Brésil Terra Africana

Avec « Brésil, l’héritage africain » au musée Dapper, à Paris, l’art exprime sous diverses formes le lien séculaire et intime entre deux mondes à la proximité culturelle plus que troublante.

Publié le 3 octobre 2005 Lecture : 4 minutes.

Pays des utopies sociales, politiques et culturelles, le Brésil s’exprime à travers son art contemporain de façon symbolique et, partant, universelle. Héritiers des opprimés qui rêvaient d’un nouveau monde de liberté, les artistes affichent désormais sans complexe leur vision de la culture.
Dans le cadre de l’Année du Brésil en France, le musée Dapper, à Paris, organise une grande exposition intitulée « Brésil, l’héritage africain », ouverte au public jusqu’au 26 mars 2006. Premier événement d’envergure organisé sur ce thème, elle permet de prendre conscience de l’importance de l’apport africain dans la culture, l’art et la religion au Brésil. On l’oublie trop souvent : entre le XVe et le XIXe siècle, sur les quinze millions d’Africains victimes de la traite transatlantique, trois millions et demi débarquèrent sur les côtes brésiliennes. Curieux paradoxe : l’Afrique se voit sur les visages, dans la culture, la musique, la peinture et jusqu’à l’alimentation. Mais elle est restée longtemps officiellement invisible, l’héritage a été minoré, voire oublié, car il était lié au temps de l’esclavage. Une tache dans l’histoire du pays.
On sortira de cette exposition avec la certitude que l’Afrique a une grande influence sur l’art, rattrapant ainsi la culture amérindienne omniprésente. Dapper rend au plus grand des pays d’Amérique latine une partie de sa richesse identitaire.
Le visiteur découvre, au fil de quelque cent trente pièces mises en place avec l’art consommé de la scénographie et de la lumière, quels éléments du patrimoine africain ont marqué la civilisation brésilienne et pourquoi. La première salle donne l’ambiance par des clichés grand format, en couleurs ou en noir et blanc, qui mettent l’accent sur la relation que les Brésiliens entretiennent avec la religion. À l’évidence, ce peuple oscille entre paganisme débridé et dévotion ultracatholique, une ambiguïté créatrice, qui perdure depuis des générations. Si l’on insiste sur cette question religieuse, traitée comme fil directeur de l’exposition comme dans les pages du magnifique catalogue qui l’accompagne, c’est qu’elle occupe une place centrale dans l’art ancien comme contemporain, sans que jamais l’un ou l’autre tombe dans le dogmatisme. Cette forte charge spirituelle est une composante essentielle du mélange artistique propre au Brésil.
Erwan Dianteill, anthropologue et coauteur du catalogue, l’explique par des facteurs historiques. Déracinés, mais porteurs en eux-mêmes des traditions de leurs région d’origine, les esclaves s’efforcèrent de perpétuer leur vie antérieure. Les rites, revivifiés dans un contexte d’oppression, se sont mis à façonner des individus qui, plus que jamais, aspiraient à un monde meilleur.
L’une de leurs préoccupations constantes était de se protéger des forces malfaisantes non seulement par une vigilance de tous les instants, dont étaient notamment chargées les statuettes, mais aussi par l’intercession des devins et des tradipraticiens dotés de pouvoirs exceptionnels ou ayant une connaissance occulte efficiente. On comprend donc l’importance de toutes les représentations anthropomorphes. Il était osé de rapprocher les fétiches, les statuettes votives ou les nkisi des Kongos de la République démocratique du Congo des saints ou des vierges de bois sculptés au XIXe siècle à Pernambouc. Pourtant, à les voir côte à côte, l’analogie paraît évidente.
Christiane Falgayrettes-Leveau, commissaire de l’exposition, a donné la priorité à trois grands groupes culturels, dont de nombreux représentants furent déportés aux Amériques : les Yoroubas du Nigeria et du Bénin, les Fons et Ewés du Bénin et du Togo, et les Bantous des plateaux d’Afrique centrale. Trois civilisations aux panthéons fort riches et aux cultes complexes. Au fil du temps, ils se sont imprégnés du catholicisme portugais, vivace au Brésil, comme des croyances amérindiennes. Les moments de communion des esclaves, lors des cérémonies ou à l’occasion des fêtes, ont renforcé la cohésion de ceux qui avaient été initiés au même culte. Ainsi sont nés le candomblé, héritier du Vodun, et l’umbanda (rites vaudous), synthèses cultuelles permettant d’honorer des divinités qui existaient désormais de part et d’autre de l’Atlantique.
Dans l’accumulation d’objets que l’on trouve sur les autels afro-brésiliens, comme celui mis en place par Laércio Messias do Sacramento, on reconnaît la main et la personnalité de chaque officiant. Tout en respectant un code précis destiné à assurer son bon fonctionnement, celui-ci aménage l’endroit selon son inspiration, s’approchant en cela des installations des artistes modernes. Au fil de cette grande exposition, la juxtaposition d’objets rituels et d’iconographies permet au visiteur de percevoir la parenté qui lie le Brésil et l’Afrique. Toute l’ingéniosité de Dapper a été de concevoir une muséographie qui rapproche ces deux mondes.

* Brésil, l’héritage africain, Musée Dapper, Paris. Du 22 septembre 2005 au 26 mars 2006. Informations : www.dapper.com.fr

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires