Laurent Dona Fologo
Le président du Conseil économique et social de Côte d’Ivoire, aujourd’hui fidèle soutien de Laurent Gbagbo, règle ses comptes. Avec Ouattara, son ancien parti et l’ex-chef de l’État Henri Konan Bédié.
Il faut croire que ses parents n’ont jamais cessé d’être vigilants, car Dona Fologo – « celui sur lequel veille son père », en sénoufo – porte apparemment bien son patronyme et affiche une longévité politique exceptionnelle. Avant d’accéder, en octobre 2001, à la tête du Conseil économique et social, la première institution de la République qui lui fut jamais confiée, Laurent Dona Fologo, de son nom complet, (LDF) a occupé différentes fonctions et dirigé plusieurs missions, qu’elles furent secrètes ou officielles. Y compris tout au long de cette crise.
À 67 ans, il reste un homme multiple qui aura revêtu plusieurs costumes : l’élève des bons pères, qui firent du jeune animiste né un jour de décembre 1939 à Péguékaha, quelque part dans le nord de la Côte d’Ivoire, un bon catholique ; le diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille ; le stagiaire au Progrès de Lyon puis, dans la foulée du retour au pays, le rédacteur en chef du tout nouveau quotidien Fraternité matin. Et, surtout, le disciple du président Félix Houphouët-Boigny, alias le Vieux, l’un des dirigeants de l’Afrique des indépendances, faiseurs sinon de destin, du moins de carrière.
De 1974 à 1999, et de ministère en ministère, Fologo aura passé un quart de siècle dans les différents gouvernements du Vieux ou de Henri Konan Bédié, avec lequel, après une longue complicité – réelle ou supposée -, la rupture semble aujourd’hui consommée. Pour cause, avance LDF, de « tribalisme » et d’« infidélité récurrente » aux enseignements d’Houphouët, son père spirituel, son modèle aussi. Celui dont il revendique urbi et orbi l’héritage politique au grand dam du Rassemblement des houphouétistes pour la paix et la démocratie (RHDP), relégué au rang de simple slogan électoral, en dehors de toute adhésion à la philosophie du père fondateur du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Voilà les parrains du RHDP, Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, envoyés sans ménagement dans les cordes. Du premier, Fologo, qui sait être pugnace voire virulent, sans jamais être haineux, stigmatise l’ingratitude et la sourde déhouphouétisation de la politique ivoirienne. Du second, lui, dont le propre frère est musulman, dénonce ce qu’il appelle l’instrumentalisation de la religion et le recours au chiffon rouge de la xénophobie. Et attend, comme dans un défi, l’un et l’autre sur le terrain de la campagne pour la prochaine présidentielle. Seul le président Laurent Gbagbo trouve grâce à ses yeux. Pour lui, ce dernier est aujourd’hui celui qui incarnerait le mieux l’houphouétisme : l’ouverture, la tolérance, la générosité, malgré les réticences des porte-flingues de son entourage.
Plus que des « houphouétistes de circonstance », Fologo se sent proche de ce Gbagbo, le vrai « successeur » du Vieux, « diabolisé », selon lui, par tous ceux qui, à commencer par l’ancien chef de l’État français Jacques Chirac, n’en voulaient pas comme président. Contre ceux-là et leurs relais à l’intérieur, mais aussi pour faire pièce au PDCI en réglant au passage des comptes, Fologo, qui se veut toujours légaliste, lance le Rassemblement pour la paix (RPP) en avril 2003. Et cherche à surfer sur le choc – sourd ou affiché – des ambitions présidentielles. Exercice de funambule qui lui vaut au mieux les quolibets des uns, au pis l’accusation de figurer sur la longue liste des ralliés au pouvoir pour raison alimentaire. Ce qui le met en colère et l’amène à contre-attaquer sans circonvolutions diplomatiques. Entretien.
Jeune Afrique : Voici un an éclatait l’affaire des déchets toxiques. Malgré l’accord entre le gouvernement et la société Trafigura, tout n’est pas encore bouclé. Cette histoire ne risque-t-elle pas de polluer le processus électoral qui s’amorce ?
Laurent Dona Fologo : Non, l’affaire est réglée. Il reste à exécuter l’arrangement à l’amiable qui nous évite un procès long et coûteux. Les experts viennent d’arriver à Abidjan. On a demandé un financement complémentaire pour dépolluer complètement la zone touchée : trouver une nappe d’eau, soigner des maladies non encore déclarées Depuis le 22 août, les discussions tournent autour d’un montant de 222 milliards de F CFA, qui ne seront pas immédiatement utilisables. Cette question ne risque donc pas d’avoir une quelconque incidence sur le processus. La manière dont le gouvernement gère ce dossier ne permet aucune exploitation politique. Il est vrai que les conditions de dédommagement sont un peu longues.
Le président Laurent Gbagbo estime que les élections peuvent se tenir avant la fin de l’année. Est-ce réaliste ?
C’est un objectif, mais il nous faut y aller sans précipitation. Le processus d’identification va reprendre le 1er septembre. Tous les pays africains qui ont organisé des élections cette année ont dû faire face à des soupçons de fraude. Notre situation est plus sensible. Il faut tout mettre en uvre pour que ces élections soient honnêtes, transparentes et crédibles.
Comment y parvenir ?
Si le travail d’identification et de confection des listes électorales est fait avec sérieux, avec des magistrats rigoureux et la logistique nécessaire, on devrait aboutir à des listes acceptables. Je préfère qu’on perde du temps en amont pour être sûrs qu’en aval personne ne pourra contester les résultats. Il faut donc suivre la feuille de route de Ouagadougou, quitte à perdre un ou deux mois. Le fétichisme des dates ne me préoccupe pas outre mesure. Nous constatons déjà que pour avoir dit à Bouaké « allons vite aux élections », Laurent Gbagbo est accusé de préparer la fraude. Lorsqu’il dit « allons doucement pour ne pas nous tromper afin que tout le monde soit d’accord sur l’issue », on prétend qu’il veut s’éterniser au pouvoir.
Pourquoi ne voulez-vous pas du haut représentant de l’Onu pour les élections ?
Nous sommes en faveur d’un représentant de la communauté internationale. Mais c’est sur son rôle que tout le monde n’est pas d’accord. Nous ne voulons pas que notre souveraineté soit entamée. Oui pour l’observation. Oui pour le contrôle des élections tout au long du processus. Mais pas question de voter à notre place ni de nous infantiliser. Les précédents accords ont capoté parce que ce sont les autres qui décidaient pour nous.
Est-ce une des raisons de l’échec de l’attelage Gbagbo-Banny ?
Tous les Premiers ministres qui ont été imposés n’ont pas pu rester en poste. La communauté internationale a oublié qu’il existait un peuple ivoirien, dont la mentalité a changé et qui est capable de dire non. C’est la France qui a obligé Gbagbo à nommer Seydou Diarra. Une grande humiliation Charles Konan Banny a également été imposé de l’extérieur et a bénéficié de pouvoirs élargis alors qu’il n’a jamais été élu. C’était inacceptable.
Quelle place et quel rôle voyez-vous pour Alassane Ouattara ?
La question Ouattara est derrière nous. À Marcoussis, on a décidé que tous les signataires pouvaient être candidats, et cela a été plus formellement arrêté à Pretoria. Il ne peut désormais plus dire « on me rejette, car je suis musulman, je viens du Nord ». Qu’il prépare les élections et on se retrouvera sur le terrain.
Pourquoi l’a-t-on accusé d’être la cause de tous les maux de la Côte d’Ivoire ?
