Raymond Barre

L’ancien Premier ministre français (1976-1981) est décédé le 25 août à l’âge de 83 ans.

Publié le 4 septembre 2007 Lecture : 3 minutes.

Il aimait à se présenter comme « un homme carré dans un corps rond », et fit un jour sensation à l’Assemblée en révélant qu’il prenait volontiers l’avis de son coiffeur. Entré en politique par la voie européenne de Bruxelles, Raymond Barre, centriste gaullien ouvert à la gauche, n’a cessé de marquer son indépendance d’esprit en pourfendant « le microcosme » et en refusant de s’inféoder à des coalitions. Sa carrière nationale commence lorsque Valéry Giscard d’Estaing, après la démission de Matignon de Jacques Chirac, le nomme Premier ministre. Il lui donne pour mission principale de « rétablir l’ordre dans les finances de la France », selon la formule de Colbert dont on savait que ce travailleur inlassable éprouvait les mêmes joies à découvrir chaque matin sur son bureau une nouvelle pile de dossiers à problèmes.

Giscard l’avait choisi parce qu’il le considérait comme un des meilleurs économistes français, petite phrase qui devint par un mystérieux déclic « le meilleur économiste de France ». Par malheur pour lui, il arriva au pouvoir au pire moment de la situation économique du pays : crise de la sidérurgie, détérioration des comptes de la Sécurité sociale et surtout un deuxième choc pétrolier, qui renchérissait les prix, réduisait la croissance et plombait de surcroît les sondages, ce qui, loin de le troubler, confirmait au contraire, à ses yeux, la justesse de ses vues. En 1988, il subit à son tour la tentation de l’Élysée malgré la fameuse « malédiction de Matignon », qui écartait tous les Premiers ministres du pouvoir suprême, à la seule exception de Chirac. Il pensait pouvoir dépasser celui-ci au premier tour de la présidentielle, ce qui l’aurait assuré de battre François Mitterrand au second. Il allait mesurer les difficultés de la gageure, quand on est privé du soutien d’un grand parti, qu’on n’a pas de machine électorale, qu’on manque de moyens financiers et qu’on voit se mobiliser contre soi, y compris chez ses « amis », les « attitudes déloyales, les peaux de banane et les bassesses en tout genre ». Il achève de comprendre sa méprise lorsque Giscard et Chirac se réconcilient sur son dos à l’occasion d’un déjeuner chez Drouant où ils avaient fait mettre au menu « un bar grillé ». Le RPR surtout lui mène la vie dure. « Barre, c’est Gnafron », écrit La Lettre de la nation, ce qui ne pouvait passer, même à l’égard d’un député de Lyon, pour une amabilité. Réconforté par ses 16,54 % de suffrages, à 3 points seulement de Chirac, il ne garde pas d’amertume de son échec et finit même par s’en amuser, avant d’en tirer cette clairvoyante morale : « Je n’étais pas un professionnel de la politique. »
Pareille évidence le fait hésiter à briguer la mairie de Lyon, où pour une fois tous les partis l’appellent. Il objecte son âge, sa mauvaise santé, jusqu’au moment où une jeune femme l’interpelle à sa permanence de député : « Vous ne pouvez pas nous laisser tomber, ce serait dégueulasse. » Ce dernier mot, bien qu’il ne fût guère de son vocabulaire, le décide. Les Lyonnais n’oublieront pas qu’ils doivent à sa politique d’ouverture et de développement le prestigieux classement par l’Unesco de leur « ville-capitale » au Patrimoine mondial de l’humanité.

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Dans le remarquable livre entretien L’Expérience du pouvoir (Fayard), qui restera comme son testament politique, Jean Bothorel lui demande en conclusion quelles furent les plus importantes décisions de sa carrière. Il en retient quatre : la poursuite du programme du TGV, l’extension de La Défense, le lancement de Sophia Antipolis et le déblocage de crédits pour l’achat d’un tableau de Piero Della Francesca, Le Portrait du duc d’Urbino, qui allait échapper au Louvre. De l’avion même qui l’emmenait en Chine, il télégraphie à son cabinet de Matignon : « Oui, pour Piero. » Ce résumé de son action sera son dernier pied de nez à la politique politicienne.
Alors que la maladie l’avait retiré de toute activité, on s’étonne aujourd’hui encore qu’il ait laissé ternir son image en soutenant Maurice Papon à son procès et en mettant en cause « le lobby juif ». On l’a accusé d’antisémitisme. Il s’en est hautement défendu en invoquant ses amitiés juives et en attribuant ces attaques à son refus de soutenir « inconditionnellement » l’action d’Israël.
Mort, où est ta victoire ? s’interrogeait Daniel-Rops dans un roman célèbre. Pour Raymond Barre, elle est dans le respect que l’homme humaniste et l’homme d’État ont retrouvé par la mort dans une opinion qui a souvent signifié son impopularité à ce « père la rigueur », mais n’aura jamais retiré sa confiance à l’un des derniers sages de la politique contemporaine.

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