Législatives : ce qui va changer

Une trentaine de listes s’affrontent pour conquérir les 325 sièges de la Chambre des représentants. Alors que l’USFP paraît affaiblie, les islamistes du PJD espèrent réaliser un score historique. À la veille du 7 septembre, le scrutin est plus ouvert que jamais.

Publié le 4 septembre 2007 Lecture : 6 minutes.

C’est le 25 août à minuit que le coup d’envoi de la campagne officielle pour les élections législatives du 7 septembre a été donné. Un scrutin qui aura valeur d’examen pour Chakib Benmoussa, le ministre de l’Intérieur : le roi Mohammed VI veut, en effet, des élections irréprochables, et des candidats exemplaires. Le souverain l’a dit et répété : il veut mettre fin à la fraude et à la pratique, encore très répandue, de l’achat de voix, deux des maux endémiques qui corrompent la démocratie marocaine. « L’assainissement est le préalable à toute modernisation de la vie politique, explique un candidat d’une formation de gauche. Les notables ont gangrené la quasi-totalité des structures partisanes. Ils ont été mis en place par le système et ont fini par le piéger. Mais les choses changent. L’an dernier, onze candidats qui se présentaient à la Chambre des conseillers [la Chambre haute du Parlement] ont été surpris en flagrant délit d’achat de voix de grands électeurs. Benmoussa les avait placés sur écoute téléphonique. Cet été, c’est Omar el-Bahraoui, le maire de Rabat, qui a été inquiété. [Poursuivi pour violation du code électoral, son procès a été reporté le 16 août, ndlr.] Chacun a compris la signification de ces coups de semonce. Le roi veut des élections crédibles »

Une trentaine de listes se disputeront les bulletins des Marocains. Et, selon toute vraisemblance, la future Chambre devrait fortement ressembler à la sortante. La faute à un mode de scrutin qui entretient l’émiettement du paysage politique.

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L’une des grandes inconnues de cette élection réside donc dans le score des islamistes modérés du Parti de la justice et du développement (PJD), aujourd’hui troisième force politique du royaume, qui ambitionne de devenir la première. En 2002, la formation du très conciliant Saad Eddine Othmani n’avait présenté des candidats que dans un tiers des circonscriptions. Elle risque, cette fois, de devancer les deux grandes formations de la koutla, l’Union socialiste des forces populaires (USFP, gauche) et l’Istiqlal (parti nationaliste, conservateur). Optimistes, les cadres du PJD, qui s’appuient sur des sondages maison, tablent sur un score compris entre 25 % et 30 % des suffrages, soit environ 80 sièges. Pour la plupart des observateurs en revanche, ils ne dépasseront pas 20 % des voix et auront du mal à arracher plus d’une soixantaine de sièges à l’Assemblée, d’autant qu’ils sont encore très mal implantés dans les campagnes.

Longtemps dépeint comme le parti des « islamistes du palais », – par opposition aux sympathisants d’Al Adl wal Ihsane (Justice et Bienfaisance), le mouvement du Cheikh Abdessalam Yassine et de sa fille Nadia -, le PJD a pourtant réussi à se démarquer de l’administration. Sa présence assidue à l’Assemblée sortante lui a offert une tribune inespérée. Mais la perspective de sa probable percée aux prochaines élections ne suscite pas d’inquiétudes démesurées dans le royaume. Coincés entre le roi qui gouverne, ses ministres de souveraineté (Intérieur, Affaires étrangères), les « chantiers du règne » (tourisme, infrastructures, lutte contre la pauvreté) et les réalités économiques, les islamistes ne disposeront pas d’une grande marge de manÂuvre s’ils entrent au gouvernement et seront très certainement obligés de composer, dans le cadre d’un cabinet de coalition. Sans compter les compromis qu’ils devraient être amenés à faire, qui pourraient leur coûter cher en termes d’image.

L’inconnue El Himma

Leur participation à l’exécutif est cependant loin d’être acquise. Les partis de la koutla démocratique, l’USFP, l’Istiqlal et le Parti du progrès et du socialisme (PPS, ex-communistes), ainsi que le Mouvement populaire (MP) et le Rassemblement national des indépendants (RNI) y sont hostiles pour l’instant. Mais les choses sont susceptibles d’évoluer après le scrutin. L’USFP, sclérosée et affaiblie par les scissions à répétition, est en perte de vitesse. Pour elle, le danger peut autant venir de la concurrence traditionnelle de l’Istiqlal que de son aile gauche, après la structuration d’un pôle de la gauche non gouvernementale autour du Parti socialiste unifié (PSU) de Mohamed Sassi, des Partis de l’avant-garde démocratique socialiste (PADS) d’Ahmed Benjelloun et du Parti socialiste d’Abdelmajid Bouzoubâa.

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Sassi, qui sera lui-même candidat dans « la circonscription de la mort », celle de Rabat Océan – où il affrontera notamment Benjelloun et Latifa Jbabdi, la candidate de l’USFP -, est l’étoile montante de la politique marocaine. Il a quitté l’USFP, devenue selon lui un parti sans âme et bourgeois après le désastre de son Ve congrès, en 2001, dont les membres se préoccuperaient avant tout de leur carrière. Hostile à l’idée de participer au gouvernement, il fait de la monarchie parlementaire son cheval de bataille : « Il ne sert à rien de se faire élire sur un programme si l’on n’a pas les moyens de l’appliquer. Actuellement, le gouvernement ne fait qu’exécuter la politique royale. Or la réforme des institutions est une question centrale, celle qui conditionne tout. » Le langage et le ton de Sassi détonnent. Ils lui valent aussi des sympathies inattendues mais réelles, y compris au palais : « Il peut apporter du sang neuf à la vie parlementaire, qui a besoin de personnalités crédibles, décrypte un journaliste. Son ascension aurait une autre vertu : éviter que l’opposition ne soit l’apanage des seuls islamistes, comme c’est le cas actuellement. » Plus au centre de l’échiquier, le MP de Mohand Laenser, très ancré dans la ruralité et à forte coloration berbériste, devrait également progresser, grâce à la réunification de la famille harakie : deux formations dissidentes, le Mouvement national populaire (MNP) et l’Union démocratique (UD) sont, en effet, revenues dans le giron du MP au cours de la dernière législature. À droite, l’Istiqlal, assis sur un électorat stable et traditionnel, devrait limiter les dégâts.

Reste, en fin de compte, à savoir quel sera l’impact d’un candidat « sans étiquette politique », dont le score sera scruté à la loupe : celui de Fouad Ali El Himma, l’ancien ministre délégué à l’Intérieur, qui a longtemps été le plus proche collaborateur du roi. Sa démission, annoncée début août par le palais, a créé la surprise. Candidat à Benguerir, sa ville natale dont il a déjà été le député entre 1993 et 1997, il jure qu’il n’a d’autre objectif que de servir sa région – l’une des plus déshéritées du royaume. Beaucoup lui prêtent toutefois d’autres ambitions et le voient déjà Premier ministre, une hypothèse que l’intéressé a pourtant catégoriquement réfutée.

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Quoi qu’il en soit, la passion qui entoure son avenir politique dénote un intérêt particulier pour une question plus large, qui tient en haleine tout le microcosme : qui héritera de la primature ? La réponse dépendra du résultat des élections et de l’empreinte que voudra donner le roi à la vie politique marocaine. En 1997, Hassan II avait choisi un politique, son vieil adversaire, le socialiste Abderrahman Youssoufi, pour réussir l’alternance consensuelle. En 2002, Mohammed VI avait désigné un « technocrate », en la personne de Driss Jettou. 2007 sera-t-elle l’année du changement de génération ? Le souverain a promis que, cette fois, il choisirait un politique issu des urnes. Une déclaration qui, pourtant, ne l’engage pas à grand-chose : rien ne l’oblige en effet à choisir un chef de parti. Tout laisse d’ailleurs penser qu’il n’en a aucune envieÂ

M6, seul maître à bord

Pour M6, une victoire de l’Istiqlal, ou un résultat honorable de sa part, présenterait un avantage : il n’aurait que l’embarras du choix pour désigner son chef de gouvernement. Toufik Hjira, Karim Ghellab ou Adil Douiri, quadragénaires et technocrates qui ont fait leurs preuves, sont peut-être un peu tendres politiquement, mais incarneraient une certaine forme de continuité avec l’équipe sortante. Sans compter qu’ils sont opérationnels immédiatement Mais quelle que soit la donne qui sortira des urnes, il y a loin avant que le souverain ne soit démuni. Si l’USFP l’emporte, Fathallah Oualalou, l’actuel grand argentier, pourrait très bien faire l’affaire. Si c’est le MP, Mohand Laenser constitue une solution. Un bon résultat du PJD n’entraverait en rien non plus la marge de manoeuvre du palais : la mise en place d’une coalition restant indispensable, le meilleur moyen d’apaiser les tensions serait alors de mettre sur orbite une personnalité consensuelle à la tête d’un gouvernement d’union nationale. En cas de résultat illisible et de paysage politique atomisé enfin, Mohammed VI pourra choisir qui il veut. Voire attendre, laisser les partis s’enfoncer dans des querelles infinies, et finalement sortir de son chapeau un Benmoussa ou un El Himma Conclusion ? Aucune. L’équation comporte trop d’inconnues pour être résolue, et l’observateur peut, au mieux, se borner à émettre quelques hypothèses. Certes, chacun a bien sa petite idée, mais personne n’a de certitude. Et c’est finalement assez ­logique C’est d’ailleurs tout le charme du système monarchique à la marocaine : si le roi avait les mains liées, il ne serait tout simplement plus le roi.

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