Ceux qui l’ont pensé et dit n’ont pas totalement tort. Aux négociations de Lomé [en octobre-novembre 2002, ndlr] dont je dirigeais la délégation gouvernementale, les insurgés avaient entonné le même refrain que lui : la xénophobie et l’exclusion en Côte d’Ivoire. À supposer que ce soit vrai, pourquoi n’ont-ils pas déposé les armes au lendemain de Marcoussis, puisque tout le monde pouvait être candidat et plus personne n’était exclu ?
Que pensez-vous du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), créé entre autres par Ouattara et Bédié ?
C’est un mariage de raison, une simple alliance politique. Personnellement, je revendique la qualité de disciple politique de Félix Houphouët-Boigny. C’est mon père spirituel.
Une alliance fondée sur les principes de l’houphouétisme
Non. Ils ont pensé que le nom d’Houphouët était politiquement rentable et vendable. Ce n’est pas un pacte de fidélité à Houphouët, qui préférait l’injustice au désordre, estimant qu’on peut réparer l’injustice, mais lorsque le désordre commence, nul ne sait quand il s’arrêtera. Or ce mariage a regroupé tous les partisans du désordre Mais sur le terrain, ils vont se rendre vite à l’évidence. Car aujourd’hui, les jeunes gens qui résistent ne connaissent pas Houphouët. Pas plus que de Gaulle ou Pompidou. C’est un autre monde qui est né et dont il faut tenir compte. Nos amis français n’ont pas compris que la nouvelle génération n’a pas le même esprit que ses aînés. Elle n’a pas fait ses études en France, n’a pas les mêmes liens affectifs avec elle que nous. C’est pour cela notamment que tous leurs plans de déstabilisation ont échoué. Et que j’ai lancé le RPP [le Rassemblement pour la paix, ndlr] qui n’a pour objectif que la défense des valeurs d’Houphouët, pas la conquête du pouvoir. Contrairement au RHDP, qui va voler en éclats au lendemain des échéances électorales et dont certains des membres ont même trahi Houphouët de son vivant. Et continuent de le trahir. Je n’en dirai pas plus.
Quel rôle souhaitez-vous avoir dans le processus électoral, si le RPP n’est pas un mouvement pour la conquête du pouvoir ?
Tous les membres du RPP sont libres de soutenir qui ils veulent. Nous ne visons pas le fauteuil présidentiel, même si, aujourd’hui, nous comptons plus de membres que bien d’autres partis politiques, car nous sommes sur le chantier de la paix, et nous avons le sentiment que pendant quarante ans nous n’avons pas suffisamment écouté le président Houphouët.
Simone Gbagbo et Mamadou Koulibaly, le président de l’Assemblée nationale, n’ont pas bonne presse
C’est injuste. La première dame et M. Koulibaly sont, il est vrai, plus durs que d’autres. Au Front populaire ivoirien [FPI, ndlr], l’épouse du chef de l’État affiche des convictions trempées et Koulibaly des positions intransigeantes. Cela ne signifie pas qu’ils ne comprennent pas où se trouvent les intérêts de la Côte d’Ivoire. La preuve, depuis l’accord de Ouagadougou, on entend moins Mme Gbagbo
Le livre qu’elle a récemment écrit* parle pour elle et dit des choses dures notamment à l’endroit d’Alassane Ouattara
Oui, mais elle a écrit son ouvrage avant l’accord de Ouagadougou, avant l’apaisement général. L’houphouétiste que je suis est gêné par certains passages du livre. Mais elle a mis beaucoup d’eau dans son vin. Quant à Koulibaly, il n’a jamais bloqué le processus né à Ouagadougou. Au contraire, il l’a soutenu. Tous deux ne constituent pas un obstacle.
Croyez-vous qu’avec l’attelage Gbagbo-Soro la Côte d’Ivoire tient cette fois le bon bout ?
Absolument. Cette fois, c’est irréversible, même après l’attentat de la fin juin, à Bouaké, contre Guillaume Soro. Et à cause peut-être de cet acte inqualifiable, lui et Gbagbo sont désormais obligés de renforcer leurs liens. Le président Houphouët avait l’habitude de dire que la guerre vient subitement, mais part lentement. Ceux qui ont pris les armes ont accepté de s’engager dans la voie de la réconciliation avec un pouvoir qu’ils voulaient renverser. Le temps joue pour tout le monde. Les Ivoiriens ont vu que personne ne pouvait gagner, contrairement à ce que l’un ou l’autre camp pensait au début de la crise. Aux négociations de Lomé, en octobre-novembre 2002, nous étions persuadés que la rébellion allait être rapidement réduite.
Pourquoi ?
Nous espérions notamment faire jouer les accords militaires signés avec la France. Mais elle a louvoyé. Le sort de Gbagbo ne l’intéressait pas.
L’attitude de Paris était-elle liée à la personnalité même du président Gbagbo ?
Peut-être. Des amis comme la France ont mal compris Gbagbo et les problèmes ivoiriens. Il n’y a jamais eu de guerre civile en Côte d’Ivoire, sinon ce serait un bain de sang à Abidjan. Des membres de dix ethnies différentes partagent parfois la cour d’une même maison. La réalité, c’est qu’il y a eu tentative de coup d’État, des ambitions avérées pour la conquête du pouvoir que le charisme du président Houphouët avait jusque-là étouffées. Pour nous, il était comme un fétiche. Mais dès que l’arbre est tombé, tout le monde s’est réveillé, certains plus solides que d’autres. Voilà comment est né le problème ivoirien.
Ce problème se résume-t-il pour autant au seul choc des ambitions ?
Pour l’essentiel, oui. On est allé chercher des antagonismes, qui n’existent pas, entre ethnies, entre musulmans et chrétiens, entre Nord et Sud. Moi, je suis chrétien et à 100 % du Nord. Mon propre frère est musulman. Il a même fait le pèlerinage de La Mecque. La religion n’est pas un problème chez nous, mais des ambitieux ont cherché à l’instrumentaliser. Dans la bataille de la communication, ceux qui s’affrontaient pour le pouvoir ont pris de l’avance sur ceux qui y étaient déjà. Mais grâce à Dieu, Gbagbo n’est pas tombé. Aujourd’hui, avec nos amis, les conditions sont réunies pour renouer les fils et tourner la page en douceur.
Quels amis ?
Je veux parler de la France et du changement de président qui y est récemment intervenu. Je pense que les conditions sont à présent réunies pour nous retrouver sur de bonnes bases. L’ancien chef de l’État français, Jacques Chirac, avait presque fait de la situation en Côte d’Ivoire une affaire personnelle. Il n’est plus là. Nous devons maintenant – et je pense au président Gbagbo quand je dis nous – faire un effort de rapprochement. Ce n’est pas gagné d’avance, mais nous ne voulons pas que nos vieux amis s’en aillent. Personne n’a jamais demandé qu’ils partent.
Dans la nouvelle donne, pensez-vous que le PDCI puisse sortir vainqueur des élections ?
Pas plus que les autres. Les jeux ne sont pas faits. Mon sentiment est que cette tentative de coup d’État du 19 septembre 2002 qu’on a transformée en rébellion puis en crise a davantage servi Gbagbo que les autres.
Comment ?
Au fil du conflit, le chef de l’État est apparu aux Ivoiriens comme le président qu’ils avaient élu, mais que d’autres ne voulaient pas voir rester au pouvoir. Il ne leur convenait pas, car il est indépendant, insoumis, nationaliste. C’est comme cela que les Ivoiriens l’ont compris. Et c’est pour cela qu’ils veulent prouver aux prochaines élections qu’ils n’acceptent pas qu’on leur dénie le droit d’élire qui ils veulent. Voilà pourquoi Gbagbo a ses chances, comme tout le monde.
Mais certains ne sont-ils pas mieux placés que d’autres ?
