UA – UE : une autre agriculture est possible
La sécurité alimentaire fait partie de l’ordre du jour du sommet Afrique-Union européenne. Pour l’atteindre, de nombreuses collaborations en matière agricole et alimentaire seraient bienvenues. Reste à le décider.
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Million Belay
Président de l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique, membre du Panel international d’experts sur les systèmes alimentaires durables.
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et Emile Frison
Ancien directeur général de Biodiversity International, membre du Panel international d’experts sur les systèmes alimentaires durables.
Publié le 18 février 2022 Lecture : 4 minutes.
Dans un contexte de hausse des températures, de malnutrition, de perte de biodiversité et de montée des inégalités en matière de santé, l’urgence de transformer en profondeur nos systèmes alimentaires fait désormais consensus. C’est du moins le constat dressé par l’Union africaine et l’Union européenne lors du sommet des Nations unies sur les systèmes alimentaires qui s’est tenu l’année dernière.
Stratégie européenne « de la ferme à la fourchette »
Le sommet UE-UA de Bruxelles devrait être une plateforme efficace pour forger un nouveau type de partenariat entre deux régions qui s’engagent à repenser leurs systèmes alimentaires afin d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat. Les deux institutions s’engageraient à réorienter leurs financements vers une agriculture diversifiée, respectueuse du climat et de l’environnement, dont la science nous dit qu’elle est nécessaire pour assurer la sécurité alimentaire dans un monde qui se réchauffe.
Les pays africains et européens sont à la pointe de la mise en œuvre de politiques alimentaires transformatrices
Cette convergence bénéficie déjà de toutes les composantes nécessaires sur les deux continents. Les pays africains et européens ont ouvert la voie en appelant à la transformation agroécologique. Treize gouvernements africains et six européens ont rejoint une nouvelle coalition internationale pour l’agroécologie, dont la France, qui assure actuellement la présidence de l’UE, et le Sénégal, qui préside l’Union africaine. Tous deux sont des pionniers en matière de politiques de soutien à l’agroécologie.
Certes, pays africains et européens se trouvent dans des situations de départ différentes mais ils sont à la pointe de la mise en œuvre de politiques alimentaires novatrices. L’UE déploie une stratégie « de la ferme à la fourchette » qui promet d’inscrire l’agriculture européenne dans une démarche plus durable dans le cadre de son Pacte vert : cette stratégie comprend des objectifs de réduction de l’utilisation de pesticides et d’antibiotiques pour les animaux d’élevage, ainsi qu’une augmentation des terres en culture biologique – même si certains souhaiteraient des objectifs plus ambitieux de réduction de la production et de la consommation de viande.
Créations africaines de nouveaux marchés
Pour leur part, tous les chefs d’État de l’Union africaine ont approuvé l’Initiative pour l’agriculture biologique écologique, qui vise à développer les pratiques écologiques et biologiques sur le continent. L’initiative encourage la formation des agriculteurs et l’agroforesterie, et soutient la création de nouveaux marchés pour les aliments durables et traditionnels. La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) est également à la pointe du soutien aux approches innovantes en agroécologie par le biais d’échanges entre agriculteurs, de fermes de démonstration et de services de conseil adaptés aux agriculteurs développés en partenariat avec les agriculteurs et les ONG locales.
Une plus grande collaboration entre les deux continents pourrait permettre de contourner les blocages des grands investisseurs en Afrique
La société civile fait également pression pour des changements ambitieux : l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique, par exemple, a mené un dialogue à l’échelle du continent sur la nécessité d’une politique alimentaire pour parvenir à une alimentation équilibrée et durable pour tous.
Une plus grande collaboration entre les deux continents pourrait contribuer à renforcer ces stratégies prometteuses – notamment face aux blocages des grands investisseurs en Afrique, tels que la Banque mondiale, l’USAID et la Fondation Gates. Contrairement aux insinuations selon lesquelles les politiques du Pacte vert de l’UE nuiraient à la sécurité alimentaire en l’Afrique, le programme « de la ferme à la fourchette » de l’UE promet au contraire de réduire les effets néfastes de l’agriculture sur le climat, la santé des sols et la biodiversité.
Menaces sur la souveraineté alimentaire
Si elle est mise en œuvre de manière appropriée, cette politique permettra de rompre avec un modèle qui a porté préjudice aux pays africains en leur imposant un dumping sur les produits de base, vendus à des prix inférieurs à ceux des marchés locaux. Un modèle qui à la fois, a favorisé la dépendance à l’égard des importations de matières premières et de denrées alimentaires, mais qui a aussi privilégié les cultures d’exportation menaçant ainsi la souveraineté alimentaire.
Il est essentiel d’écouter les sociétés civiles qui réclament à grands cris des réformes du système alimentaire
La croissance simultanée de l’agroécologie en Europe et en Afrique contribuera à alimenter des flux commerciaux durables entre les deux continents, à condition que des mécanismes d’accompagnement adéquats soient mis en place. Les producteurs africains seront en mesure d’assurer la sécurité alimentaire du continent s’ils sont soutenus dans leurs efforts pour augmenter leur production d’une manière durable et pour accéder aux marchés à des prix équitables.
Reste à savoir si de telles réformes seront retenues dans les conclusions du sommet. Il est essentiel d’écouter davantage les organisations des sociétés civiles africaines et européennes qui réclament à grands cris des réformes du système alimentaire visant à protéger l’environnement et à générer une meilleure valeur ajoutée pour les agriculteurs. Nos dirigeants sont eux aussi à la recherche d’opportunités de partenariats stratégiques pour rapprocher nos continents et aborder la question prioritaire du changement climatique et de la transition verte. Une coopération autour de l’agriculture durable pourrait s’avérer judicieuse et véritablement transformatrice si elle est entérinée au plus haut niveau.
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