politique que prévu en raison des craintes tunisiennes. Les deux parties n’ont pas escamoté les problèmes. Le « débat a été franc, constructif et approfondi », a dit Ghannouchi à la fin de la réunion. Des deux côtés, on indique que l’on est parvenu « à définir un ensemble d’orientations pratiques pour stimuler les échanges commerciaux, accélérer la mise en oeuvre des grands projets complémentaires et accroître les investissements communs ».
De fait, après un léger tassement en 2004, les relations commerciales entre les deux pays ont connu un nouvel essor en 2005, tandis que la réalisation des projets stratégiques communs avance. Les exportations tunisiennes vers la Libye se sont élevées à 387 millions de dinars (240 millions d’euros) pour les huit premiers mois de cette année, contre 268 millions de dinars (166 millions d’euros) pendant la même période l’an dernier, soit un bond de 47 %. Parallèlement, la Tunisie importe de Libye la quasi-totalité du pétrole brut dont elle a besoin. En 2004, ces achats ont porté sur un million de tonnes pour une valeur d’environ 350 millions de dinars. On s’attend à ce que la facture payée cette année à Tripoli soit encore plus importante étant donné le prix du brut.
Le pétrole brut n’est pas la seule composante du partenariat stratégique que les deux pays tentent de mettre en place à un moment où la Libye se lance dans de grands projets d’investissements financés par la manne pétrolière. L’ensemble du secteur énergétique est concerné. C’est ainsi que les travaux relatifs à la connexion des réseaux électriques entre les deux pays sont pratiquement achevés, ouvrant la voie à l’interconnexion de l’ensemble des réseaux nord-africains. Deux projets arrêtés depuis plusieurs années, l’un portant sur la construction d’un gazoduc et l’autre sur celle d’un pipeline pour le transport des dérivés du pétrole libyen vers une Tunisie de plus en plus assoiffée d’énergie, attendent leur prochaine réalisation. De surcroît, les travaux d’extension de l’autoroute tunisienne vers la frontière avec la Libye démarrent cette année avec la construction du tronçon Msaken-Sfax, la partie restante devant être mise en chantier à partir de 2006.
Et pour bien montrer que les relations entre les deux pays se sont réchauffées, Chokri Ghanem a annoncé le lancement imminent des travaux pour la concrétisation d’une promesse faite par Kadhafi lors d’une visite à Tunis en 2003 : la construction d’une ville nouvelle dans le quartier populaire de Sejoumi, à l’ouest de la capitale, et qui sera baptisée Omar el-Mokhtar, du nom du héros national libyen.

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