Peut-être. Le peu de temps que j’ai passé à observer le comportement de Gbagbo, que je ne connaissais pas, m’a permis de voir qu’il est plus proche d’Houphouët. Il est ouvert et généreux à l’égard de tous. Il a pris des décisions qui perpétuent la mémoire du président Houphouët. Il a repris le dossier du transfert de la capitale à Yamoussoukro sans en changer un iota. Il a appelé à ses côtés beaucoup de pédécéistes. Il a un grand respect pour la famille Houphouët-Boigny, dont la veuve a régulièrement droit à ses visites. J’ai de bonnes raisons de souhaiter qu’il ait l’occasion de prouver véritablement ce dont il est capable. J’ai découvert chez Gbagbo des qualités qui m’ont davantage rapproché de lui plutôt que de beaucoup d’autres.
Qui, par exemple ?
Le nom de Bédié me vient à l’esprit.
Êtes-vous déçu par la façon dont Bédié a géré le pouvoir au lendemain de la disparition d’Houphouët, en 1993 ?
Certainement. C’est pourquoi j’ai fini par créer le Rassemblement pour la paix, le RPP. Je songe d’ailleurs à en faire un parti. Mais je ne suis pas encore prêt. Pendant trente ans, j’ai été membre du bureau politique du PDCI, au comité exécutif pendant dix ans, onze ans comme secrétaire général et président par intérim. J’ai pensé qu’il n’aurait pas été honnête de claquer la porte. Même si on y a bafoué les enseignements d’Houphouët
En quoi ?
Lorsque, dans les années 1990, le PDCI a lancé l’idée du toilettage des listes électorales, j’ai indiqué au bureau politique combien l’opération pouvait être délicate. Je n’ai pas été suivi, et on a abouti à l’ivoirité.
Comment ?
L’idée est partie du fait de dire qu’il y avait de faux Ivoiriens – même s’il y en avait effectivement. Lors de son investiture comme candidat du PDCI à la présidentielle de 1995, Bédié a présenté son programme et dit que tout cela sera « couvert du blanc manteau de l’ivoirité ». Je ne suis pas sûr que la population ait cru qu’il pensait à mal. Je crois qu’il a même voulu faire un peu de poésie. On s’est malheureusement saisi de ce mot pour en faire un poison.
N’était-il pas possible pour Bédié de revenir sur son propos ?
Peut-être aurait-il dû. Mais sans doute n’a-t-il pas mesuré les ravages que cela pouvait faire.
Personne n’a vu venir le tollé ?
Pas vraiment ou alors confusément. Je ne voulais pas entendre dire : « Regardez les enfants d’Houphouët, ils trahissent déjà son héritage. » Cela m’obsédait d’autant plus que j’avais en mémoire ce que, en août 1993, malade et retiré dans son hôtel particulier de la rue Masseran, à Paris, il m’avait dit : « Si je reviens au pays, je supprimerai la carte de séjour » [qui venait d’être créée par Alassane Ouattara, alors Premier ministre, ndlr]. Pour lui, le brassage était tel qu’il ne lui venait pas à l’idée de faire des distinctions.
Houphouët avait tout de même accepté la démarche de son Premier ministre
Il a estimé qu’on l’avait pris de vitesse en lui présentant la carte de séjour comme un moyen de lutter contre l’insécurité. Mais lorsqu’il a appris qu’on poursuivait les gens jusque dans les mosquées pour les contrôler, il a décidé qu’à son retour il mettrait un terme à tout cela. Dans son esprit, il ne s’est jamais considéré comme le président de la seule Côte d’Ivoire, du seul RDA, mais comme celui de l’Afrique de l’Ouest, surtout après le départ volontaire de Senghor. Il se sentait un peu responsable des jeunes chefs d’État et des ressortissants de la sous-région. Pour moi, cette dernière conversation à Masseran est une sorte de testament.
Y en a-t-il eu d’autres ?
