Khalifa rattrapé par la France

Le juge du tribunal de Westminster, à Londres, répond favorablement à la demande d’extradition de l’ex-golden boy algérien présentée en mars dernier par Paris.

Publié le 4 septembre 2007 Lecture : 5 minutes.

Rafik Khalifa, l’ancien milliardaire algérien réfugié au Royaume-Uni depuis mars 2003, sera extradé vers la France. Le juge du tribunal de Westminster, à Londres, Anthony Evans, a répondu favorablement, le 29 août, à la demande d’extradition présentée en mars dernier par la justice française. Absent à l’audience en raison d’un mouvement de grève dans les prisons britanniques, Rafik Khalifa ne s’est vu officiellement notifier cette décision que le lendemain, le 30 août.
Aussitôt, ses avocats ont indiqué qu’ils s’apprêtaient à introduire un appel auprès de la Cour suprême du royaume. Dans sa plaidoirie, qui aura duré quelques minutes, Richard Job, un des avocats de l’ex-homme d’affaires, a expliqué que son client ne pouvait pas faire l’objet d’une extradition vers la France en raison d’un vice de procédure. « Le tribunal doit protéger ses droits. Une personne ne peut être extradée qu’à condition d’être poursuivie, pas pour être interrogée », a-t-il plaidé. Argument balayé par Anthony Summers, représentant de la justice française, pour qui l’émission d’un mandat d’arrêt signifie que la France entend poursuivre l’ancien golden boy. « Si aucun juge français n’a entendu Rafik Khalifa en vue d’une éventuelle mise en examen, c’est parce qu’il ne se trouve pas sur le territoire français », a indiqué Summers. Dans son mémorandum de sept pages remis aux deux parties, le juge Evans précise qu’aucun obstacle ne s’opposait à sa décision, d’autant que le Royaume-Uni et la France ont signé des accords en matière d’extradition.
Objet d’un mandat d’arrêt européen délivré à la demande du juge du tribunal de Nanterre, Régine Capra, Khalifa avait été arrêté le 27 mars dernier et croupit depuis dans une prison du sud de Londres. Condamné par contumace à la prison à vie par le tribunal de Blida le 22 mars dernier, « Moumene » voit ainsi s’envoler ses dernières chances d’échapper à un procès.
Rafik Khalifa est recherché dans le cadre d’une enquête sur des malversations présumées au sein de trois de ses sociétés domiciliées en France : Khalifa Airways, Antinéa Airlines et Khalifa Rent-a-Car (KRC), une entreprise de location de voitures de luxe. Fils d’un ancien ministre de Boumedienne, ami des stars et généreux mécène, celui qu’on présentait comme un prodige des affaires est rattrapé par la justice française à la fin de l’année 2003, quand une information judiciaire est ouverte contre lui par le tribunal de grande instance de Nanterre, en région parisienne, pour « abus de confiance, banqueroute par détournements d’actifs, banqueroute par dissimulation et blanchiment en bande organisée ».

En clair, les juges français le soupçonnent d’avoir détourné de l’argent, des titres et des actifs de ses trois filiales avant de prendre la fuite vers Londres. Conséquence : les trois entreprises ont été liquidées, laissant sur le carreau plus de cent salariés, non sans provoquer au passage un trou financier estimé à quelque 90 millions d’euros. Selon des documents auxquels Jeune Afrique a pu accéder, la villa de Cannes, celle-là même qui avait abrité en septembre 2003 une fastueuse réception à l’occasion du lancement de la chaîne Khalifa TV, a été achetée par l’ancien milliardaire grâce à des fonds de Khalifa Airways. Des appartements parisiens de luxe offerts à ses proches ainsi qu’à des personnalités algériennes ont également été acquis avec l’argent de la compagnie aérienne. Aujourd’hui, les enquêteurs français ne trouvent nulle trace de ces fabuleuses sommes. Les juges veulent donc savoir où est passé le magot, qui en a profité et qui est responsable de cette escroquerie.

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L’enquête française s’est brusquement emballée au mois de mai dernier quand trois des plus proches collaborateurs de celui que d’aucuns surnommaient « le Petit Prince de la finance algérienne » ont été interpellés dans la région parisienne puis incarcérés. Nadia Amirouchène, ex-épouse de Khalifa, son oncle Ghazi Khebache, ancien directeur de Khalifa Bank et de Khalifa Construction, et Mohamed Nanouche, ex-directeur adjoint de Khalifa Bank, tous visés par des mandats d’arrêt internationaux lancés contre eux par la justice algérienne, sont soupçonnés d’avoir trempé dans la magouille.
La décision du juge britannique d’autoriser l’expulsion de Rafik Khalifa vers la France pour y être jugé a provoqué des remous en Algérie. Certains y voient même un camouflet pour les autorités algériennes, qui n’ont cessé de claironner que son extradition vers Alger était l’affaire de quelques mois. Interrogé à plusieurs reprises par la presse sur l’évolution de la procédure, le ministre de la Justice, Tayeb Belaïz, a affirmé à maintes reprises que le dossier était « en bonne voie ». Or tout indique que Khalifa a toutes les chances de ne pas avoir à s’expliquer devant les juges algériens sur la faillite de son groupe, qui a laissé un trou financier estimé à plus de 3 milliards de dollars. En tout cas, pas dans un proche avenir.
Pourquoi la demande d’extradition présentée par l’Algérie n’a-t-elle pas abouti ? Un avocat du barreau d’Alger avance deux hypothèses. La première est que la demande n’aurait pas été suffisamment appuyée et argumentée pour qu’elle puisse être prise en compte par la justice britannique. « Le procès de Blida a pourtant contribué à accréditer la thèse que Rafik Khalifa était beaucoup plus un escroc qu’un opposant politique », explique-t-il. La deuxième laisse à penser que les autorités britanniques considèrent que la justice algérienne n’offre pas assez de garanties en matière de protection des droits de la défense et des droits de l’homme en général pour que Rafik Khalifa soit renvoyé vers son pays d’origine. « Il faudrait d’abord qu’une demande ait été formulée », tempère une source proche du dossier. C’est qu’en dépit des multiples déclarations des responsables algériens le précieux document tarde à atterrir sur le bureau des magistrats londoniens. Un des avocats de « Moumene » est formel : « La justice britannique n’a pas reçu de demande d’extradition de la part de l’Algérie. »

En attendant le verdict de la Cour suprême, Rafik Khalifa, amaigri, mais en bonne santé et presque sans le sou – les frais de son procès londonien et les honoraires de ses avocats sont pris en charge par le gouvernement britannique -, préparerait ses dernières cartouches. Selon son garde du corps, cité par un journaliste algérien, l’ex-tycoon détiendrait des dossiers embarrassants pour quelques hauts responsables algériens. À suivre

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