Rentrée sociale sous haute tension

Hausse des prix, salaires insuffisants, imminence du ramadan : la population tire le diable par la queue. Dans la rue, la colère couve.

Publié le 4 septembre 2007 Lecture : 4 minutes.

« Avec un salaire de 18 000 dinars (190 euros), je n’achète que le minimum vital : lait, pain, sucre, huile, pâtes et légumes secs. Le reste servira à payer le loyer, l’électricité, l’eau et le gaz. Cette année, je ne suis même pas sûr de pouvoir acheter des cartables à mes trois enfants Quant au mois de ramadan, mieux vaut ne pas en parler. J’ai honte de le dire, mais j’irai certainement chercher le panier que le ministère de la Solidarité met à la disposition des nécessiteux. » Salarié dans une entreprise publique de télécommunication, Saïd redoute ce mois de septembre. Entre les dépenses alimentaires, les factures qui arrivent à échéance et l’achat des fournitures nécessaires à la scolarité des enfants, celui-ci avoue ne plus pouvoir faire face aux besoins de sa famille. « Il faudrait multiplier les salaires par deux, reprend-il. Le gouvernement devrait avoir la sagesse de le faire, puisqu’on dit que l’État possède des dizaines de milliards de dollars dans ses caisses. »
Déjà synonyme de grands frais habituellement, le mois de septembre l’est davantage encore cette année pour la plupart des Algériens. Depuis plusieurs semaines, en effet, le prix des produits de première nécessité s’envole. Ils flambent à tel point que la pomme de terre, pourtant considérée comme le féculent du pauvre, devient un luxe. Plus grave encore : la situation est susceptible d’empirer. Sur un ton parfois alarmiste, les journaux algérois annoncent régulièrement de nouvelles hausses dans des secteurs aussi divers que ceux de l’eau, du ciment, de la farine et des transports, pour n’en citer que quelques-uns.

« Nous allons tous mendier »
Houleuse, tendue, voire explosive : rarement une rentrée sociale n’aura autant préoccupé le citoyen lambda et les états-majors politiques et syndicaux. Même les patrons du privé ne cachent plus leur inquiétude. Ancien ministre qui a fait fortune dans le textile, Réda Hamiani, le président du Forum des chefs d’entreprise (FCE), s’est récemment fendu d’un mémorandum dans lequel il alerte le gouvernement sur les conséquences désastreuses de l’érosion du pouvoir d’achat des Algériens.
Scandalisés par le marasme dans lequel est plongé le pays, les syndicats autonomes promettent, de leur côté, grèves et manifestations qui risquent de paralyser un peu plus encore le pays. Fanfaronnades ? Réelles menaces ? Quoi qu’il en soit, le front social est en ébullition. « Au rythme où vont les choses, nous allons tous mendier. Les salaires stagnent. Si la situation perdure, nous ne sommes pas à l’abri d’une explosion », avertit Elyass Zouane, président du bureau du Syndicat national autonome des professionnels de l’administration publique (Snapap), à Alger.
Intervenue en janvier dernier – le salaire minimum est alors passé de 10 000 à 12 000 DA -, la revalorisation des salaires n’a finalement pas eu l’effet escompté. Bien qu’elle ait été présentée par les autorités comme une mesure capable de doper le pouvoir d’achat des ménages et de relancer l’économie nationale, elle s’est révélée largement insuffisante par rapport aux attentes – et aux besoins – de la population. « Tous les produits augmentent, maugrée Naïma, enseignante dans un lycée d’Alger. Les commerçants fixent les prix à leur convenance, les transporteurs nous font payer les tickets plus chers et les vêtements neufs sont hors de prix pour les petites bourses. Pourtant, nous sommes un pays riche. Très riche On se demande bien ce que fait le gouvernement et où vont tous ces milliards que génèrent le pétrole et le gaz. »

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Pommes de terre importées
Quelque peu dépassé par l’ampleur des hausses intervenues au cours de l’été, accusé de laisser-aller – certains commentateurs sont allés jusqu’à dénoncer son absence totale du terrain -, le gouvernement tente, justement, de réagir. Mais il doit pour l’instant se contenter de parer au plus pressé. Lors d’une conférence de presse organisée le 28 août, le Premier ministre, Abdelaziz Belkhadem, est enfin sorti de son mutisme pour remettre les pendules à l’heure. À cette occasion, il en a profité pour annoncer un train de mesures destiné à calmer les esprits. « Il n’y a pas de tension sociale, a-t-il lâché sur un ton exaspéré. Il y a plutôt des tensions inflationnistes sur certains produits de grande consommation. » L’État, a-t-il poursuivi, continuera de subventionner les denrées de base comme le lait, le pain et les pommes de terre. Mieux, une ordonnance présidentielle exceptionnelle vient d’être promulguée pour lever toutes les taxes douanières qui pèsent sur l’importation des pommes de terre. Quelque 100 000 tonnes seront, par ailleurs, importées d’Europe pour inonder le marché, dans l’espoir d’infléchir les coûts exorbitants pratiqués sur les étals. Des tonnes de viande surgelée seront également achetées en Amérique latine, ainsi que du lait pour subvenir aux besoins de la population. Last but not least, le chef de l’exécutif a révélé dans la foulée que son gouvernement tiendra désormais une conférence de presse hebdomadaire pour pallier le déficit de communication dont il est si souvent accusé.

Profond malaise
Sera-ce suffisant pour faire baisser la température ? Pas sûr « C’est du replâtrage, a lancé un député de l’opposition, alors que la conférence de presse de Belkhadem était à peine achevée. Si les pouvoirs publics considèrent qu’ils peuvent acheter la paix sociale avec ce genre de « mesurettes », ils se trompent lourdement. Le malaise est beaucoup plus profond. Les Algériens ont l’impression d’être livrés à eux-mêmes. Leur pouvoir d’achat ne cesse de s’éroder, des maladies qu’on pensait éradiquées resurgissent, la pauvreté gagne du terrain, le chômage augmente, les chantiers lancés par le président sont au point mort et l’Algérie est régulièrement secouée par des émeutes. Dieu sait pourtant combien ce pays est riche »
Tenus, certes, par un opposant, de tels propos ont toutefois un écho croissant dans l’opinion. À la veille du ramadan, qui débutera dans la première quinzaine de septembre, le malaise social risque donc de s’amplifier. D’autant que l’on sait désormais que la nouvelle revalorisation des salaires des fonctionnaires, promise au départ pour le deuxième semestre de 2007, est reportée à janvier 2008 au plus tôt. Ambiance.

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