D’autres conversations, non. Mais il m’a également entretenu de la Constitution. « L’une des recommandations que je te fais s’il advenait quelque chose, c’est de défendre la Constitution, car c’est la seule voie qui vous évitera de faire couler le sang », m’a-t-il dit. Voilà pourquoi, à sa mort, lorsque certains ont voulu contourner cette Constitution qui faisait du président de l’Assemblée nationale le chef de l’État pour le reste du mandat, je me suis dressé contre eux. Cela nous a permis, dans l’immédiat, d’éviter de graves problèmes. Et à Bédié d’accéder au fauteuil. J’ai considéré que j’avais respecté sa mémoire. Chez nous, les Sénoufos, on dit qu’on peut aider quelqu’un à monter sur l’arbre. Mais la manière d’attraper les branches pour ne pas tomber le regarde.
On vous sent un peu amer
Il y a de quoi. Je n’ai pas été payé de retour. Au contraire, la plupart de ceux pour qui je suis monté au front, à commencer par Bédié, ne m’ont témoigné qu’ingratitude et méchanceté. Ce sont même eux qui m’ont empêché d’occuper en son temps le perchoir de l’Assemblée nationale.
Aujourd’hui, le divorce entre Bédié et vous est-il consommé ?
Théoriquement, oui. Même si je n’ai pas rendu ma démission du PDCI, je n’y ai plus mis les pieds depuis la fin du congrès de 2002, et je ne suis pas prêt à le faire de sitôt. L’interview de Bédié dans vos colonnes a fait déborder le vase. J’ai vu dans ses propos beaucoup de mépris à mon endroit. Il dit qu’il ne veut faire de publicité à qui que ce soit, que les gens sont partis pour des raisons alimentaires. Il dit aussi qu’il peut gagner les élections, car chez nous la réalité électorale est sociologique. Et cela, je ne l’accepterai jamais.
Que lui répondez-vous ? Faites-vous partie des départs alimentaires ?
Bien sûr que non ! Je ne suis pas allé vers Gbagbo pour des raisons alimentaires. En réalité, à l’époque où l’on pouvait gagner de l’argent en faisant de la politique, c’est-à-dire du temps d’Houphouët-Boigny, en bénéficiant de quotas de café, de cacao, de riz, de concessions, de bois, je n’en ai jamais gagné. Jamais. Le fait de réduire ma démarche à une simple quête alimentaire me fait mal.
D’autres que Bédié disent la même chose à votre propos
Ce sont là des propos méchants et injustes, qui me mettent en colère. La première fois que j’ai rencontré Gbagbo, je lui ai dit : « J’ai 67 ans et que je ne crois pas que mon avenir soit devant moi. » Je lui ai également précisé que je ne serai jamais du FPI, mais que je voulais lui apporter ma petite expérience. Je pense, en effet, qu’il n’est pas normal que nous laissions s’écrouler l’héritage d’Houphouët sous prétexte que son adversaire d’hier a été élu président de la République. Je ne veux pas d’une opposition de casse, d’insurrection, de désordre. Lorsque les militaires ont voulu se soulever, en 1990, Houphouët les a reçus dans sa résidence. Après une heure d’entretien, ils en sont sortis en chantant.
Sans doute était-ce l’époque qui voulait cela ?
Pas nécessairement, il y a aussi le savoir-faire politique. Car, avec les mêmes militaires, en 1999, regardez comment Bédié s’est comporté. Il a pris son hélicoptère pour aller se promener dans son village et puis les militaires nous ont renversés. Je ne le lui ai jamais pardonné. Pis, depuis, personne n’a voulu savoir pourquoi nous avons perdu le pouvoir. Est-ce qu’on aurait pu éviter le coup d’État ? Comment situer les responsabilités et que faut-il faire pour que cela ne nous arrive plus ? Ce débat n’a jamais eu lieu. Bédié n’en veut pas. Il reste persuadé qu’il doit revenir au pouvoir. Il lui faudra cependant compter avec les autres, dont Gbagbo.
* Paroles d’honneur, de Simone E. Gbagbo, Pharos, février 2007, 508 pages.
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